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05/11/2015

Jean-Luc Sarré, Les journées immobiles

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c’est ailleurs on dirait

loin du ciel

loin du bleu tumulte qui interdit

il y a de la terre dans les masses bruissantes

dans les cernes

les volumes

dans les ombres devenues fragiles

il y a du mauve dans ces ombres

c’est l’été

dans une autre lumière

l’odeur est celle des pierres avant la pluie

 

                     *

 

on ne sait rien de l’été

rien de ces quelques mots qu’il dénoue

trop lourds souvent

pareils à ces branches basses

vautrées dans la poussière

au milieu de l’allée

ou à ces fleurs encore

écloses parmi les pierres

isolées rouges

fragiles au cœur du ruissellement

 

Jean-Luc Sarré, Les journées immobiles, 1990 ;

Flammarion, p. 72 et 84.

21/08/2015

Edward Estlin Cummings, Érotiques

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dame est couverte

de fleurs

ses pieds sont effilés

formés chacun de cinq fleurs sa cheville

est une minuscule fleur

les genoux de ma dame sot deux fleurs

Ses cuisses sont de vastes et fermes fleurs de nuit

et exactement entre

elles endormie intensément

est

 

la fleur soudaine d’une totale stupéfaction

 

une dame couverte de fleurs

est un jardin d’ivoire.

 

Et la lune est un jeune homme

 

que je vois régulièrement autour du crépuscule

entrer dans le jardin et sourire

en lui-même.

 

Edward Estlin Cummings, Érotiques, traduit et

présenté par Jacques Demarcq, Seghers, 2012,

p. 75.

09/05/2015

Jean Daive, Monstrueuse

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Une maison basse

en angle dans un parc en fleur

ne dort pas

n’allume rien, la nuit

quelques sons, dedans et dehors

étouffés, résonnent

des bois creux

battent contre des palissades

un homme seul frappe des cuillères

en bois

pour suspendre au-dessus

des jardins en fleur

l’acrobate, l’arlequin, l’écuyère

il remonte le mécanisme d’un conte de fée

autrefois raconté à l’oreille

par une famille qui tourne les tables et les renverse

à transmettre les omissions

 

Jean Daive, Monstrueuse, Poésie / Flammarion,

2015, p. 128.

27/04/2015

Jean Follain, Appareil de la terre

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                      Gestes

 

Au soir éblouissant

ceux qui font ce geste :

clore un vêtement noir

regrettent une jaune terre

où se prenaient leurs pieds.

D’autres que cernent la mer

sur le banc de sable

agitent les bras.

Certains gardent enfin

en fermant les yeux

mais la fleur aux lèvres

le courage des muets.

Un se courbe

pour ramasser le morceau de pain

gonflé d’eau grise.

 

 

                   Matière aux songes

 

Parfois du milieu d’un champ

on entend les orgues d’église

et point le vent

les plantes gonflent

de rosée invincible

d’aucuns songent

devant la pierre violâtre

l’habit ravagé

les gants prêtés pour la journée

le chat dormant qui a voyagé

 

Jean Follain, Appareil de la terre, Gallimard,

1964, p. 40, 62.

20/03/2015

René Char, La pluie giboyeuse

René Char, La pluie giboyeuse, dessin, fleur, mort, temps, rossignol, nuit

 

Floraison successive

 

La chaude écriture du lierre

Séparant le cours des chemins

Observait ue marge claire

Où l’ivraie jetait ses dessins.

 

Nous précédions, bonne poussière,

D’un pied neuf ou d’un pas chagrin.

 

L’heure venue pour la fleur de s’épandre

La juste ligne s’est brisée.

L’ombre, du mur, ne sut descendre ;

Ne donnant pas la main, dut prendre ;

Dépouillée, la terre plia.

 

La mort où s’engouffre le Temps

Et la vie forte des murailles,

Seul le rossignol les entend

Sur les lignes d’un chant qui due

Toute la nuit si je prends garde.

 

René Char, La pluie giboyeuse, Gallimard,

1968, p. 17.

18/05/2014

Les 99 haïku de Ryokan

les 99 haïku de ryokan,fleur,automne,moineau,souvenir,arbre

 

Dans la touffeur verte

une fleur de magnolia

en pleine floraison

 

Le ciel clair d'automne

des milliers de moineaux —

le bruit de leurs ailes

 

La fenêtre ouverte

tout le passé me revient —

bien mieux qu'un rêve !

 

Allons, c'est fini !

et moi aussi je m'en vais —

crépuscule d'automne

 

Sur la branche encore

aujourd'hui — mais plus demain —

le fleurs du prunier

 

Le vent de l'été

apporte dans ma soupe

des pivoines blanches

 

Les 99 haïku de Ryokan (1758-1831),

traduits par Joan Titus-Carmel,

Verdier, 1986, np.

11/05/2014

Buson (1716-1783), Le parfum de la lune

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aux poils de la chenille

on devine que souffle

la brise matinale

 

sous la lune

si loin semblent-elles

la couleur et la senteur de la glycine

 

juste un somme

au réveil cette journée printanière

déjà se termine

 

toute la nuit

sans un bruit la pluie

sur les sacs de graines

 

au bord du chemin

par une main éparpillées

quelques fleurs de sarrasin

 

les fleurs des cerisiers s'éparpillent

dans les pépinières de riz inondées

nuit étoilée

 

Buson (1716-1783), Le parfum de la lune,

traduction Cheng Wing fun et Hervé

Collet, Moundarren, 1992, p. 19, 29,

32, 39, 44, 48.

 

04/05/2014

Buson (1716-1783), Le parfum de la lune

buson.jpg

aux poils de la chenille

on devine que souffle

la brise matinale

 

sous la lune

si loin semblent-elles

la couleur et la senteur de la glycine

 

juste un somme

au réveil cette journée printanière

déjà se termine

 

toute la nuit

sans un bruit la pluie

sur les sacs de graines

 

au bord du chemin

par une main éparpillées

quelques fleurs de sarrasin

 

les fleurs des cerisiers s'éparpillent

dans les pépinières de riz inondées

nuit étoilée

 

Buson (1716-1783), Le parfum de la lune,

traduction Cheng Wing fun et Hervé

Collet, Moundarren, 1992, p. 19, 29,

32, 39, 44, 48.

 

24/04/2014

Paul Louis Rossi, Cose naturali, Natures inanimées

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la vue

 

 

          Une figue se

          reflète dans

          un

                petit

                         miroir...

 

 

(Trompe l'œil)

 

 

     Des bésicles maintenues

     par un lacet

     tendu

     entre deux clous

 

     (bois jaune et rose)

 

     un Almanach

     du « Messager Boiteux »

                    (der Königlich privilegierte

                       Colmarer Hinkende Bott)

 

 

(dans un parc)

 

     Grand cratère baroque

     grand rideau rouge derrière une colonne

     s'ouvrant sur un fond d'arbres

 

     Héron près d'une

     touffe de pivoines

     faisan argenté

 

     Sur un vase

     un perroquet

     bleu

 

Paul Louis Rossi, Cose naturali, Natures inanimées,

éditions Unes, 1991, p. 104, 105, 36.

Photo Chantal Tanet

07/04/2014

Bashô (2), Jours d'hiver, traduction de René Sieffert,

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Une ombre noire

dans le petit matin blême

attise la flamme

 

Jusqu'aux fleurs des champs

butine le papillon

aux ailes froissées

 

Sortie de sa manche

il ouvre son écritoire

à l'ombre des monts

 

Joyeusement

gazouille l'alouette

tire-lire-li

 

Lune de trois jours

dans le ciel noir du levant

la voix de la cloche

 

On pleure les fleurs

qui du cerisier ne sont

que la moisissure

 

Soleil d'un matin d'hiver

tout n'est que mélancolie

 

Bashô, Jours d'hiver, traduction de René Sieffert, Presses orientalistes de France, 1987, p. 17, 25, 35, 41, 45, 53, 61.

 

 

09/11/2013

Robert Desnos, Sirène Anémone, dans Domaine public

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          Sirène Anémone

 

Qui donc pourrait me voir

Moi la flamme étrangère

L'anémone du soir

Fleurit sous mes fougères

 

Ô fougères mes mains

Hors l'armure brisée

Sur le bord des chemins

En ordre sont dressées

 

Et la nuit s'exagère

Au brasier de la rouille

Tandis que les fougères

Vont aux écrins de houille

 

L'anémone des cieux

Fleurit sur mes parterres

Fleurit encore aux yeux

À l'ombre des paupières

 

Anémone des nuits

Qui plonge ses racines

Dans l'eau creuse des puits

Aux ténèbres des mines

 

Poseraient-ils leurs pieds

Sur le chemin sonore

Où se niche l'acier

Aux ailes de phosphore

 

Verraient-ils les mineurs

Constellés d'anthracite

Paraître l'astre en fleur

Dans un ciel en faillite

 

En cet astre qui luit

S'incarne la sirène

L'anémone des nuits

Fleurit sur son domaine

 

Alors que s'ébranlaient avec des cris d'orage

Les puissances Vertige au verger des éclairs

La sirène dardée à la proue d'un sillage

Vers la lune chanta la romance de fer

[...]

Robert Desnos, Sirène Anémone, dans Domaine public,

 

"Le Point du jour", Gallimard, 1953, p. 155-156.

21/08/2013

Jacques Roubaud, La pluralité des mondes de Lewis, 1987-1990

 

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                                 Fleurs, Fleur

 

      La graine jetée dans le ventre de la terre, pourrie dessus-dessous le fumier, battue d’hiver, sur les premières douceurs du printemps, rallie ses petites pièces, ressuscite de petites racines, investissant la motte tendre pour en sucer la moelle, perçant la terre jette un petit filet blanc, une pointe verte, se nourrit à vue d’œil, par laps de temps s’engraisse, gagne le haut,

 

  roidit une tige verte, à la faveur du Soleil boutonne, à couvert digère ses couleurs, le bouton enfle, éclate doucement, montrant en sa fente l’essai de son apprentissage et un rayon de ses beautés, mûries de temps.

 

  La Nature soigneuse de son trésor odoriférant les contregarde curieusement, armant les unes de pointes aiguës, hérissant les autres de piquerons, couvrant celles-ci de feuilles raboteuses, jetant les autres à l’abri des feuilles larges, fait jouer de secrets ressorts, afin que les déboutonnant aux influences de l’Aurore, sur le soir elles se reboutonnent d’elles-mêmes devant les horreurs de la nuit.

 

 

Jacques Roubaud, La pluralité des mondes de Lewis, 1987-1990, Gallimard, 1991, p. 75.

19/10/2012

Boris Pasternak, dans Quatre poètes russes

Boris Pasternak, dans Quatre poètes russes, fleur, poème

          Le poème d'avant les poèmes

 

Laisse de toi les mots descendre

Comme d'un clos le zeste et l'ambre :

Distraitement et richement,

Lents, très lents, très lentement.

 

                             *

 

          Ébranlant la branche odorante

 

Ébranlant la branche odorante

     Lampant dans ces ombres ce bien-être,

De calice en calice allait courante

     Une moiteur qu'hébéta la tempête.

 

Par les calices roulait, sur deux

     Calices glissa, sur eux deux,

En goutte d'agate volumineuse,

     Se suspendit, pudique, lumineuse.

 

Le vent peut bien, soufflant sur les spirées,

     Martyriser cette goutte, l'écraser.

Une, intacte, elle reste : goutte des deux

     Calices s'entrebaisant, buvant à deux.

 

Ils rient, tentent de s'entr'échapper,

     De se remettre droits comme avant cette goutte :

Ils ne peuvent plus égoutter leurs bouches hors cette    goutte

     Et même qui les coupe ne peut les séparer.

 

Boris Pasternak, dans Quatre poètes russes, V. Maïakovski, B. Pasternak, A. Blok, S. Essénine, texte russe traduit et présenté par Armand Robin, éditions du Seuil, 1949, p. 115 et 121.