20/06/2023
Francis Ponge, Nouveau nouveau recueil, I,
Divagations
C’est le titre du principal ouvrage en prose d’une des plus grands poètes français, dont on fête ces jours-ci le centenaire.
C’est aussi le terme employé dans les ordonnances municipales pour désigner le vagabondage des chiens sur la voie publique, leurs déambulations autour des poubelles et des troncs d’arbre, le nez actif ou la patte levée.
Une note récente de la mairie de Roanne vient de rappeler à l’ordre les propriétaires de ces promeneurs affairés, qui risquent désormais le fourrière et la mort sans phrases dans les deux ou trois jours à dater de leur capture.
Posséder un chien à l’heure actuelle est certes légitime, le nourrir est méritoire : le promener est permis, à condition de le surveiller de près.
Mais posséder deux ou trois chiens est devenu paradoxal ; les nourrir est acrobatique et vaguement suspect ; les laisser divaguer, délictueux et sans excuses.
L’hygiène de notre ville— qui pose d’ailleurs d’autres problèmes plus graves — justifie entièrement la mesure qui vient d’être prise, à laquelle les amis des bêtes eux-mêmes ne peuvent qu’applaudir.
(vendredi 3 avril 1942)
Francis Ponge, Nouveau nouveau recueil, I, dans Œuvres complètes, II, Gallimard / Pléiade, 2002, p. 1159.
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02/02/2021
Madame du Deffand, Correspondance avec Voltaire
Voltaire, 9 mai 1764
(...) Quant à la mort, raisonnons un peu, je vous prie : il est très certain qu’on ,ne la sent point, ce n’est point un moment douloureux, elle ressemble au sommeil comme deux gouttes d’eau, ce n’est que l’idée qu’on ne se réveillera plus qui fait de la peine, c’est l’appareil de la mort qui est horrible, c’est la barbarie de l’extrême-onction, c’est la cruauté qu’on a de nous avertir que tout est fini pour nous. À quoi bon venir nous prononcer notre sentence ? Elle s’exécutera bien sans que le notaire et les prêtres s’en mêlent. Il faut avoir fait ses dispositions de bonne heure, et ensuite n’y plus penser du tout. On dit quelquefois d’un homme, il est mort comme un chien, mais vraiment un chien est très heureux de mourir sans tout cet abominable attirail dont on persécute le dernier moment de notre vie. Si on avait un peu de charité pour nous on nous laisserait mourir sans nous en rien dire.
Madame du Deffand, Correspondance avec Voltaire, des femmes, 1987, p. 140.
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27/12/2020
Tristan Corbière, Les Amours jaunes
À MON CHIEN POPE
— GENTLEMAN-DOG FROM NEW-LAND —
mort d’une balle.
Toi : ne pas suivre en domestique,
Ni lécher en fille publique !
— Maître-philosophe cynique :
N’être pas traité comme un chien,
Chien ! tu le veux — et tu fais bien.
— Toi : rester toi ; ne pas connaître
Ton écuelle ni ton maître.
Ne jamais marcher sur les mains,
Chien ! — c’est bon pour les humains.
… Pour l’amour — qu’à cela ne tienne :
Viole des chiens — Gare la Chienne !
Mords — Chien — et nul ne te mordra.
Emporte le morceau — Hurrah ! —
Mais après, ne fais pas la bête ;
S’il faut payer — paye — Et fais tête
Aux fouets qu’on te montrera.
— Pur ton sang ! pur ton chic sauvage !
— Hurler, nager —
Et, si l’on te fait enrager…
Enrage !
Île de Batz. — Octobre.
Tristan Corbière, Les Amours jaunes, Gladys frères,
1873, p. 147.
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28/03/2020
Henri Thomas, Le crapaud dans la tour
La pleine lune éclairait ma chambre par la fente des volets, et mon chien qui se promenait dans la propriété était fou comme à chaque pleine lune ici. Colpach ne connaissait, jusqu’à l’été, que les nuits des Ardennes. Celles d’ici, par pleine lune, l’ont mis dans de telles frayeurs que j’ai presque regretté de l’avoir amené, mais je n’avais vraiment personne à qui le confier. Il a peur, et il se met à aboyer, c’est le cas de le dire, à la lune. Cela m’a valu des plaintes de nos hôtes intellectuels. Cette nuit-là j’ai entendu une fenêtre s’ouvrit, et la voix de la jeune artiste-peintre : « Ô ce chien ! »
Colpach ne se calme que si je viens à lui et lui prends le museau dans ma main. Je l’ai trouvé sur une terrasse écartée, et je l’ai amené dans mon garage où il fait noir.
Henri Thomas, Le crapaud dans la tour, Fata Morgana, 1992, p. 14-15.
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25/01/2019
Peter Huchel, La neuvième heure
Par les routes
La troupe vagabonde
des feuilles glacées,
le jour l'a rabattue sur la fosse à feu
avec ses lacets.
Près du chariot
à l'abri de la bâche,
la bohémienne
à ses pieds,
emmitouflé, l'enfant endormi.
Elle sort de sa veste de mouton
un jeune chien qui tète,
en l'allaitant
elle nourrit dans la neige le vent affamé.
Sœur lointaine
de la déesse asiatique,
le croissant de silex,
tu l'as perdu
au bord des étangs infernaux.
Tu entends dans la nuit l'aboi
derrière les traces de roues, d'un campement l'autre.
Unterwegs
Die streifende Rotte
vereister Blätter
fällte der Tag
mit Drähten über der Feuergrube.
Neben dem Karren
im Schutz der Plache
die Zigeunerin,
zu ihren Füßen
eingewickelt das schlafende Kind.
Sie hebt aus dem Schafspelz
einen jungen Hund an die Brust,
ihn säugend,
säugt sie den hungrigen Wind im Schnee.
Ferne Tochter
der asiatischen Göttin,
die Feuersteinsichel
hast du verloren
am Rand der höllischen Teiche.
Du hörst das Gebell in der Nacht
das der Radspur folgt von Lager zu Lager.
Peter Huchel, La neuvième heure [Die neunte Stunde], traduit de l'allemand par Maryse Jacob et Arnaud Villani, Atelier La Feugraie, 2013, p. 63 et 62.
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11/04/2018
Antonin Artaud, Silence
Silence
Belle place aux pierres gelées
Dont la lune s’est emparée
Le silence sec et secret
Y recompose son palais
Or l’orchestre qui paît ses notes
Sur les berges de ton lait blanc
Capte les pierres et le silence.
C’est comme un ventre que l’amour
Ébranle dans ses fondements
Cette musique sans accent
Dont nul vent ne perce l’aimant
La lumière trempe au milieu
De l’orchestre dont chaque jour
Perd un ange, avance le jour.
Rien qu’un chien auprès du vieillard
Ils auscultent l’orgue en cadence
Tous les deux. Bel orgue grinçant
Tu donnes la lune à des gens
Qui s’imaginent ne devoir
Leurs mirages qu’à leur science.
Antonin Artaud, Silence [1925], dans
Œuvres complètes, tome I*, Gallimard, 1976, p. 253.
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10/12/2017
Franz Kafka, Journal (traduction Marthe Robert)
18 novembre [1913]
Je vais recommencer à écrire, mas que de doutes, entre temps, sur ma création littéraire ! Au fond, je suis une être incapable et ignorant qui, s’il n’avait été mis de force à l’école — je n’y allais que contraint, sans aucun mérite personnel, sentant à peine la contrainte — serait tout juste bon à rester blotti, dans une niche à chien, à sauter dehors quand on lui apporte sa pâtée et à rentrer d’un bond quand il l’a engloutie.
Franz Kafka, Journal, traduction Marthe Robert, Grasset, 1954, p. 297-298.
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06/10/2016
Henri Michaux, Passages
Notes au lieu d’actes
On vit souvent quelques-unes des premières années d ea vie dans le non-événement. Puis avec tel ou tel événement on commence à prendre contact . Le fatal engrenage chez les uns et les autres diversement déclenché, il se fait alors parallèlement une pente en soi pour l’événement, pour encore de l’événement, pour toujours plus d’événements, pour sans fin de l’événement. Certains pourtant, dupes jusqu’au bout, croient encore être pour l’avènement du non-événement.
Actualité : incessamment des chiens parcourent les steppes à loups pour en faire des chiens.
La souricière du langage est telle que, quoi qu’on fasse, on ne prend guère que des souris qui ont déjà été prises précédemment : les mots parlent d’eux-mêmes.
Après la grandeur, tôt ou tard l’emballage.
Henri Michaux, Passages, dans Œuvres complètes, II, édition R. Bellour, avec Ysé Tran, Pléiade / Gallimard, 2001, p. 383, 384, 385, 385.
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19/04/2016
Robert Pinget, Mahu ou le matériau
Le chèque
Un chien se présente au couvent de Sainte-Fiduce. Il demande à la bonne sœur de faire des prières pour que son maître le retrouve. Son maître l’a perdu un jour à la chasse et depuis personne n’en a entendu parler. Mais lui, il a rôdé sans cesse jusqu’à cette idée de prières.
La bonne sœur le fait attendre au parloir. Elle revient quelques instants après et lui dit que la Mère Supérieure ne veut pas entendre parler de prières pour les chiens. Inutile d’insister. Les dernières faites au couvent contre la règle l’ont été pour une chèvre. Des ennuis épouvantables en sont issus. Cette chèvre apparaissait à tout propos, un peu partout, dans des attitudes pieuses, et vraiment ça n’était pas convenable. On finissait dans le pays par la confondre avec sainte Fiduce elle-même qui, comme chacun sait, apparaît souvent.
Le chien à ces paroles rougit, rougit, rougit. La bonne sœur lui demande ce qu’il a. Et lui, naïvement, lui dit qu’il a été cette chèvre assez longtemps. Qu’il n’y pouvait rien, qu’il espérait retrouver son maître plus facilement sous cette forme. « Mon maître m’a perdu en chassant le jour de la Toussaint. »
[...]
Robert Pinget, Mahu ou le matériau, éditons de Minuit, 1952, p. 82-83.
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22/05/2013
Constantin Cavafy, Œuvres poétiques
Maison avec jardin
Je voudrais une maison à la campagne
Avec un grand jardin, moins
Pour les fleurs, les arbres, la verdure
(S'il y en a, tant mieux, c'est superbe)
Que pour avoir des bêtes. Ah ! Je voudrais des bêtes !
Au moins sept chats, deux complètement noirs
Et deux blancs comme la neige, pour le contraste ;
Un grave perroquet que j'écouterais
Bavarder avec emphase et conviction.
Les chiens, trois suffiraient, je pense.
Je voudrais encore deux chevaux (ce sont de bonnes bêtes),
Et sans faute trois ou quatre de ces merveilleux,
De ces sympathiques animaux, les ânes,
Qui resteraient là sans rien faire, à jouir de leur bien-être.
Constantin Cavafy, Œuvres poétiques, traduction Socrate C. Zervor et Patricia Portier, Imprimerie Nationale, 1992, np.
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