14/05/2020
Eugenio Montale, La Tourmente
Lumière hivernale
Lorsque je descendis du haut ciel de Palmyre
sur palmiers nains et propylées candis
et qu’à la gorge un étau m’avertir
que tu m’emporterais,
lorsque je descendis du ciel de l’Acropole
et trouvai, sur des kilomètres, des corbeilles
de poulpes et de murènes
(ces dents, une scie
sur le cœur qui se serre),
lorsque j’abandonnai cette cime aux aurores
inhumaines pour le musée gélifié
— momies et scarabées — (tu pâlissais,
ma vie unique) et vins comparer lave
et jaspe, sable et soleil, fange
et divine argile —
à l’étincelle
qui jaillit, je fus neuf, et fait cendres.
Eugenio Montale, La Tourmente et autres poèmes,
Traduction Partice Angelini, Gallimard, 1966, p. 91.
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07/08/2015
Eugenio Montale, Derniers poèmes - Ce qui en reste (s'il en reste)
Ce qui en reste (s’il en reste)
la vieille servante illettrée
et barbue enterrée Dieu sait où
pouvait lire mon nom et le sien
comme des idéogrammes
peut-être ne pouvait-elle se reconnaître
pas même dans une glace
mais elle gardait l’œil sur moi
tout en ne sachant de la vie rien
elle en savait bien plus que nous
dans la vie ce que l’on gagne
d’un côté on le perd de l’autre
Dieu sait pourquoi je me la rappelle
plus que tout et que tous
si elle entrait maintenant dans ma chambre
elle aurait cent trente ans et je crierais d’effroi.
(20 mars 1976)
Eugenio Montale, Derniers poèmes, Poésies VI, traduction de Patrice Dyerval Angelini, Gallimard, 1988, p. 103.
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20/05/2015
Eugenio Montale, La tourmente et autres poèmes
Jour et nuit
Même une plume en volant peut dessiner
ta silhouette, ou le rayon qui joue à cache-cache
entre les meubles, répercuté du toit
par un miroir d’enfant. Sur le pourtour des murs
des traînées de vapeur allongent l’aiguille
des peupliers ; en bas sur le perchoir s’ébroue le perroquet
du rémouleur. Puis la nuit étouffante
sur la place, le bruit des pas, et toujours cette dure fatigue,
sombrer pour resurgir semblable
depuis des siècle, ou des instants, de cauchemars qui ne peuvent
retrouver la lumière de tes yeux dans l’antre
incandescent — les mêmes cris encore, les mêmes pleurs
sur la terrasse
si retentit le coup soudain qui te rougit
la gorge et brise l’aile, ô téméraire
annonciatrice d’aubes,
et que s’éveillent cloîtres et hôpitaux
au son lacérant des trompettes
(traduction Louise Herlin)
Eugenio Montale, La tourmente et autres poèmes, Poésies III, Gallimard,
1966, p. 33.
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17/01/2012
Eugenio Montale, Derniers poèmes
J'ai parsemé le balcon de miettes à becqueter
pour le concert, demain, à l'aube.
J'ai éteint la lumière, attendu le sommeil.
Et sur la passerelle déjà commence
le défilé des morts grands et petits
que j'ai connus vivants. Ardu le choix
de ceux que je voudrais ou non voir revenir
parmi nous. Là où ils sont
ils semblent inaltérables pat un surplus
de corruption sublimée. Nous avons
fait de notre mieux pour qu'empire le monde.
(11 avril 1975)
Ho sparso di becchime il davanzale
per il concerto di domani all'alba.
Ho spento il lume e ho atteso il sonno.
E sulla passerella già comincia
la sfilata dei morti grandi e piccoli
che ho conosciuto in vita. Arduo distinguere
tra chi vorrei o non vorrei che fosse
ritornato tra noi. Là dove stanno
sembrano inalterabili per un di più
di sublimata corruzione. Abbiamo
fatto del nostro meglio per peggiorare il mondo.
Eugenio Montale, Derniers poèmes, Poésie VI, édition bilingue, choix, traduction et notes de Patrice Dyerval Angelini, Gallimard, "Du monde entier", 1988, p. 65 et 64.
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