25/10/2014
Paul Auster, Dans la tourmente, dans Disparitions
En mémoire de moi
Simplement m'être arrêté.
Comme si je pouvais commencer
là où ma voix s'est arrêtée, moi-même
le son d'un mot
que je ne peux prononcer.
Tant de silence
à faire naître
dans cette chair pensive, battement
de tambour des mots
au-dedans, tant de mots
perdus dans le vaste monde
au-dedans de moi, et de ce fait avoir compris
que malgré moi
je suis là.
Comme si c'était le monde.
Paul Auster, Dans la tourmente, dans Disparitions, traduit
par Danièle Robert, Babel, 2008 (éditions Unes/ActesSud, 1994), p. 158.
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23/09/2014
Ludovic Degroote, Le début des pieds
il faudra bien en finir.
nous ne pouvons pas regarder la télé tout l'été.
je ne sais où en est nirina.
j'écris nirina peut-être c'est irina.
je ne comprends pas bien toujours ce qu'il disent à la télé.
est le monde ou la diction ou tout ce qui dégringole la pluie le
temps et puis cette jeunesse qui articule mal qui parle pour elle alors que nous aussi on aimerait bien savoir si ça arrive le coup qui fera basculer le monde et le cœur partagé de tant de téléspectateurs.
le monde est compliqué.
nathan et nirina aussi pour eux c'est compliqué.
Ludovic Degroote, Le début des pieds, Atelier La Feugraie, 2010, p. 50-51.
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06/05/2014
Georges Didi-Huberman, Essayer voir
« Comment essayer dire ? » (how try say ?), se demande Beckett1. Et il répond par l'indication d'un geste double ou dialectique, un geste constamment reconduit à la façon dont nos propres paupières ne cessent d'aller et venir, de battre au-devant de nos yeux : « Yeux clos » (clenched eyes), pour ne pas croire que tout serait à notre portée comme le matériau intégral d'une demonstration ad oculos. « Yeux écarquillés » (staring eyes), pour s'ouvrir et s'offrir à l'irrésumable expérience du monde. « Yeux clos écarquillés » (clenched staring eyes), pour penser enfin, et même pour dire, essayer dire tout cela ensemble2. Si le langage nous est donné, le dire nous est constamment retiré, et c'est par une lutte de tous les instants, un essai toujours à recommencer, que nous nous débattons avec cet innommable de nos expériences, de notre défaut constitutionnel devant l'opacité du monde et de ses images.
Georges Didi-Huberman, Essayer voir, Les Éditions de Minuit, 2014, p. 53.
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1 S. Beckett, Worstxard Ho, London, John Calder, 1983, p. 17 (repris chez Faber en 2009). Trad. E. Fournier, Cap au pire, Paris, Les Éditions de Minuit, 1991, p. 20.
2 Ibid, p. 11 (trad. cit., p. 12).
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24/02/2014
Paul de Roux, Au jour le jour 5, Carnets 2000-2005
Le sentiment de la nature, de son "étrangeté" est peut-être le degré le plus bas de la perception du non-humain, de la perception de puissances qui ne relèvent pas de l'espèce humaine. Oui, c'est peut-être quelque chose de très primaire, mais c'est du moins quelque chose qui vous arrache à la toute puissance de nos sociétés humaines, faisant craquer les bornes d'un univers artificiellement clos, tel celui de la "ville tentaculaire".
Je me suis dit soudain que le Louvre était mes sentiers, mes bois, mes montagnes perdus. Ce n'est pas que l'esprit, c'est aussi, tout autant, la chair du monde que je retrouve ici fugitivement.
Je brouille le monde en moi. Le chaos intérieur donne un reflet chaotique du monde. Je ne vois rien, je n'entends rien, je ne sens rien. La perte est immense. Et comme était modeste, la provende que je faisais à travers champs ! Quelques piécettes de l'incalculable fortune proposée. Aujourd'hui cependant, seule leur réminiscence conserve un certain éclat dans la besace du passé. La lumière, le vent, ce qui ne se stocke pas, ne s'emporte pas dans la poche, cela seul peut-être s'accorde à quelque chose de très intime, en un point où cœur, sens, esprit coïncident, se confondent.
Paul de Roux, Au jour le jour 5, Carnets 2000-2005, Le bruit du temps, 2014, p. 48, 56, 80.
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