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26/06/2024

Marianna Kiyanovska, Partager la lumière

18 Marianna Kiyanovska.JPG

C’est la faute à la guerre dit la petite fille la faute à la guerre

si le printemps tarde tellement à venir

déjà les cigognes se sont envolées, les cerisiers ont fleuri

 

c’est la faute à la guerre dit la petite fille

voici deux jours que mon Ouman est dans le brouillard

j’ai si mal à ma ville à mon Ouman si mal

que la douleur suspend son vol comme le halo d’une étoile ou d’une fleur

et alors on la voit dit la petite fille

je marche et je vois dit-elle

 

c’est la faute à la guerre dit la petite fille et le vent fait voler les cendres de la vie des gens

ici le vent emporte les cendres de la vie des gens partout

au lieu des fleurs ailleurs

 

à présent les gens là-haut et les cerisiers là-haut

se sont envolés ont fleuri

 

la petite file dit qu’il n’y a presque plus de temps c’est la faute à la guerre

dans le brouillard la guerre va plus vite que le temps plus vite que deux jours

et c’est bizarre que le printemps tarde tellement à venir

 

Marianna Kiyanovska, Partager la lumière, traduction de l’ukrainien Iryna Dmytrychyn, dans La Revue de belles-lettres, 2024-I, p. 121.

04/06/2022

Étienne Faure, Vol en V

                                  etienne-Faure.jpg

Les dieux sont courroucés sur l’Ukraine, il tonne,

ça résonne tout le long de la frontière cernée

de saules et de bouleaux, deux tristesses, deux détresses

— pousser malgré l’eau des marais et la terre sableuse

parmi les tombes d’outre-tombe (terre et ombre)

d’outre-rivière en son temps signataire

du pacte sinueux germano-soviétique —,

les croix en bois dans le jardin

plantées comme s’il en poussait après la pluie

ont repris leur élévation vers le ciel

bleu égaré, vieille antienne

évanouie finalement après qu’on est passé clore

le sujet comme on clôt l’incident de toute une vie,

ne sachant si les tombes affalées

parmi les Versgissmeinnicht et les orties

avaient appartenu un temps au camp

des assaillants, des réfugiés, ni de quel

pays démantelé l’hiver fut recomposé,

ni

de quel bois les souvenirs se chauffent.

Bang

 

dans un jardin planté de croix

 

Étienne Faure, Vol en V, Gallimard, 2022, p. 131.