22/06/2024
André Frénaud, La Sainte Face
Linge propre ou l’héritier
Prendras-tu la canne du mort
pour te rendre aux obsèques ?
Mettras-tu le linge du mort
pour aller au plaisir ?
Oui, c’est moi désormais
le défunt, justement.
André Frénaud, La Sainte Face,
Poésie/Gallimard, 1985, p. 194.
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21/06/2024
André Frénaud, Les Rois mages
La vie morte, la vie
Ma vie morte, ô mon poids fertile,
la rivière qui me conduit,
ma seule part de toute présence,
la consistance de mon défaut,
mon entrave ardemment ourdie,
mon étrave que je maudis,
glacier qui absorbes mes flammes,
sang coloré qui m’inondes,
tache à flanc de si lourde absence,
aqueduc au rebours de l’eau vive,
c’en est assez ma vie, merci.
Quand me perdrai-je hors de ma vue ?
André Frénaud, Les Rois mages, Poésie/
Gallimard, 1987, p. 160.
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20/06/2024
Fernando Pessoa, Le violon enchanté
Anamnèse
Quelque part où jamais je ne vivrai
Le jardin d’un palais renferme
Une telle beauté que j’ai mal d’en rêver.
Là, jalonnant d’immémoriaux sentiers,
Prénatales, de grandes fleurs
Rappellent ma vie perdue, avant Dieu.
Là j’étais heureux et l’enfant
Qui jouissait de fraîches ombres
Où se sentir non sans douceur un exilé,
On m’arracha toutes ces choses vraies au loin.
Ô mes patries perdues !
Mon enfance avant Nuit et Jour !
Fernando Pessoa, Le violon enchanté, Christian
Bourgois, 1992, p. 173.
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19/06/2024
François Rannou, Le Masque d’Anubis
L’herbe ni tondue ni coupée s’est pliée sous le
vent qui lisse sa paume humide glisse entre les
arbres de ce verger redevenu sauvage un Jessé
debout pisse contre le tronc d’un prunier l’urine
pulvérisée trace sa fine rigole entre les globes
charnus d’un jaune presque orangé les fourmis
entraînées ne grimperont plus le long de l’écorce quant au
rêve de l’homme perdu dans ses pensées il est lisible
déplie son phylatère de branche en branche comme si
c’était sa raison d’être mais ce ne sont que des
fragments qu’aucune langue connue ne peut
traduire son désir d’origine trouvera sa réponse
quand sur sa peau les hyménoptères de toutes sortes
l’inscriront lentement selon un nouveau temps pour
qu’il en ressente enfin l’importance vaine on l’appelle
les voix s’impatientent il fait soudain plus frais
Méditation
François Rannou, Le Masque d’Anubis,
Des Sources et des Livres, 2023, p. 43.
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18/06/2024
François Rannou, Le Masque d'Anubis
Ses petits pieds essaient de ne pas peser sur le
plancher du dortoir la fenêtre est de l’autre côté
du couloir dans la nuit elle s’est levée pour voir dans
le parc l’herbe recouverte de givre éclairée par
la lune blanche ronde comme un sou intensément
c’est presque le Saint-Esprit qui tomberait sur le
monde croit-elle rêveuse concentrée sa chemise
longue en tulle blanc simple se mêle à ce qui brille
sans nom sur ses lèvres elle reste ainsi longtemps
puis elle regagne son lit précautioneusement avec
cette joie qu’elle voudrait partager avec les
autres filles endormies dans leur sommeil ou
plutôt une sorte de confiance pas de naïveté juste
l’humble pureté facétieuse parfois d’une fillette
traversa
nt désormais qu’elle est à l’autre bout du
temps la nuit nue claire d’un funèbre jardin sans limites
La Fillette du pensionnat de Kerbertrand
François Rannou, Le Masque d’Anubis,
Des Sources et des livres, 2023, p. 33-34.
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17/06/2024
François Rannou, La Masque d'Anubis
Les lents chevaux de
l’orage font vibrer
la terre sèche leur dense échappée vers le
fond du champ remonte
jusqu’à mes cuisses
roues du vélo
que j’ai tout à l’heure
jeté sur le talus
tournent dans l’air lourd
que la pluie tombe n’est plus une espérance
vaine me dit-elle
tandis que coule de
ses lèvres vers son
cou ce très fin trait
rouge que brouillent mes questions
François Rannou, Le Masque d’Anubis,
Des Sources et des Livres, 2023, p. 17-18
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16/06/2024
Henri Michaux, Façons d'endormi, façons d'éveillé
Le lac près de l'Opéra
En promenade. À partir de la place de l'Opéra, où quelque autobus a dû me transporter, faisant quelques pas dans une rue médiocre, qui en traverse une plus large, je me détache progressivement des grandes artères et des boulevards dont j'entends encore faiblement la rumeur s'amenuisant... Soudain je débouche sur une vaste étendue d'eau, dont je ne fais qu'entr'apercevoir l'autre rive dans le lointain, avec ses baies, ses plages, ses criques, ses villas éparses ou groupées.
Comment ! Un lac ! Si près de l'Opéra ! Je n'en reviens pas.
Il est vrai que je prends souvent les mêmes autobus, sur les mêmes trajets, un peu en maniaque, qui n'accepte pas d'être longtemps détourné de sa vie propre. Tout de même ! À ce point ! C'est impardonnable ! Depuis des dizaines d'années que je vis à Paris... Enfin, je l'ai trouvé. Et cet horizon ! Justement ce qui manquait à ce cette capitale un peu usée... et sans chercher détails ni explications, je me laisse envahit et gonfler de la joie inespérée. Quel avenir ! Une existence nouvelle va commencer.
L'impression a tellement pénétré en moi que, réveillé, je ne m'en réveille pas tout à fait, et sans doute je n'y tiens pas, j'aurais trop peur de retrouver une ville où, à nouveau, un lac manquerait. Je reste sans bouger, méfiant, sachant que malgré la certitude encore persistante d'un lac proche et presque à ma porte, il est préférable que je ne lève pas le petit doigt, que je ne me livre (mot si juste) à aucun acte, le plus petit geste en ces heures matinales étant parfois capable d'entamer et de recouvrir en un rien de temps les plus grandes découvertes de la nuit et de vous reconduire illico au strict quotidien.
Henri Michaux, Façons d'endormi, façons d'éveillé, [1969] dans Œuvres complètes, III, édition établie par Raymond Bellour avec Ysé Tran, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 2004, p. 482.
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15/06/2024
Ethel Adnan, Je suis un volcan criblé de météores
Poèmes d’amour
I
Ma gitane avait
de l’argent indien
sur tout le corps
Son nombril
comme l’étoile du matin
ses yeux
comme les prairies
des sierras
Elle était un cerf
et un sentier
menant à un archétypes de
lac
Un jour le soleil brilla
dans ses cheveux
et la forêt prit feu
mais la voiture tomba en panne
dans un virage de
a route
Et nous avons dormi sur un lit d’hôpital
afin de renaître
comme l’Arc-en-ciel indien.
(...)
Etel Adnan, Je suis un volcan criblé de météores, Poésie/Gallimard, 2023, p. 125-126.
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13/06/2024
René-Guy Cadou, Hélène ou le Règne végétal
Le réalisme se complaît dans un romantisme quotidien et ne procède que par bilans.
Sans vouloir faire fi des récentes conquêtes surréalistes, qu’il me soit permis d’écrire que cette poésie ne redeviendra audible qu’en revenant à une simplicité, une pureté, une identité somme toute élémentaires.
Ne pas faire dire aux mots plus qu’ils ne peuvent.
Il y a toujours divorce entre la poésie du moment et le public du moment.
René-Guy Cadou, Hélène ou le Règne végétal, suivi de Usage inerne, Poésie/Gallimard, 2024, p. 233, 235, 236, 241
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12/06/2024
René-Guy Cadou, Usage interne
La poésie n’est rien que ce grand élan qui nous transporte vers les choses usuelles — usuelles comme le ciel qui nous transporte.
Le style n’est pas l’outil du forgeron mais l’âme de la forge.
J’aimerais assez cette critique de la poésie : la poésie est inutile comme la pluie.
Toute poésie tend à devenir anonyme.
La transparence n’existe que dans l’air.
René-Guy Cadou, Hélène ou le Règne végétal, suivi de Usage interne,
Poésie/Gallimard, 2024, p. 212, 214, 215, 219, 225.
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11/06/2024
Emily Dickinson, Du côté des mortels : recension
« La Vie n’est que la Vie ! Et la Mort la Mort ! »
Est-il indispensable de donner une nouvelle traduction de poèmes dont on a déjà plusieurs versions ? Ce genre de questions, heureusement, n’a plus cours : il existe plusieurs éditions en français, complètes ou non, des poèmes d’Emily Dickinson, on peut prendre plaisir à passer de l’une à l’autre, et l’on peut en souhaiter de nouvelles ; les variations dans la saisie de la langue source aboutissent à des solutions différentes qui sont toujours bienvenues. François Heusbourg n’a pas le projet de traduire la totalité de l’œuvre, près de 1800 poèmes, mais en choisit par tranches chronologiques : il a déjà publié quatre volumes et il présente ici un ensemble pris dans les années 1860 et 1861, « juste avant la période la plus intense de sa production poétique ».
"Du côté des mortels" est la traduction du dernier vers (« Opon the mortal side », p. 28) d’un poème., vers choisi parce que dans cet ensemble demeurent encore fortement vivants pour la jeune femme — elle a trente ans — Amherst, le jardin, les fleurs, les oiseaux, l’enfance, avant le repli noté par le traducteur « dans le monde intérieur de la demeure familiale ». La nature est très présente, sous une forme générale (arbre, verger, rosée, oiseau — « "Maman" n’oublie jamais les oiseaux » —, etc.) et les différents éléments observés peuvent être aussi nommés : aster, renoncule, marguerite, rose, baumier, grive, merle, cerf, cerise, etc., et souvent mis en relation, « Si la Campanule avait ouvert son corset / à l’Abeille amoureuse (…) ». L’attention d’Emily Dickinson aux choses de la nature est aussi lisible dans des comparaisons, par exemple dans « Toi — aussi — prends des allures d’Arantèle » [= mot ancien pour "toile d’araignée" ; pour cobweb]. Il y a dans son imaginaire le sentiment d’être totalement du côté des plantes et des animaux, ainsi dans un distique : « Ni Rose, me suis pourtant sentie fleurir, / Ni oiseau — ai pourtant plané dans l’Éther — » ; cette proximité est sans doute nécessaire dans un monde où il lui est difficile de trouver une identité.
Il faut pour cela pouvoir se situer, y compris dans le temps. Ce qui est le plus aisé à définir pour elle, c’est le passé. Quelques éléments qui ont compté sont conservés dans une « boîte d’Ébène », une lettre, une fleur, une boucle. On ne saura rien de plus, sinon qu’ils appartiennent à un temps accompli, « comme si la petite Boîte d’Ébène / N’était notre affaire en rien ». Pour le présent, Emily Dickinson imagine pouvoir un lieu social tout en en marquant la quasi impossibilité, « À l’aube — je serai — une Épouse — (…) À minuit — je ne suis qu’une jeune fille — (…) / Si tôt pour une enfant — de ne plus l’être — ». L’aube est toujours le moment d’une séparation pour quelque chose à venir - c’est le matin renaissance -, d’où la question « Y aura-t-il vraiment un matin ? » pour que s’accomplisse, notamment, la sortie de l’enfance, qu’elle devienne elle-même, « Je suis "Femme" maintenant / C’est plus sûr ainsi ». Femme, épouse…, lorsqu’elle a « prudemment, examiné [sa] petite vie », elle a fait la part de ce qui pouvait disparaître et rester, et elle termine par une question, « Te trouves-tu dans cette petite Grange / Que l’Amour T’a offerte ? ».
À côté d’Emily, il y aurait un "tu" et cet "Autre" semble bien vivant ; elle lui écrirait tant qu’elle voit son « crayon émoussé » et, pensant à une prochaine rencontre elle note qu’il lui faudrait « Songer à ce que moi-même je dirai / Et ce que lui-même me dira à moi — ». Elle projette une vie commune, imaginant une présence continue (« Marcher pour toujours à ses côtés ») et elle est consciente que la durée est nécessaire pour que l’Autre devienne pleinement un "tu", « La vie entière — pour connaître l’autre / Que nous ne pouvons jamais apprendre ». Serait-ce la voie pour être reconnue ? « Enfin— être identifiée —/ Enfin — les Lampes tournées vers toi —/ Le reste de la vie — ». Parallèlement à ce désir d’être vue comme une femme, et surtout un "je", est aussi rappelé le sort commun, le sort de tous, donc le sien, « Je ne suis Personne / Qui êtes-vous ? / Êtes-vous — Personne — vous aussi ? / (…) C’est si morne — d’être — Quelqu’un / Si commun — ». Ce mouvement de la reconnaissance de ce qu’elle est à l’effacement est une constante, mais son identité est toujours assurée quand elle parle de son rapport à la nature, en particulier à l’eau, à la mer. S’imaginant devenue rivière, elle questionne, « Mer bleue — m’accueilleras-tu ? » ; question toute rhétorique : elle ne pense pas être comme une goutte d’eau dans la mer, qu’elle associe par ailleurs à l’Autre rêvé dans deux vers quelque peu énigmatiques, « Les plus petites Rivières — dociles à quelque mer / ma Caspienne — toi ». L’eau est parfois associée à la mort : un nageur disparaît, parce que la mort n’est jamais loin dans les poèmes d’Emily Dickinson.
Elle est bien terrienne et son lien à la nature proche d’elle est vivant, constant, ce qui n’empêche pas qu’elle aille « Vers l’éternité profonde », que la mort soit toujours présente, emportant une amie. Elle-même, se supposant disparaître, souhaiterait qu’une grive « à Foulard Rouge » reçoive « une miette Commémorative ». Les vers semblent parfois empruntés à une prédication tant ils ne laissent que peu d’espoir à la vie, « La Poussière est le seul Secret / La mort la seule Personne ». Reste le paradis, qui l’obsède, coupé de tout ce qu’elle vit : « Savent-ils qu’ici c’est "Amherst" — ».
Tout a été dit de la simplicité du vocabulaire d’Emily Dickinson. et de son usage du tiret qui impose un rythme à la lecture, mais qui ne rendent en rien aisée la traduction : celle de François Heusbourg transforme notre approche des poèmes sans doute parce qu’il traduit en ayant présent l’ensemble de l’œuvre. On lira avec intérêt l’analyse de Claude Ber, à qui la postface a été confiée comme elle l’a été à des écrivaines dans les volumes précédents.
Emily Dickinson, Du côté des mortels, Poèmes 1860-1861, traduction François Heusbourg, éditions Unes, 2023, 152 p. Cette recension a été publiée par Sitaudis le 19 avril 2024.
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10/06/2024
Paul Valéry, Mauvaises pensées et autres
Le passé vit de hasards. Tout incident tire un souvenir.
Mon hasard est plus moi que moi.
Une personne n’est que réponses à quantité d’incidents impersonnels.
Il importe que le passé ne soit pas seulement à moitié mort.
Toute discussion se réduit à donner l’adversaire la couleur d’un sot ou la figure d’une canaille.
Duplicité :
Que si tu veux paraître jouer un double jeu et tenir double rôle, joue le tien. Pour paraître inconstant, il suffit de demeurer ce que l’on est, — constant ou non.
Paul Valéry, Mauvaises pensées et autres, dans Œuvres, II, Gallimard / Pléiade, 1960, p. 879, 880, 881, 883, 885.
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09/06/2024
Paul Valéry, Mauvaises pensées et autres
Tous les jugements sur les hommes ou sur les œuvres qui sont louanges ou blâmes, sont des jugements de concierges : jugements de cerveaux qui sont à la porte des choses.
« Confier sa peine au papier »
Drôle d’idée. Origine de plus d’un livre, et de tous les plus mauvais.
Nous avons de quoi saisir ce qui n’existe pas et de quoi ne pas voir ce qui nous crève les yeux.
Quelle que doit la valeur, le pouvoir pénétrant d’une explication, c’est encore et toujours la chose qu’elle explique qui est la plus réelle, — et parmi sa réalité, précisément ce mystère qu’on a voulu dissiper.
Le naturel est ennuyeux.
Paul Valéry, Mauvaises pensées et autres, dans Œuvres, II, Gallimard / Pléiade, 1960, p. 865, 866, 866, 871, 874.
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08/06/2024
Paul Valéry, Mauvaises pensées et autres
Conte
Il y eut autrefois un homme qui devint sage.
Il apprit à ne plus faire de geste ni de pas qui ne fussent utiles.
Peu après, on l’enferma.
Chaque homme sait une quantité prodigieuses de choses qu’il ignore, qu’il sait. Savoir tout ce que nous savons ? Cette simple recherche épuise la philosophie.
Ce qui est simple est toujours faux, ce qui ne l’est pas est inutilisable.
L’espoir fait vivre, mais comme sur une corde raide.
Paul Valéry, Mauvaises pensées et autres, dans Œuvres, II, Gallimard / Pléiade, 1960, p. 851, 863, 864, 864.
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07/06/2024
Vadom Kosovoï, Correspondance Maurice Blanchot–Vadim Kosovoï
Après la lecture de L’Instant de ma mort, de Maurice Blanchot :
La mort en instance, serait-elle toujours la même DEVANT le même jeune homme ou le même enfant ? Et EN lui toujours aussi légère ?
Je la vis sans peut-être la voir (car je fermai les yeux, on le sait) à l’âge de sept ans ou, pour être plus précis, de six ans et demi, dans une petite gare, devant notre train qui devait repartir. Ce fut un lourd obus d’artillerie, trop lourd pour moi, qui gisait à même le sol, couvert d’immondices, (je le remarquai au dernier instant), que je levai péniblement, puis jetai (ou plutôt laissai tomber). Et qui s’enfonça dans mon œil gauche, quasi déchiqueta ma jambe gauche, couvrit ma tête, ma poitrine et mes bras de maintes traces indélébiles de souffrance. Je m’assis, la tête penchée.
Je la revis (si seulement ce « je » m’appartient) de nombreuses fois encore sur les corps mutilés de ces enfants qu’on apportait à l’hôpital, inertes et mugissants, pour les soigner un peu ou plutôt pour les laisser mourir. Je savais, me semble-t-il, que la douleur et l’agonie d’autrui me concernaient de près, qu’elles me promettaient ma propre fin.
Je la revis métamorphosée (mais toujours la même, celle que je croyais connaître, si ce n’est avoir connue) dans mes rêves illuminés, en prison, (deuxième ou troisième année), à travers le feu de plusieurs fins du monde les unes plus fantasmagoriques que les autres.
Je la vis une fois pour toutes (toujours en prison) bien plus calme, voire impassible, pendant une nuit d’adieu et d’extrême épouvante, après une expérience particulièrement lourde de hachisch, une mort qui me rendait mon MOI STRATÉGIQUE, affreusement émietté, dispersé par l’effet du poison [...].
Correspondance Maurice Blanchot –Vadim Kosovoï, Lettre à Maurice Blanchot du 3 novembre (1994 ?), dans PO&SIE, n° 112-113, éditions Belin, 2005, p. 110.
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