08/04/2024
Denis Roche, Les idées centésimales de Miss Elanize
« faute de paroles l’intruse est levée »
Je ne vous conseille pas d’y souscrire, à
La différence près d’un mot, « d’y croire »,
C’était elle, c’était son style... est la voix
De l’unique du simple du monde, le sien
Enfumé
Et le bête exclusif de toute sa vie
Comme si sur elle les yeux grands ouverts il
Tenait,... il s’était littéralement joué de
Toute son âme sur elle
Denis Roche, Les idées centésimales de Miss
Elanize, Seuil, 1964, p. 101.
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06/04/2024
Jean Daive, Monoritmica
je dois taire
ce que je n’ai pas
compris.
Même
devant toi
tendrement.
Ma vie
n’est plus
entre tes échantillons.
Merle bleu
parle en nous
du malheur
ancien.
Quand nous
en étions à
Babel.
Jean Daive, Monoritmica,
Flammarion, 2023, p. 249.
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05/04/2024
Jean Daive, Monoritmica
Au jardin comme en ville
elle porte un tailleur gris
et un diamant au doigt
elle engloutit les débris
dans son sac
pour cacher les soupirs et
le souci perdu
elle tourmente la naissance
des plantes
car chaque feuille est
une respiration.
Jean Daive, Monoritmica,
Flammarion/Poésie,
2022, p. 245
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04/04/2024
Jean Daive, Monoritmica
Advient toujours
la question enfantine
qui double le monde sans doute
des intensités
et des dessous
d’une affirmation contraire
j’étreins l’illusion
sans démasquer le mythe
détresse de la condition d’infini
elle se retire, elle se défait
dans une répétition
jusqu’à nos jours
Jean Daive, Monoritmica, Flammarion/
Poésie, 2022, p. 33.
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03/04/2024
Anne Calas, Une pente si douce
Une femme est une énonciation illimitée
le ton « Je sais » par exemple
une femme est une énonciation illimitée
est incompatible avec
« Qui suis-je ? »
il y a une gorge profonde
que je caresse aussi avec une planche à laver
si douce au toucher
que j’en atteins
l’enfance
un son
générique si particulier comme
animal
Anne Calas, Une pente si douce,
Flammarion, 2024, p. 201.
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01/04/2024
Anne Calas, Une pente très douce
quelques maisons à colombages
renversées dans le cours
d’une eau poissonneuse
au trou dans le feuillage et
les balles de foin au loin
la plaine presque
ici comme
une clarière inhabitée
un chemin dans l’épaisseur
des souvenirs
un océan de feuillages
une crique de
soleil innocent
et joyeux
Anne Calas, Une pente très douce,
Flammarion, 2024, p. 60.
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31/03/2024
Nicolas Pesquès, La face nord de Juliau, dix-neuf
Le règne du dehors et avec lui, et grâce à lui, l’empire de ses images sur nous : le corps essaie d’en absorber les chocs, d’en recueillir les forces autant que de les détourner. Le plus souvent toutefois, à l’approche des images, le corps ne s’y retrouve pas et ne fait que les détruire, faisant un désastre de leur rencontre. L’image ne frayant plus comme voie d’accès à la rugueuse irruption des corps.
Par bonheur, il n’en est pas toujours ainsi, la chair sachant adoucir son moyen d’action en bricolant ses paysages, en modifiant l’aspect des choses en sorte qu’elles puissent éteindre les images, en adorer la fièvre, et même aboutir à l’exception du désir.
Nicolas Pesquès, La face nord de Juliau, dix-neuf, Flammarion, 2024, p. 133.
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30/03/2024
Nicolas Pesquès, La face nord de Juliau, dix-neuf
On aimerait une prose qui épouserait notre promenade, un réel d’écriture et une dilatation d’amour dont on connaîtrait les illusions — le sachant ne le sachant pas— la découverte d’un lieu, la naissance d’un pas composé, aimé pouvant sauter le ruisseau dans l’élan des yeux, des forces en action, la perdrix figée, le lièvre qui a peur, la phrase irait comme ça, la lettre que je vous écrirais en même temps, bien qu’il soit trop tôt pour nous, puis trop tard, la vie ayant passé dans l’intervalle, les temps toujours brisés malgré ces accompagnements et cette malice que les corps si doucement montraient, si souplement la couleuvre glissant mais trop tard aussi, les yeux n’ayant pas eu le temps, ce qui les troublait, les trouble encore, les nôtres pourtant rompus à la fiction mais avides d’instants, sûrs d’avoir rêvé, heureux de n’avoir pas inventé cet éclat pareil de la littérature quand il n’en était pas question entre nous (…)
Nicolas Pesquès, La face nord de Juliau, dix-neuf, Flammarion, 2024, p. 47.
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Nicolas Pesquès, La face nord de Juliau, dix-neuf
On aimerait une prose qui épouserait notre promenade, un réel d’écriture et une dilatation d’amour dont on connaîtrait les illusions — le sachant ne le sachant pas— la découverte d’un lieu, la naissance d’un pas composé, aimé pouvant sauter le ruisseau dans l’élan des yeux, des forces en action, la perdrix figée, le lièvre qui a peur, la phrase irait comme ça, la lettre que je vous écrirais en même temps, bien qu’il soit trop tôt pour nous, puis trop tard, la vie ayant passé dans l’intervalle, les temps toujours brisés malgré ces accompagnements et cette malice que les corps si doucement montraient, si souplement la couleuvre glissant mais trop tard aussi, les yeux n’ayant pas eu le temps, ce qui les troublait, les trouble encore, les nôtres pourtant rompus à la fiction mais avides d’instants, sûrs d’avoir rêvé, heureux de n’avoir pas inventé cet éclat pareil de la littérature quand il n’en était pas question entre nous (…)
Nicolas Pesquès, La face nord de Juliau, dix-neuf, Flammarion, 2024, p. 47.
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29/03/2024
Nicolas Pesquès, La face nord du Juliau, dix-neuf
La tradition veut que l’amour ne puisse exister préalablement à sa déclaration. Seuls les mots l’autorisent, seuls ils le déclenchent et seuls ils le consacrent Dans cette perspective, nous étendons les pouvoirs de la langue à tout ce qui la précède, nous divulguons ces pouvoirs depuis les corps et les images. Poésie est le nom de ces plongées dans la nuit continuée des commencements. Partie prenante de cette perspective est le paysage. L’amour, et plus encore ce pourquoi il naît, peuvent loger dans un « jeu de langage » gagné par les stridences et la rouerie des échanges.
Nicolas Pesquès, La face nord du Juliau, dix-neuf, Flammarion, 2024, p. 51.
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28/03/2024
Antonin Artaud, Le Théâtre de la cruauté
POST-SCRIPTUM
Qui suis-je ?
D’où je viens ?
Je suis Antonin Artaud
et que je le dise
comme je sais le dire
immédiatement
vous verrez mon corps actuel
voler en éclats
et se ramasser
sous dix mille aspects
notoires
un corps neuf
où vous ne pourrez
plus jamais m’oublier
Antonin Artaud, Le Théâtre de la cruauté, dans
Œuvres complètes, tome XIII, Gallimard, 1974, p. 118.
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27/03/2024
Antonin Artaud, L'Anarchie sociale de l'art
Au cours de la première Révolution Française on a commis le crime de guillotiner André Chénier. Mais dans une époque de fusillades, de faim, de mort, de désespoir, de sang, au moment où se jouait rien de moins que l’équilibre du monde, André Chénier, égaré dans un rêve inutile et réactionnaire, a pu disparaître sans dommage ni pour la poésie ni pour son temps.
Et les sentiments universels, éternels d’André Chénier, s’il les a éprouvés, étaient ni tellement universels ni tellement éternels qu’ils puissent justifier son existence à une époque où l’éternel s’effaçait derrière un particulier aux préoccupations innombrables. L’art, justement, doit s’emparer des préoccupations particulières et les hausser au niveau d’une émotion capable de dominer le temps.
Or tous les artistes ne sont pas en mesure de parvenir à cette sorte d’identification magique de leurs propres sentiments avec les fureurs collectives de l’homme.
Et toutes les époques ne sont pas en mesure d’apprécier l’importance sociale de l’artiste et cette fonction de sauvegarde qu’il exerce au profit du bien collectif.
Antonin Artaud, L’Anarchie sociale de l’art, dans Œuvres complètes, tome VIII, Gallimard, 1971 et 1980, p. 233.
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26/03/2024
Michel Deguy, Ouï dire
Quand le vent pille le village
Tordant les cris
L’oiseau
S’engouffre dans le soleil
Tout est ruine
Et la ruine
Un contour spirituel
Michel Deguy, Ouï dire,
Gallimard, 1966, p. 33.
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25/03/2024
Michel Deguy, Biefs
Un jour elle sera là elle apparaîtra
Elle n’était pas là elle était ailleurs Voici qu’elle
Viendra de là-bas ici elle entrera
J’aurai affaire à elle Elle sera là pour moi
C’est moi plutôt qui entrerai dans son champ d’absence
Qui ne cesse pas Je serai happé pris dedans Soudain
Elle sera ici la fascinante Elle apparaîtra de là-bas de
Cet horizon Visible
Michel Deguy, Biefs, Gallimard, 1964, p. 51.
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24/03/2024
Michel Deguy, Donnant Donnant
Donnant
Donnant est la formule
l’échange sans marché
où la valeur d’usage ne serait que l’échange du don
où le commun n’est pas même cherché, foison des
incomparables sans mesure prise en commun, un troc où
la fleur d’ail se change en ce qui n’est pas de refus
Que désirez-vous donner
C’est le geste qui compte
Miche Deguy, Donnant Donnant, Gallimard, 1981, p. 57.
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