07/12/2016
Jean Genet, Un chant d'amour
Un chant d’amour
Berger descends du ciel où dorment tes brebis !
(Au chevet d’un berger bel Hiver je te livre)
Sous mon haleine encor si ton sexe est de givre
Aurore le défait de ce fragile habit.
Est-il question d’aimer au lever du soleil ?
Leurs chants dorment encor dans le gosier des pâtres.
Écartons nos rideaux sur ce décor de marbre ;
Ton visage ahuri saupoudré de sommeil.
Ô ta grâce m’accable et je tourne de l’œil
Beau navire habillé pour la noce des Îles
Et du soir. Haute vergue ! Insulte difficile
Ô mon continent noir ma robe de grand deuil !
[…]
Jean Genet, Le condamné à mort, l’enfant criminel,
[…], L’Arbalète, 1966, p. 81.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jean genet, un chant d'amour, berger, aube, visage, noce | Facebook |
09/02/2016
Jean Genet, Un chant d'amour
Un chant d’amour
Berger descends du ciel où dorment tes brebis !
(Au duvet d’un berger bel Hiver je te livre)
Sous mon haleine encore si ton sexe est de givre
Aurore le défait de ce fragile habit.
Est-il possible d’aimer au lever du soleil ?
Leurs chants dorment encore dans le gosier des pâtres,
Écartons nos rideaux sur ce décor de marbre ;
Ton visage ahuri saupoudré de sommeil.
Ô ta grâce m’accable et je tourne de l’œil
Beau navire habillé pour la noce des Îles
Et du soir. Haute vergue ! Insulte difficile
Ô mon continent noir ma robe de grand deuil !
[...]
Jean Genet, Un chant d’amour, dans Le condamné à mort,
L’Arbalète, 1966, p. 81.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jean genet, un chant d'amour, berger, brebis, sexe, soleil, sommeil deuil | Facebook |
06/06/2015
Jules Renard, Le petit bohémien
Le petit bohémien
En sortant de l’épicerie du village, avec une bouteille, il courut après des moutons que leur berger ramenait à la ferme. Il ne dit rien à ce berger qui avait la tête de plus que lui et n’aurait pas répondu, mais il suivit le troupeau et s’en occupa, de loin, comme un second berger.
Quand une brebis restait en arrière, c’était sa part : il pouvait la flatter, tremper ses doigts dans sa laine, lui parler en maître jusqu’à ce que le chien vint la reprendre.
À la porte de la bergerie, le petit bohémien fut sérieusement utile.
Les agneaux nouveaux-nés, qui n’avaient pas vu leur mère de la soirée, se précipitaient dehors, sous elles. Il les aida à retrouver chacun la sienne. Il en sépara deux qui s’obstinaient à donner des coups de tête au même ventre. Il en rattrapa un autre qui, joyeux d’être libre, oubliait de téter et bondissait imprudemment vers la mare.
Puis, pour sa récompense, le petit bohémien voulut pénétrer dans la bergerie. Il se croyait chez lui. Mais le berger lui ferma au nez le bas de la porte divisée en deux parties. Le petit bohémien posa à terre sa bouteille, se pendit à la porte basse, et regarda par-dessus. Ses yeux essayaient de percer l’ombre.
Il n’eut pas le temps de se fatiguer les poignets. Le berger, sa besogne terminée, ressortit, ferma cette fois la porte tout entière, le haut et le bas, au verrou, et s’en alla du côté de la soupe, avec son chien.
Le petit bohémien qui le suivait encore, le vit entrer dans la maison et s’asseoir près des autres domestiques, à la table commune. Il resta seul au milieu de la cour.
Personne ne faisait attention à lui, et la fermière ne se dérangea pas pour le chasser.
Il renifla fortement et revint à la bergerie coller son oreille à la porte. Les agneaux calmés se taisaient un à un. Il s’assura que le verrou extérieur était bien poussé, et par précaution chercha une grosse pierre afin de caler la porte. Cela fait, n’imaginant plus rien à faire, il reprit sa bouteille et se décida à quitter la ferme.
C’est à ce moment qu’il aperçut un monsieur sur la route. Il ôta ses sabots, mit ses mains dedans, et pieds nus, rattrapa vite le monsieur.
Il ne me dit pas bonjour.
[...]
Je parlai le premier et lui dis :
« Qu’est-ce qu’il y a de jaune dans ta bouteille «
— De l’huile et du vinaigre que j’ai achetés à l’épicerie.
— Pour mettre dans ta salade ?
— Dame ! pas dans ma soupe.
[...]
Jules Renard, Le Vigneron dans sa vigne, dans Œuvres I, textes établis par Léon Guichard, Pléiade / Gallimard, 1970, p. 820-821.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, MARGINALIA | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : ules renard, le petit bohémien, berger, mouton, travail | Facebook |
21/03/2013
Georges Limbour, Soleils bas
Les bergers sans moutons
à Max Jacob
Nous sommes d'un pays
qui n'a pas d'arbres fruitiers
Nos mains ont pressé le lait
du sein de la cornemuse
Nos cœurs saignent dans les mûriers
pourquoi nos sœurs sont-elles laides
si les légendes nous abusent
Nous clouons les papiers blancs
des bouquetières du midi
sur les croix des cerfs-volants
aux migrations indéfinies
À ces cœurs mal équilibrés
toute la plaine se suspend
en avant-garde ils guideraient
des peuplades d'ambulants
Herbes rases séchées sans même de troupeau
Vous fleurissez très haut vos cœurs vains de papier
Trainant comme un regret leur queue de bigoudis
qui n'ont dans le sommeil frisé de chevelure
en ce morne pays rongé de roussissures.
Notre vie est penchée ainsi que des fumées
nos gestes de sonneurs n'énervent pas le ciel
Tels des bouquets noyés nos cerfs-volants dérivent
et le monde paraît les suivre.
Georges Limbour, Soleils bas, suivi de poèmes, de
contes et de récits (1919-1968), préface de Michel Leiris,
Poésie / Gallimard, 1972, p. 23-24.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : georges limbour, soleils bas, légende, cerf-volant, berger | Facebook |