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11/03/2015

Jack Kerouac, Le LIvre des esquisses, 1952-1954

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[...]

encore 500 miles jusqu’à Denver,

j’ai 1, 46 $ — mais

me sens de nouveau vivant & même

que je serai sauvé, c-à-d,

je ne suis pas un canard crevé,

ni un criminel, un

    clodo, un idiot, un imbécile

  mais un grand poète

& un brave type & maintenant que c’est établi je

vais arrêter de me plaindre de

   ma situation —&— me concentrer

sur mon travail à la Sp. RR pour

assurer mes besoins, comme ça je

   pourrai écrire en paix, mettre en route

   l’œuvre de ma vie sur mon

      univers intérieur, 2e partie,

car Docteur Sax était

à coup sûr la première partie !

 

Jack Kerouac, Livre des esquisses, 1952-1954,

La Table ronde, 2010, p. 123-124.

19/05/2014

Lucio Mariani, Restes du jour, traduit de l'italien par Jean-Baptiste Para

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Testament du joueur de cartes et poète

 

Quand s'éteindra

ma lanterne brumeuse, intermittente

et que j'aurai quitté le grand réfectoire

si l'un des fennecs

qui fouillent les urnes funéraires

avait la lubie —quia absurdum —

de relier mes papiers

avec une aiguille et des baguettes de bois

pour observer mes reliques sous verre

et expliquer qui je fus,

qu'il se garde de tirer des conclusions,

sous peine d'expier à coup de verges

sa contrefaçon de l'histoire.

Car mon œuvre ne fut que travaux en cours,

règles à polir, baumes volatils,

sources et issues accidentelles

voix précaires et tentatives d'homme orchestre,

rien d'autre en somme

que les stations transitoires d'une vie à grands traits.

Tout le jeu consistant à changer

corps et pensée

sous la tignasse bleue des hêtres.

 

Lucio Mariani, Restes du jour, traduit de l'italien par

Jean-Baptiste Para, Cheyne, 2012, p. 59.

21/10/2012

Aragon, Les Adieux et autres poèmes

 

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                                          Échardes

 

                                           I

 

Cesse donc de gémir. Rien de plus ridicule

Q'un homme qui gémit

Si ce n'est un homme qui pleure

 

                                  II

 

Je me promène

Avec un couteau d'ombre en moi

Je me promène avec

Un chat dans ma mémoire

Je me promène

Avec un pot de fleurs fanées

Je me promène

Avec un vêtement irréparable

Je me promène

Avec un grand trou dans mon cœur

 

                                    III

 

Crois moi

Rien ne fait si mal qu'on pense

 

                                      IV

 

Plus le poème est court

Plus il entre dans la chair

 

                                       V

 

Il faut chasser de la cité ce poète

Il n'y a pas dans la cité de place

Pour l'exemple de la douleur

 

                                       VI

 

Nous avons tout fait pour ceux qui étouffent

Tout fait pour ceux qui demandent de l'air

Construit sur la nuit des fenêtres

Ouvert partout des dispensaires

Épargnez-nous ce bruit de plaintes

 

                                       VII

 

Il n'y a jamais rien de si beau qu'un sourire

Et même avec un visage défiguré

N'as-tu pas souci d'être beau

 

Aragon, Les Adieux et autres poèmes, dans Œuvres poétiques complètes, II, édition publiée sous la direction d'Olivier Barbarant, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 2007, p. 1129-1130.

20/05/2011

Rainer Maria Rilke, Lettres à un jeune poète

 

Rainer Maria Rilke, Lettre, poèteVous demandez si vos vers sont bons. C’est à moi que vous posez la question. Vous en avez interrogé d’autres auparavant. Vous les envoyez à des revues. Vous les comparez à d’autres poésies et vous vous inquiétez quand certaines rédactions refusent vos essais. Or (puisque vous m’avez autorisé à vous conseiller), je vous invite à laisser tout cela. Vous portez vos regards au-dehors ; or, c’est précisément ce qu’en ce moment vous devriez ne pas faire. Personne ne peut vous conseiller ni vous aider, personne. Il n’existe qu’un seul moyen, qui est de rentrer en vous-même. Cherchez le sol d’où procède ce besoin d’écrire ; vérifiez s’il étend ses racines jusqu’au plus profond de votre cœur ; faites-vous l’aveu de savoir si vous devriez mourir au cas où il vous serait interdit d’écrire. C’est cela surtout qui compte : demandez-vous à l’heure la plus silencieuse de votre nuit si vraiment il vous faut écrire. Creusez en vous-même jusqu’à trouver la réponse la plus profonde. Et si cette réponse est affirmative, si vous ne pouviez accueillir cette grave question qu’en disant simplement, fortement : « Oui, il le faut », alors construisez votre vie en fonction de cette nécessité ; votre vie doit être, jusqu’en ses instants les plus insignifiants et les plus minimes, la marque et le témoignage de ce besoin.

 

Rainer Maria Rilke, Lettres à un jeune poète, traduction de Claude David, dans Œuvres en prose, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1993, p. 928.