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06/09/2021

Marina Tsvétaïéva, Tentative de jalousie

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Tu m’aimas dans la fausseté

Du vrai — dans le droit du mensonge

Tu m’aimas — plus loin : c’eût été

Nulle part ! Au-delà ! Hors songe !

 

Tu m’aimas longtemps et bien plus

Que le temps. — ­ la main haut jetée ! —

Désormais :

            • Tu ne m’aimes plus —

C’est en cinq mots la vérité.

 

Marina Tsvétaïéva, Tentative de jalousie,

La Découverte, 1986, p. 90.

01/01/2021

Wislawa Szymborska (1923-2012), De la mort sans exagérer

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                                                               Photo Anna Kaczmarz

              Buffo

 

D’abord notre amour passera,

puis un siècle, un autre siècle,

puis, nous serons réunis :

 

comédienne et comédien,

favoris du grand public,

au théâtre on nous jouera.

 

Petite farce avec couplets :

quelques danses, éclats de rire,

Bien saisies, les mœurs de l’époque,

sous vos applaudissements.

 

Tu seras irrésistible

 sur scène, avec ta cravate

et tes crises de jalousie.

 

Ma tête toute retournée,

ma tête, mon cœur couronnés,

cœur stupide qui se brise,

couronne qui roule par terre.

 

Nous quitterons, nous retrouverons,

toute la salle rire nous ferons,

sept rivières, sept montagnes

entre nous érigerons.

 

Comme si nous n’avions pas assez

de douleurs, et de défaites

— de paroles nous achèverons.

 

À la fin nous saluerons

et la farce sera finie.

Et les gens iront dormir

contents d’avoir bien ri.

 

Eux, vivront comme des images,

dompteront l’amour. Le tigre

dans la main leur mangera.

 

Et nous toujours Dieu sait quoi,

bouffons de clochettes coiffés,

écoutant d’oreille barbare

leur tintamarre.

 

Wislawa Szymborska, De la mort sans exagérer,

Poèmes 1957-2009, traduction du polonais

Piotr Kaminski, Poésie/Gallimard, 2018, p. 13-14.

08/05/2019

Bernard Delvaille, Poèmes 1951-1981

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                            Désordre, 3

 

Il en va souvent des itinéraires de la passion

Comme de ces vents d’octobre qui fleurent la fougère

Ils bercent en silence le sommeil de notre maison

Et se retranchent dans les tranchées et les domaines du mystère

 

L’amour vient de la mer et y retourne Nous le savons ô fable

Immortelle et complice À chaque amour suffit sa peine

Lorsque les vagues auront effacé votre nom sur le sable

Il m’a soudain semblé que toute plainte serait vaine

 

Quand viendra le moment précis de votre mort je serai là

Douloureux et retrouvé fidèle muet et amoureux

Nous partirons alors vers ces plats pays où au ras

De l’eau volent quelques oiseaux malhabiles au creux

 

Des falaises du soir sous un ciel en lutte aux embruns

Vous savez qu’il sera trop tard que je ne serai plus jaloux

Que de ces pays brûlés nous soyons ou non riverains

Sachez simplement que ce grand jardin ravagé est à vous

 

Bernard Delvaille, Poèmes (1951-1981), Seghers, 1982, p. 107.