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05/06/2024

Paul Valéry, Mauvaises pensées et autres

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                                                    Histoire

Dans l’histoire, les personnages qui n’ont pas eu la tête coupée, et les personnages qui n’ont pas fait couper de têtes disparaisssent sans laisser de traces.

Il faut être victime ou bourreau, ou sans aucune importance.

Si Richelieu n’eût pas usé de la hache, Robespierre de la guillotine, l’un serait moindre, l’autre effacé. Tout ceci est d’un mauvais exemple.

Le supplice du Christ fut l’origine d’une onde immense, et plus agissant sur les êtres que tous les miracles : sa mort plus sensible aux hommes que sa résurrection.

 

Paul Valéry, Mauvaises pensées et autres, dans Œuvres, II, Gallimard / Pléiade, 1960, p. 837.

04/06/2024

Paul Valéry, Mauvaises pensées et autres

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L’homme se cramponne à ce qu’il croit valoir.

 

Être soi-même !... mais soi-même en vaut-il la peine ?

 

On ne pense réellement à soi et que l’on est soi que quand on ne pense à rien.

 

« Mets les rieurs de ton côté » — et le bateau chavire. Il te verse avec eux dans le vulgaire.

 

Chacun de nous est le seul être au monde qui ne soit pas toujours une mécanique.

 

Paul Valéry, Mauvaises pensées et autres, dans Œuvres, II, Gallimard / Pléiade 1960, p. 806, 811, 814, 827, 828.

03/06/2024

Paul Valéry, Mauvaises pensées et autres

 

                                  paul valer, mauvaises pensées et autres, mystère, sottise,

Parfois la sottise, parfois la puissance de l’esprit, s’obstine contre le fait.                                 

Ce qu’on appelle mystère du monde, mystère de la vie, n’est en soi pas plus profond que l’impuissance des yeux à voir le dos de leur homme.

La nuque est un mystère pour l’œil.

Il est impossible de penser sérieusement — avec des mots comme Classicisme, Romantisme, Humanisme, Réalisme…

On ne s’enivre ni ne se désaltère avec des étiquettes de bouteilles.

La lecture des histoires et romans set à tuer le temps de deuxième ou troisième qualité.

Le temps de première qualité n’a pas besoin qu’on le tue. C’est lui qui tue tous les livres. Il en engendre quelques-uns.

 

Le besoin de nouveau est signe de fatigue ou de faiblesse de l’esprit, qui demande ce qui lui manque.

Car il n’est rien qui ne soit nouveau.

  

Paul Valéry, Mauvaises pensées et autres, dans Œuvres, II, Gallimard / Pléiade, 1960, p. 791, 797, 801, 801, 803.

02/06/2024

Franz Kafka, À Milena

 

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(…) je connais ma relation à toi (tu m’appartiens, même si je ne devais plus jamais te voir), je la connais tant qu’elle n’appartient pas au domaine opaque de la peur, mais ta relation avec moi, je ne la connais pas du tout, elle appartient toute entière à la peur. Tu ne me connais pas non plus, Milena, je te le répète.

Pour moi ce qui se passe a quelque chose de formidable, mon monde s’effondre, mon monde s’édifie, voilà comment tu (ce tu que je suis) subsistes. Je ne me plains pas de l’effondrement, il était en train de s’effondrer, je me plains de son édification, je me plains de mes faibles forces je me plains d’être né, je me plains de la lumière du soleil.

 

Franz Kafka, À Milena, traduction Robert Kahn, NOUS, 2021, p. 68.

01/06/2024

Franz Kafka, À Milena

 

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(…) Comme je t’aime (et je t’aime donc, toi la récalcitrante, comme la mer aime un minuscule galet de son fond, c’est exactement ainsi que mon amour te recouvre — et que chez toi je vois de nouveau le galet, si les cieux le permettent) j’aime le monde entier et ton épaule gauche en fait aussi partie, non, c’était d’abord le droit et c’est pourquoi je l’embrasse, quand j’en ai envie (et que tu es assez gentille pour entrouvrir la blouse) et l’épaule gauche en fait aussi partie et ton visage au-dessus de moi dans la forêt et ton visage en-dessous de moi dans la forêt et le repos sur ton sein presque nu. Et c’est pourquoi tu as raison quand tu dis que nous n’avons déjà fait qu’un et je n’ai aucune peur de cela, mais c’est mon seul bonheur et ma seule fierté et je ne le limite pas du tout à la forêt.

   Mais maintenant entre ce monde du jour et cette « demi-heure au lit » que tu as dans une lettre qualifiée de termes méprisants comme une affaire d’hommes, il y a un abîme, que je ne peux pas franchir, sans doute parce que je ne le veux pas. Là-bas c’est l’affaire de la nuit, vraiment dans tous les sens du terme l’affaire de la nuit ; ici c’est le monde et je le possède et maintenant je devrais sauter dans la nuit pour en reprendre possession. Peut-on reprendre encore une fois possession d’une chose ? Cela ne signifie-t-il pas : la perdre. Ici il y a le monde que possède et je dois aller de l’autre côté pour céder à un étrange enchantement, un tour de magie, une pierre philosophale, une alchimie, un anneau magique.

   Vouloir saisir dans la nuit par un sortilège, furtivement, le souffle court, désemparé, oppressé, ce que chaque jour offre aux yeux ouverts ! (« Peut-être » ne peut-on avoir d’enfants autrement, « peut-être » les enfants sont-ils aussi un sortilège. Laissons encore de côté cette question) C’est pourquoi je suis si reconnaissant (à toi et à tout) et donc c’est samozrejmé (=  tout naturellement) qu’à côté de toi je suis au plus haut point calme et au plus haut point bouleversé, au plus haut point contraint et au plus haut point libre, voilà pourquoi après cette prise  de conscience j’ai abandonné toute autre forme de vie.

 

Franz Kafka, À Milena, traduction Robert Kahn, NOUS, 2021, p. 200-201.

31/05/2024

Franz Kafka, À Milena

 

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Pour poursuivre : avec toi dans mon cœur je peux tout supporter, et si j’ai écrit que les jours sans tes lettres étaient terribles, et bien ce n’est pas exact, ils n’étaient pas terriblement lourds, le bateau était lourd, il avait un terrible tirant d’eau , mais il voguait quand même sur les flots. Il n’y a qu’une seule chose Milena que je ne peux supporter sans ton aide explicite : la « peur », pour cela je suis bien trop faible, je ne peux même pas regarder cette monstruosité en entier, elle m’emporte.

 

Franz Kafka, À Milena, traduction Robert Kahn, NOUS, 2021, p. 126.

30/05/2024

Franz Kafka, Journal

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Je vais essayer de rassembler progressivement tout ce qu’il y a de douteux en moi, plus tard ce qui est plausible, ensuite le possible, etc. Il y a sans doute en moi un désir avide de livres. Non pas, en fait, les posséder ou les lire, mais bien plutôt les voir, me convaincre de leur  existence dans la vitrine d’un libraire. S’il y a quelque part plusieurs exemplaires du même livre chacun d’entre eux me réjouit. C’est comme si ce désir provenait de l’estomac, comme si c’était un appétit qui s’égare. Les livres que je possède me réjouissent moi, par contre les livres de mes sœurs me font bien plaisir. Le besoin de les posséder est incomparablement plus faible, il manque presque.

 

Kafka, Journal, traduction Robert Kahn, éditions NOUS, 2020, p. 211-212.

29/05/2024

Jules Renard, Journal

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Être clair ? Nous sommes si peu capables d’efforts pour comprendre les autres !

 

Quand elle avait pris ses belles résolutions d’économie, elle commençait tout de suite par refuser aux pauvres.

 

L’incompréhensible dit toujours : « Mais tu ne comprends donc rien ! ».

 

Si l’inspiration existait, il ne faudrait pas l’attendre ; si elle venait, la chasser comme un chien.

 

La peur de l’ennui est la seule excuse du travail.

 

Jules Renard, Journal, Gallimard/Pléiade, 1965, p. 130, 131, 133, 133, 134.

28/05/2024

Jules Renard, Journal

                                    jules renard, journal, devoir, morale, argent

Le devoir ? Ah ! non, laissez-moi tranquille.

 

Quand il se regardait dans une glace, il était toujours tenté de l’essuyer.

 

Un livre nous déplaît partout où il nous ressemble.

 

Ne jamais rien faire comme les autres en art ; en morale, faire comme tout le monde.

 

Le talent, c’est comme l’argent : il n’est pas nécessaire d’ne avoir pour en parler.

 

Jules Renard, Journal, Gallimard/Pléiade, 1965, p. 116, 117, 124, 127, 129.

27/05/2024

Jules Renard, Journal

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J’ai vu, monsieur, sur une table de boucher, des cervelles pareilles à la vôtre.

 

On peut donner le ton des paysans sans faute d’orthographe.

 

Il y a des critiques qui ne parlent que des livres qu’on va faire.

 

Comme c’est vain une idée ! Sans la phrase, j’irais me coucher.

 

C’est une erreur commune de prendre pour des amis deux personnes qui se tutoient.

 

Jules Renard, Journal, Gallimard/Pléiade, 1965, p. 98, 99, 103, 103, 106.

25/05/2024

Jules Renard, Journal

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Un monsieur très bien propriétaire d’un palmier en Tunisie.

 

Il jouait du piano d’une façon remarquable avec un seul doigt.

 

Le réalisme ! le réalisme ! Donnez-moi une belle réalité : je travaillerai d’après elle.

 

Un peintre, c’est un homme qui porte un béret.

 

Il est tombé sur moi à coups de compliments.

  

Jules Renard, Journal, Gallimard/Pléiade, 1965, p. 60, 52, 66, 67, 69.

24/05/2024

Jules Renard, Journal

                   jules renard, journal, ridicule, phrase, poète

Cette sensation poignante qui fait qu’on touche à une phrase comme à une arme à feu.

 

On peut être poète avec des cheveux courts.

On peut être poète et payer son loyer.

Quoique poète, on peut coucher avec sa femme.

Un poète, parfois, peut écrire en français.

 

Les bourgeois, ce sont les autres.

 

Cherchez le ridicule en tout, vous le trouverez.

 

Elle avait une peur ridicule du ridicule.

  

Jules Renard, Journal, Gallimard/Pléiade, 1965, p. 50, 51, 51, 54, 55.

21/05/2024

Jean-Antoine de Baïf, L'amour de Francine

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Pauvre Baif mé fin à ta sotise

   Cesse d’estre amoureux :

   Garde qu’amour de son feu ne t’atise

   Et tu vivras heureux.

   Puis que Francine

   Te fait la mine (= se montre hautaine)

   Et te dedaigne,

   Aincois se baigne (= mais prend plaisir)

   Pour son amour, à te vois langoureux.

Laisse-la là comme chose perdue,

   Sans en faire plus cas,

   Et sans espoir qu’elle te soit rendue,

   Tout souci metz-en bas. (= abandonne)

   Veux-tu contreindre

   Son cueur de feindre,

   Qu’elle te porte

   Une amour forte,

   Quand tu vois bien qu’elle ne t’aime pas :

Un tems croit que du jour la lumiere

   Heureuse te luysoit,

   Quand ta maitresse à t’aimer coutumiere

   Avec toi devisoit :

   Maitrese aimée,

   D’ame enflammée

   Avant qu’une ame

   D’amour s’enflamme,

   Par toy à qui sur tout elle plaisoit.

(…)

Jean-Antoine de Baïf, L'amour de Francine,

dans La Pléiade, Poésie, poétique, édition

Mireille Huchon, Gallimard/Pléiade,

2024, p. 677.

19/05/2024

Pontus de Tyard, Mon esprit ha heureusement porté...

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Mon esprit ha heureusement porté

   Au plus beau ciel sa force outrecuidée, (=présomptueuse)

   Pour s’abbruver en la plus belle Idée,

   D’où le pourtrait j’ai pris de ta beauté.

Heureusement mon cœur s’est enretté (= pris au piège)

   Dens ta beauté d’un libre œil regardée :

   Et ma foy s’est heureusement gardée,

   Et t’a ma bouche heureusement chanté :

Mais si encore heureusement j’espere,

   Qu’en fin ton cours (ô ma divine Sphere)

   Veut asseurer la creinte qui me touche,

J’auray parfait en toy l’heur (=bonheur) de ma vie,

   Et toy en moy l’heur d’estre bien servie

   D’esprit, de cœur, d’œil, de foy et de bouche.

 

Pontus de Tyard, dans La Pléiade, Poésie, poétique, édition Mireille Huchon, Gallimard/Pléiade, 2024, p. 665-666.

18/05/2024

Étienne Jodelle, Sonnet

 

Le flamboyant, l’argentin, le vermeil,

   Œil de Phebus, de Phebé, de l’Aurore,

   Qui en son rond brule, pallit, decore,

   Midi, minuit, l’entrée du Soleil :

Ses feux, son teint, l’honneur de son réveil,

   Voudrait cacher, brunir, et tenir ore (=maintenant)

   Voyant le feu qui ard, blanchit, honnore,

   Ton jour, ta nuict, et la fin du sommeil.

Phebus alors que plus le ciel alume,

   N’est poinct si beau qu’on le voit par ta plume,

   Phebé n’est poinct, ny l’Aube belle ainsi,

Ô peintre heureux ! mais plus qu’Ange ! qui ores

   As bien tant peu (=pu), que mesme tu colores

Le Soleil mieux, la Lune, et l’Aube aussi.

 

Étienne Jodelle, Sonnet, dans La Pléiade, poésie, poétique,

édition de Mireile Huchon, Pléiade,/Gallimard, 2024,

p. 484.