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09/03/2025

Jacques Lèbre, Sonnets de la tristesse

 

     jacques lèbre, sonnets de la tristesse, enfance

Dis-moi, petite, la réalité ne serait-elle

qu’un peu d’eau que l’on prend dans sa main

et qui s’évapore ? L’enfance était-elle ce paradis

où la mort n’existait pas, où tout était réel ?

Où retrouverions-nous un peu de cette innocence

sinon dans l’amour ? L’amour est comme le sol

qui écorchait, lorsqu’on le rencontrait, en tombant.

 

Jacques Lèbre, L’amour est comme le sol, dans

Sonnets de la tristesse, Le temps qu’il fait, 2025, p. 73.

08/03/2025

Jacques Lèbre, Sonnets de la tristesse

      jacques lèbre, sonnets de la tristesse, amour

 

À plat ventre sur un banc de pierre,

une petite fille émiette du pain.

Elle parle aux moineaux sous les branches

et les arbres acquiescent à cette source.

Le monde règne ans une fraîche unité.

Sauf que dans l’allée les passants s’en vont,

les arbres font de vastes gestes d’adieu

et je ne sais pas ce qui là se brise.

 

Jacques Lèbre, L’amour est comme le sol, dans

Sonnets de la tristesse,Le temps qu’il fait, 2025, p. 69.

06/03/2025

Jacques Lèbre, Sonnets de la tristesse

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Toutes les relations familiales, amicales,

nous tiennent par des fils plus ou moins tendus ,

cela dessine une sorte de toile, semblable

à celle que tissent les araignées silencieuses.

 

Mais si jamais il n’y a plus aucun de ces fils

l’âme tombe peu à peu en déshérence .

Quand elle n’est plus tenue par aucun lien,

alors, alors la tête tombe sur la poitrine.

 

C’est aussi qu’il n’y a plus d’horizon

où résiderait encore quelque espérance ténue

en route vers cet ici si désolant.

 

Je veux dire celui de la maison de retraite

où l’on parque tous ces vieillards, les uns

après les autres, mis là comme au rebut.

 

Jacques Lèbre, Sonnets de la tristesse, Le Temps

qu’il fait, 2025, p. 33.

05/03/2025

Jacques Lèbre , Sonnets de la tristesse

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Et si tout était complètement faux ? Que sais-je au fond,

de la vie intérieure de ma mère ? Ce que j’imagine

n’est peut-être d’aucune vérité dans la réalité.

Alors on dira que c’est de la poésie, dans un sens péjoratif.

 

Soit je suis dans la justesse, soit je suis dans l’erreur,

mais une maison de retraite n’est pas un endroit très gai.

Je me souviens de l’une d’elles et de l’ami qui s’y trouvait,

elle était dans un cadre bucolique, c’était un mouroir.

 

L’ami laissé lui-même (il avait perdu la mémoire)

serait vite devenu grabataire s’il y était resté,

pour qu’il se lève de son lit, il fallait le soutenir.

 

Je ne sais s’il y a une parte de vérité dans ce que j’écris,

mais si j’écris, sans doute est-ce pour répondre à un choc,

faire ressentit peut-être, ce qui ressemble à une violence.

 

Jacques Lèbre, Sonnets de la tristesse, Le Temps

qu’il fait, 2025, p. 40..

04/03/2025

Jacques Lèbre, Sonnets de la tristesse

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3

Quelle tristesse… Tous ces vieillards assis

sur des fauteuils ou des fauteuils roulants, immobiles,

en rangs d’oignons ou en cercle dans la salle commune,

menton qui tombe sur la poitrine et qui semblent

 

ne plus rien attendre — sinon la mort.

Et quand vous passez, quelques têtes, mais pas toutes,

se relèvent, se tournent lentement, à mesure,

vous suivent des yeux — telles des vaches dans un pré.

 

Une fin de vie peut durer très longtemps,

et si l’on a toujours la conscience du temps…

Quelle tristesse … Tous ces regards éteints,

 

ce silence des vies qui viennent ici finir

et dont on ne soupçonne même pas ce qu’elles furent

ailleurs en leurs lieux et en leur temps.

 

Jacques Lèbre, Sonnets de la tristesse, Le Temps qu’il fait,

2025, p. 27.

28/06/2017

Jacques Lèbre, Sonnets de la tristesse, dans Secousse

 

      jacques Lèbre.JPG

                 Sonnets de la tristesse

                               I

On voit parfois, quand on traverse un village,
un coin de rideau qui se soulève au bas d’une fenêtre,

puis le mouvement de recul d’un visage ridé
c’est que nous aurons regardé dans cette direction,

 

attirés par ce mouvement – comme d’une aile d’oiseau –,

soudain, il se sera inscrit dans notre champ de vision.

Rabaissé, le rideau estompe le visage, puis le gomme

comme si depuis la nuit des temps le dessin devait être raté,

 

celui d’une vie, eau morte qui désormais clapote
derrière une fenêtre qui désormais sert de frontière,
mais transparente pour laisser voir ce qu’il y a d’encore vivant

 

dehors où nous passons. Et nous n’aurions rien soupçonné

si le rideau n’avait pas été soudain corné, comme la page

d’un livre quand on en interrompt la lecture.

 

 

                                      III

Quelle tristesse... Tous ces vieillards assis
sur des fauteuils ou des fauteuils roulants, immobiles,

en rang d’oignons ou en cercle dans la salle commune,

tête qui tombe sur la poitrine et qui semblent

 

ne plus rien attendre – sinon la mort.
Et quand vous passez, quelques têtes, mais pas toutes,

se relèvent, se tournent lentement à mesure,
vous suivent des yeux – comme des vaches dans un pré.

 

Une « fin de vie » peut durer très longtemps,

et si l’on a toujours la conscience du temps...

Quelle tristesse... Tous ces regards éteints,

 

ce silence des vies qui viennent ici finir
et dont on ne soupçonne même pas ce qu’elles furent

ailleurs en leurs lieux et en leur temps.

 

Jacques Lèbre, Sonnets de la tristesse, dans Secousse,

revue en ligne n° 22, été 2017, éditions Obsidiane.