03/03/2021
Samuel Beckett, L'innommable
[...] À moi maintenant de faire le mort, à moi qu’ils n’ont pas su faire naître, et ma carapace de monstre autour de moi pourrira. Mais c’est entièrement une question de voix, toute autre métaphore est impropre. Ils m’ont gonflé de leurs voix, comme un ballon, j’ai beau me vider, c’est encore eux que j’entends. Qui, ils ? et pourquoi plus rien, depuis quelque temps ? Se peut-il qu’ils m’aient abandonné en disant, C’est entendu, il n’y a rien à en tirer, n’insistons pas, il n’est pas dangereux. Ah mais un petit filet de voix d’homme forcé, pour murmurer ce que leur humanité suffoque, aux oubliettes, garrotté, au secret, au supplice, un petit halètement de condamné à vivre, pour balbutier ce que c’est que d’avoir à célébrer la relégation.
Samuel Beckett, L’innommable, éditions de Minuit, 1953, p. 77-78.
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16/12/2018
Cioran, de l'inconvénient d'être né
La clairvoyance est le seul vice qui rende libre — libre dans un désert.
Le paradis n’était pas supportable, sinon le premier homme s’en serait accommodé ; ce monde ne l’est pas davantage puisqu’on y regrette le paradis ou l’on en escompte un autre. Que faire ? où aller ? Ne faisons rien et n’allons nulle part, tout simplement.
Certains ont des malheurs, d’autres des obsessions. Lesquels sont le plus à plaindre ?
Il y a dans le fait de naître une telle absence de nécessité, que lorsqu’on y songe un peu plus que de coutume, faute de savoir comment réagir, on s’arrête à un sourire niais.
Cioran, de l’inconvénient d’être né, idées / Gallimard, 1973, p. 19, 20-21, 21,
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17/06/2015
Jean-Pierre Burgart, Gris lumière
L’encre des signes
Ignorant de ma fin et de mon commencement, j’écris aveuglément
pour apprendre de l’encre des signes
ce qui ordonne et croise
la trame des images et la chaîne des mots
j’écris pour que la blancheur irrévocable
qui ajoure et cerne les mots saisis par l’encre
se souvienne du souffle qui les assemble
en les mêlant à l’air qui me traverse.
Je veux qu’entraîné par la nappe de silence
qui sourd et s’étend quand la page se détache de moi
soient abolis regrets, désirs, attente
et que, même fragment, l’écrit s’achève
dans le deuil blanc qui le suit, alors
je serai libre, écrire serait naître.
Jean-Pierre Burgart, Gris lumière, La Lettre volée, 2014,
p. 46.
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03/06/2012
Franck Venaille, Chaos
On naît déjà mort
Ah! ce mur d'anxiété
qui
peu à peu
m'enserre
ALORS
que
je demande simplement à quitter la scène
fût-ce par la sortie bon secours
Ce sont toujours les mêmes qui pratiquent l'autopsie
De leur propre corps
Cela vient du cheval vapeur ouvert dégoulinant de viscères
noirs.
Rien !
On naît rien.
Vite on recoud vite le cadavre vite !
— déjà fané avant l'heure légale —
Vite !
Franck Venaille, Chaos, Mercure de France, 2006, p. 90.
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