03/05/2018
Georg Trakl, Poèmes, traduction Guillevic
Chanson de Gaspar Hauser
Il aimait vraiment le soleil qui pourpre descendant la colline
Les chemins de la forêt, l’oiseau noir qui chantait
Et la joie de la verdure.
Grave était sa demeure dans l’ombre de l’arbre
Et ar son visage
Dieu parla douce flamme à son cœur :
O toi, homme.
Le soir, en silence, son pas trouva la ville ;
Sombre plainte de sa bouche :
Je veux devenir un cavalier.
Mais le suivaient bête et buisson,
Maison et jardin crépusculaire d’homme blancs
Et son assassin était à sa recherche.
Printemps, été et beau l’automne
Du juste, son pas léger
Longeant les sombres chambres des rêveurs ;
La nuit il restait seul avec son étoile ;
Voyait la neige tomber dans le branchage nu
Et l’ombre de l’assassin dans la pénombre du vestibule.
Argentée la tête de celui qui n’était pas né tomba.
Georg Trakl, Poèmes, traduction Guillevic, Obsidiane, 1986.
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30/01/2018
Paul Celan, Poèmes, traduction André du Bouchet
Débris d’écoute, débris de vue, dans
le dortoir mille-
et-un,
jours ou
nuits,
la polka-des-ours :
ici on te façonne à nouveau,
de nouveau tu deviens
il.
Hörreste, Sehreste, im
Schlafsaal eintausendundeins,
tagnächtlich
die Bäten-Polka :
sie schulen dich um,
du wirst wieder
er.
Paul Celan, Poèmes, traduction André du Bouchet, Clivages, 1978, np.
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10/01/2018
Samuel Beckett, Poèmes, suivi de mirlitonnades
je suis ce cours de sable qui glisse
entre le galet et la dune
la pluie d’été pleut sur ma vie
sur moi ma vie qui me fuit me poursuit
et finira le jour de son commencement
cher instant je te vois
dans ce rideau de brume qui recule
où je n’aurai plus à fouler ces longs seuils mouvants
et vivrai le temps d’une porte
qui s’ouvre et se referme
Samuel Beckett, Poèmes , suivi de mirlitonnades,
Editions de Minuit, 1978, p. 22.
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11/12/2017
Salvatore Quasimodo (1901-1968), Poèmes
Mes compagnons aussi m’ont délaissé
Mes compagnons aussi m’ont délaissé,
femmes de ghetto, jongleurs de taverne,
parmi lesquels je me suis plu longtemps,
et la fille est morte
dont le visage graissé de friture d’azyme
était toujours ardent
de même que sa noire chair de juive.
Peut-être aussi ma tristesse est changée,
comme si je n’étais plus à moi,
oublié de moi-même.
Salvatore Quasimodo, Poèmes, traduction Pericle
Patocchi, Mercure de France, 1963, p. 12.
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12/10/2017
Cavafy, Poèmes : Devant cette maison
Devant cette maison
Hier, en marchant dans un quartier
éloigné, je suis passé devant cette maison
que je fréquentais lorsque j’étais très jeune.
En ce lieu l’Amour avait pris mon corps
avec sa prodigieuse vigueur.
Et hier,
quand je me suis trouvé dans la vieille rue,
aussitôt furent embellis, par l’enchantement de l’amour,
magasins, trottoirs, pierres,
et murs, et balcons, et fenêtres.
Plus rien autour de moi qui fût vilain.
Et comme je m’arrêtais là, et regardais la porte,
et m’arrêtais, et m’attardais devant cette maison,
de tout mon être émanait
la voluptueuse émotion si longtemps retenue.
Cavafy, Poèmes, traduction Georges Papoutsakis,
Les Belles Lettres, 1977, p. 127.
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15/06/2017
James Joyce, Poèmes
Seul
Les mailles d’or gris de la lune
Toute la nuit tissent un voile,
Les fanaux dans le lac dormant
Traînent des vrilles de cytise.
Les roseaux malicieux murmurent
Aux ténèbres un nom — son nom —
Et toute on âme est délice,
Mon âme défaille de honte.
James Joyce, Poèmes, traduction Jacques
Borel, Gallimard, 1967, p. 109.
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24/04/2017
Giorgio de Chirico, Poèmes
Épode
— Reviens toi ô ma première félicité
la joie habite d’étranges cités
de nouvelles magies sont tombées sur la terre.
Ville des rêves non rêvés
que des démons bâtirent avec une sainte patience
c’est toi que, fidèle, je chanterai.
Un jour je serai aussi un homme-statue
époux veuf sur le sarcophage étrusque
ce jour-là en ta grande étreinte de pierre
ô ville, serre-moi, maternelle.
Giorgio de Chirico, Poèmes, traduits par
Jean-Charles Vegliante, Solin, 1981, p. 41.
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21/10/2016
Cavafy, Poèmes : Lustre
Lustre
Dans une chambre vide et petite — seuls quatre murs
couverts d’étoffes toutes vertes —
un lustre superbe brûle et flambe ;
et dans chacune de ses flammes s’embrase
une lascive passion, un lascif élan.
Dans la petite chambre qui étincelle,
éclairée du feu violent du lustre,
point familière est cette lumière qui en sort ;
ni faite pour des corps timides
la volupté de cette chaleur.
Cavafy, Poèmes, traduction Georges Papoutsakis, Les Belles Lettres, 1977, p. 82.
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Cavafy, Poèmes : Lustre
Lustre
Dans une chambre vide et petite — seuls quatre murs
couverts d’étoffes toutes vertes —
un lustre superbe brûle et flambe ;
et dans chacune de ses flammes s’embrase
une lascive passion, un lascif élan.
Dans la petite chambre qui étincelle,
éclairée du feu violent du lustre,
point familière est cette lumière qui en sort ;
ni faite pour des corps timides
la volupté de cette chaleur.
Cavafy, Poèmes, traduction Georges Papoutsakis, Les Belles Lettres, 1977, p. 82.
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08/08/2016
Georges Bataille, Le loup soupire
Le loup soupire
Le loup soupire tendrement
dormez la belle châtelaine
le loup pleurait comme un enfant
jamais vous ne saurez ma peine
le loup pleurait comme un enfant
La belle a ri de son amant
le vent gémit dans un grand chêne
le loup est mort pleurant le sang
ses os séchèrent dans la plaine
le loup est mort pleurant le sang
Georges Bataille, Poèmes, dans Œuvres
complètes, IV, Œuvres littéraires posthumes,
Gallimard, 1971, p. 27.
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17/01/2016
Gaspara Stampa (1523-1554), Poèmes
Pleurez, dames, et toi amour, pleurez ensemble,
car il ne pleure pas celui qui tellement
me blessa, que bientôt mon âme va quitter
ce corps supplicié !
Et si jamais cœur noble et sensible exauça
les ultimes soupirs d’une voix qui s’éteint,
lors, par vos soins, ma sépulture portera
la cause de mes peines.
« Un grand amour trop mal aimé fut le malheur
de ma vie, et j’en suis morte. Ici repose
l’amoureuse la plus fidèle du monde.
Tes prières, passant, pour qu’elle dorme en paix,
victime qui t’enseigne à ne point t’attacher
à cœur cruel toujours insaisissable. »
Piangete, donne, e con voi pianga, Amore,
poi che non piange lui, che m’ha ferita
si, che l’alma farà tosto partita
da questo corpo tormentato fuore.
E, s emai da pictoso e gentil core
l’estrema voce altrui fu essaudita,
dapoi ch’io sarò lorta e sepelita,
scrivete la cagion del mio dolore :
« Per amar molto ed esser poco amata
visse e morì infelice, ed or qui giace
la più fidel amante che sia stata.
Pregale, viator, riposo e pace,
od impara da lei, si mal trattata,
a non seguir un cor ceudo e fugace. »
Gaspara Stampa, Poèmes, traduction Paul Bachmann,
Poésie / Gallimard, 1991, p. 105 et 104.
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21/12/2015
Georges Bataille, Poèmes
Insignifiance
J’endors
l’aiguille
de mon cœur
je pleure
un mot
que j’ai perdu
j’ouvre
le bord
d’une larme
où l’aube
morte
se tait.
Le petit jour
J’efface
le pas
j’efface
le mot
l’espace
et le souffle
manquent.
Georges Bataille, Poèmes, dans
Œuvres complètes, IV, Œuvres
littéraires posthumes, Gallimard,
1971, p. 28.
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02/12/2015
Eugène Guillevic, Autres, poèmes 1969-1979
Contes et nouvelles
37
Il n’allait jamais bien loin.
Il avait découvert à l’orée de la forêt
Cette cabane abandonnée
Et il y revenait très vite,
Quand il avait de quoi
Pour quelques jours.
Sans doute n’y avait-il que là
Un arrêt, c’est presque sûr, du soleil
À la tombée du jour, un bon moment,
Comme pour le regarder,
Alors qu’il était
Sur le seuil de la cabane
À savourer, solitaire,
Son gros morceau de pain
Et son vin rouge.
Eugène Guillevic, Autres, poèmes 1969-1979,
Gallimard, 1980, p. 35.
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23/11/2015
Emily Jane Brontë, Poèmes, traduction Pierre Leyris —— Écrire après ?
Il devrait n’être point de désespoir pour toi
Il devrait n’être point de désespoir pour toi
Tant que brûlent la nuit les étoiles,
Tant que le soir répand sa rosée silencieuse,
Que le soleil dore le matin.
Il devrait n’être point de désespoir, même si les larmes
Ruissellent comme une rivière :
Les plus chère de tes années ne sont-elles pas
Autour de ton cœur à jamais ?
Ceux-ci pleures, tu pleures, il doit en être ainsi ;
Les vents soupirent comme tu soupires,
Et l’Hiver en flocons déverse son chagrin
Là où gisent les feuilles d’automne
Pourtant elles revivent, et de leur sort ton sort
Ne saurait être séparé :
Poursuis donc ton voyage, sinon ravi de joie,
Du moins jamais le cœur brisé.
[Novembre 1839]
Emily Jane Brontë, Poèmes, traduction de Pierre Leyris,
Poésie / Gallimard, 1983, p. 87.
Écrire après ?
Face à des innocents lâchement assassinés par d'infâmes fanatiques, la poésie peut peu, pour le dire à la façon de Christian Prigent. Ça, le moderne ? Quoi, la modernité ? Cois, les Modernes… Face à l'innommable, seul le silence fait le poids ; comme à chaque hic de la contemporaine mécanique hystérique, ironie de l'histoire, l'écrivain devient de facto celui qui n'a rien à dire. Réduit au silence, anéanti par son impuissance, son illégitimité. Son être-là devient illico être-avec les victimes et leurs familles.Nous tous qui écrivons ne pouvons ainsi qu'être révoltés par l'injustifiable et nous joindre humblement à tous ceux qui condamnent les attentats du 13 novembre. Et tous de nous poser beaucoup de questions.
Surtout à l'écoute des discours extrémistes, qu'ils soient bellicistes, sécuritaires, islamophobes ou antisémites sous des apparences antisionistes. C'est ici que ceux dont l'activité – et non pas la vocation – est de mettre en crise la langue comme la pensée, de passer les préjugés et les idéologies au crible de la raison critique, se ressaisissent : le peu poétique ne vaut-il pas d’être entendu autant que le popolitique ? Plutôt que de subir le bruit médiatico-politique, le spectacle pseudo-démocratique, les mises en scène scandaculaires – si l'on peut dire -, ne faut-il pas approfondir la brèche qu'a ouverte dans le Réel cet innommable, ne faut-il pas appréhender dans le symbolique cette atteinte à l'entendement, ce chaos qui nous laisse KO ? Allons-nous nous en laisser conter, en rester aux réactions immédiates, aux faux-semblants ? Une seule chose est sûre, nous CONTINUERONS tous à faire ce que nous croyons devoir faire. Sans cesser de nous poser des questions.
Ce communiqué, signé de Pierre Le Pillouër et Fabrice Thumerel, est publié simultanément sur les sites :
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21/10/2015
Emily Jane Brontë, Poèmes
Mon plus grand bonheur, c'est qu'au loin
Mon plus grand bonheur, c'est qu'au loin
Mon âme fuie sa demeure d'argile,
Par une nuit qu'il vente, que la lune est claire,
Que l’œil peut parcourir des mondes de lumière —
Que je ne suis plus, qu'il n'est
Terre ni mer ni ciel sans nuages —
Hormis un esprit en voyage
Dans l'immensité infinie.
[Février ou mars 1838]
I’m happiest when most away
I’m happiest whan most away
I can bear my soul from its home of clay
On a windy night when the moon is bright
Ant the eye can wander through worlds of light —
When I am not and none beside —
Nor earth nor sea nor cloudless sky —
But only spirit wandering wide
Through infinite immensity.
[February or March, 1838]
Emily Jane Brontë, Poèmes, traduction de
Pierre Leyris, Poésie Gallimard, 1963, p. 49.
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