15/11/2024
Shakespeare, Sonnet et autres poèmes
Sonnet 17
Étant ton esclave, qu’irais-je faire d’autre
Que servir ton désir, à tout moment, toute heure.
Mon temps n’est pas précieux, je n’ai nulle mission
Ni de service à rendre, j’attends tes ordres ;
Je n’ose pas gronder l’heure infiniment longue
Cependant que pour toi (mon souverain), je scrute
L’horloge, ni ne blâme ton absence amère
Quand tu as pris congé de celui qui te sert ;
Ni n’ose demander dans ma pensée jalouse
Où tu peux te trouver, ou ce qui te requiert,
Mais patiente en triste esclave et ne pense à rien
Si ce n’est au bonheur que tu donnes à d’autres.
L’amour est si grand fou que, dans ton bon plaisir,
Quoi que tu puisses faire, il ne voit rien de mal.
Shakespeare, Sonnet et autres poèmes, traduction
Jean-Michel Déprats, Gallimard, Pléiade, 22021, p. 461.
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21/10/2021
Robert Creeley, Dire cela
Consolatio
Ce qui est parti est parti
Ce qui est perdu est perdu
Ce qui est senti comme battement —
ce qui est pensée, ce qui est maison,
Qui est ici, qui est là —
qu’est-ce que la patience aujourd’hui.
Quelle idée du monde,
pourquoi son écho en retour.
Aujourd’hui je commence —
Pourquoi craindre la fin.
Robert Creeley, Dire cela, traduction
Jean Daive, NOUS, 2014, p. 92.
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05/03/2021
Samuel Beckett, Nouvelles et textes pour rien
Ai-je tout essayé, bien fouiné partout, doucement, en écoutant avec patience, sans faire de bruit ? Je parle sérieusement, comme souvent, j’aimerais savoir si j’ai tout fait, avant de me porter manquant, et d’abandonner. Partout, je veux dire aux endroits où j’avais des chances d’être, où je me tenais autrefois, en attendant l’heure de me glisser dehors, endroits éprouvés, voilà tout ce que je voulais dire, en disant partout. Autrefois, je veux dire alors que je bougeais encore, que je me sentais qui bougeais, avec peine, à peine, mais dans l’ensemble changeant incontestablement de place, les arbres le disaient, le sable, l’air des sommets, les pavés de la ville.
Samuel Beckett, Nouvelles et textes pour rien, éditions de Minuit, 1958, p. 175.
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22/02/2021
Cioran, La tentation d'exister
Les théologiens l’ont remarqué depuis longtemps : l’espoir est le fruit de la patience. On devrait ajouter : et de la modestie. L’orgueilleux n’a pas le temps d’espérer. Sans vouloir ni pouvoir attendre, il force les événements comme il force sa nature ; amer, corrompu, quand il épuise ses révoltes, il abdique : pour lui, nulle formule intermédiaire. Qu’il soit lucide, c’est indéniable ; mais la lucidité, ne l’oublions pas, est le propre de ceux qui, par incapacité d’aimer, se désolidarisent aussi bien des autres que d’eux-mêmes.
Cioran, La tentation d’exister, Idées/Gallimard, 1956, p. 228.
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