12/11/2021
Eugène Savitzkaya, Capolican
Il importe à présent de parler du coq que d’aucuns trouvent infâme et malfaisant. Il est cupide, boutiquier, criard, mais lorsqu’on arrive à le surprendre dans son intimité on ne peut qu’être attendri par cet animal.
Sur l’établi de bois où il a installé sa maison, il joue comme il peut aux heures creuses de la journée. Il s’est fabriqué un chariot rt il fait la navette d’un bout à l’autre de la table. Aux grincements des roues se joignent les raclements de son bec sur la craie du mur. Dessiner la lune n’est pas chose aisée même pour un marabout de cette envergure. Il dresse des plans de machines d’une telle précision que l’on voit tourner les disques et les courroies, la demi-lune prise dans un amas inextricable des fils. Il poursuit des lignes blanches qui disparaissent dans des trous.
(...)
Eugène Savitzkaya, Capolican, 1987, p . 51.
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11/11/2021
Jean-Philippe Salabreuil, L'inespéré
Au corps perdu de la beauté
Ô dans l’obscur délice de l’issue
Vers toi qu’est-ce qui soudain m’illuminait
D’une brûlure graciée lorsque je sus
Qu’il est au-delà du suffocant ressaut de neige
Dans l’être le feu d’un monde qui se leva ?
Mais regarde une fois encore (et tu vas
Te fermer bientôt sur l’or de la vie
Comme l’œil noir de l’eau) mes yeux sont dans la mort !
Je te vois n’ai-je su te ravir à toi ravie
Déjà que tu étais d’une aile blanche au corps
Perdu de la beauté au creux de la terre
Et ne t’aimerai plus jamais en ce monde clair ?
À moi fermée ! ne me regarde plus demeure
Une porte d’or close au fond des cieux meurs
Heureuse de m’aimer mourir de moi aimée
(Je te veille en ta nuit veille à mes jours mais
Ne te sois pas rouverte aux neiges de l’oubli
Quand je te rejoignais te rouvrir accomplie)
Et dans le blanc délire de l’essor
Et moi de ces lys en démence vers elle
Était un ange d’or qui parmi le réel
Voluptueux et noir a brillé comme l’aurore
Éclairant de ses dons les panneaux condamnés !
J’allais dans les feux de la voûte où sont nés
Les visages dorés du rêve (ils montent
Leurs yeux clos dans la gloire éternelle mais
Jamais s’éveilleront-ils ?) dans les anneaux du monstre
Où l’âme a reconnu la crypte du secret !
Qu’est-ce alors qu’il n’y eut plus que moi parmi
Les régions neigeuses de l’étoile ennemie ?
Alors à l’extrême le mur éternel blanc
Chanta comprenant une porte qui chante
Et s’ouvre dans le noir à l’état de soleil
(Une flamme s’élevait qui fut toi) merveille
Que ce feu dans le froid de la mort quand nous
Fûmes ce feu à l’astre où les âmes renouent !
Jean-Philippe Salabreuil, L’inespéré, Le Chemin, Gallimard,
1969, p. 91-92.
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10/11/2021
Dominique Meens, Ornithologie du promeneur
Arrivée précipitée du merle à son pupitre
Ponctuée d’une dynamique ponctuation de la queue, suivie d’une pause silencieuse, courte absence, bref repliement sur soi d’une première inspiration. Ne fermez pas les yeux, il n’y a rien à imaginer, surtout pas un décor, aussi merveilleux fût-il. Je vous concède l’Opéra, certainement, vous trouvez les coulisses, les salles obscures où sont données les répétitions du chant. Le triomphe du merle a déjà eu lieu. Un récital débute ici tandis qu’ailleurs s’estompe le brouhaha du parterre ; récital d’un genre nouveau puisqu’il intègre ses propres commentaires et critiques, ornementations baroques mais fermes et décidées. Notez en passant que les accès ne seront interdits à aucun moment de cette journée de février — notre cousin compte avec les saisons, comment pourrait-il en être autrement, mais nous voyons par exemple qu’il n’annonce pas le printemps.
Dominique Meens, Ornithologie du promeneur, éditions Allia, 1995, p. 53.
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09/11/2021
Sainte-Beuve, Joubert
Joubert
Sérieusement, la plaie littéraire de ce temps, la ruine de l’ancien bon goût (en attendant le nouveau), c’est que tout le monde écrit et a la prétention d’écrire autant et mieux que personne. Au lieu d’avoir affaire à des esprits libres, dégagés, attentifs, qui s’intéressent, qui inspirent, qui contiennent, que rencontre-t-on ? des esprits tout envahis d’eux-mêmes, de leurs prétentions rivales, de leurs intérêts d’amour propre, et, pour le dire d’un mot, des esprits trop souvent perdus de tous ces vices les plus hideux de tous que la littérature seule engendre dans ses régions basses. J’y ai souvent pensé, et j’aime à me poser cette question quand je lis quelque littérateur plus ou moins en renom aujourd’hui : « Qu’eût-il fait sous Louis XIV ? qu’eût-il fait au dix-huitième siècle ? » J’ose avouer que, pour un grand nombre, le résultat de mon plus sérieux examen, c’est que ces hommes-là, en d’autres temps, n’auraient pas écrit du tout. Tel qui nous inonde de publications spécieuses à la longue, de peintures assez en vogue, et qui ne sont pas détestables, ma foi ! aurait été commis à la gabelle sous quelque intendant de Normandie, ou aurait servi de poignet laborieux à Pussort. Tel qui se pose en critique fringant et de grand ton, en juge irréfragable de la fine fleur de poésie, se serait élevé pour toute littérature (car celui-là eût été littérateur, je le crois bien) à raconter dans le Mercure galant ce qui se serait dit en voyage au dessert des princes. Un honnête homme, né pour l’Almanach du Commerce, qui aura griffonné jusque-là à grand’peine quelques pages de statistique, s’emparera d’emblée du premier poème épique qui aura paru, et, s’il est en verve, déclarera gravement que l’auteur vient de renouveler la face et d’inventer la forme de la poésie française. Je regrette toujours, en voyant quelques-uns de ces jeunes écrivains à moustache, qui, vers trente ans, à force de se creuser le cerveau, passent du tempérament athlétique au nerveux, les beaux et braves colonels que cela aurait faits hier encore sous l’empire. En un mot, ce ne sont en littérature aujourd’hui que vocations factices, inquiètes et surexcitées, qui usurpent et font loi. L’élite des connaisseurs n’existe plus en ce sens que chacun de ceux qui la formeraient est isolé et ne sait où trouver l’oreille de son semblable pour y jeter son mot. Et quand ils sauraient se rencontrer, les délicats, ce qui serait fort agréable pour eux, qu’en résulterait-il pour tous ? car, par le bruit qui se fait, entendrait-on leur demi-mot ; et, s’ils élevaient la voix, les voudrait-on reconnaître ? Voilà quelques-unes de nos plaies.
Charles Auguste Sainte-Beuve, "Joubert", Revue des Deux-Mondes, 1838, p. 666 et sv.
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08/11/2021
Liliane Giraudon, Le travail de la viande
ce printemps
Mandelstam fait un tabac
au box-office
il surpasse Khlebnikov
pas compliqué
de comprendre pourquoi
toi qui as connu et vu
le cheval de la guerre civile
inclinant ses dents jaunes
arracher puis manger
l’herbe humaine
tu mesures pourquoi
Vélimir inlocalisable
garde aujourd’hui
encore cette allure d’étoile pestiférée
Liliane Giraudon, Le travail de la viande, P. O. L, 2019, p.92.
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à la rencontre de quelques oiseaux
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07/11/2021
Antoine Emaz, Jours
2. 03. 08
la peur
la mémoire noire
on ne la rappelle paa
elle vient
quand elle veut
ou peut-être un signal
d’un ultra son de vivre
elle remonte
on lui fait sa place
sans parler
on attend qu’elle reparte
par le premier train de nuit
*
le plus souvent
quand on l’entend venir
on commence par prendre un verre
et s’occuper de tout et rien
histoire
d’espérer qu’elle passera
à quelques pas
sans voir
ou la sale bête
taupe
parfois ça marche
on ne la revoit plus
elle ne faisait que passer
elle a jeté son froid
rappelé assez que l’on était
poreux
Antoine Emaz, Jours / Tage,
Éditions en forêt / Verlag im Wald,
2009, p. 109 et 111.
Photo T. H., 2007
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06/11/2021
Antoine Emaz, Jours
24.03.07
et quoi vient
dans la nuit blanche du corps
quel rat grignote
entre douleur et malaise
comme si
importait
ce tas d’atomes
de fait oui
il crisse
et on supporte mal
*
douleur seule
« capitale »
c’est beaucoup dire
on n’a pas vraiment de mots
sur ce qui fait mal
à qui le dire ou quoi
ça soignerait
on attend que le grain de sable
le papier de verre qui raie
dans l’épaule et la tête
s’en aille
le reste flotte
comme d’habitude
(...)
Antoine Emaz, Jours / Tage,
Éditions En Forêt / Verlag im Wald,
2009, p. 23 et 25.
Photo T.H., 2007
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05/11/2021
Antoine Emaz, Soirs
30.01.98
accorder la langue
sur peu de choses
là ce soir
seul
avec
le jour en vrac
tout est passé
*
restent l’herbe
quelques feuilles tordues sèches
le froid clair encore le mur
entre l’herbe et le mur
la lumière glace
à chaque fois renvoie
une paroi de froid
à la fin le crépi
craque gris
dans le soleil qui baisse
voilà
Antoine Emaz, Soirs,
Tarabuste, 1999, p. 74-75.
Photo T. H., 2007
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04/11/2021
Antoine Emaz, De l'air
Froid ((5.12.04)
dans le gris de l’hiver comme feutre
devenir d’un coup très vieux
des couches de lumière pâle
les unes sur les autres
jusqu’à ce gris flottant
entre ce qui se passe
et celui qui regarde
grand calme là
s’enliser sans fin
dans le terne
*
jour court
et rabot lent du froid
on ne s’habitue pas
un jardin de fer
le géranium finit son rouge
le pan de ciment non peint
à travers les branches du prunus
un ciel d’étain
bloque la neige
tout est gourd
Antoine Emaz, De l’air, le dé bleu,
2006, p. 56-57.
Photo T.H., 2010
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03/11/2021
Marie de Quatrebarbes, Les vivres
Marie de Quatrebarbes, d’un livre à l’autre, explore des formes. Avec Les vivres, elle choisit de revisiter celles du Journal. On sait bien que Stendhal et Kafka ne tenaient pas un Journal en vue de la publication, les choses ont changé quand le Journal a été édité du vivant même de son auteur, que l’on pense à Gide ou Julien Green hier, aujourd’hui à Charles Juliet ou Pierre Bergounioux : le Journal est devenu un genre littéraire. Traditionnellement, il s’agit d’un écrit autobiographique en prose dont l’auteur est le narrateur, qui est le personnage principal. Il implique une écriture à peu près régulière, même si toujours fragmentaire. Les vivresprésentent un Journal tenu pendant cinquante-six jours de juillet à décembre et toujours ouvert le 1er de chaque mois ; suivent des notations pendant quelques jours, qui s’espacent ensuite ou disparaissent. L’année n’est pas indiquée mais mention est faite à la fin du livre de la publication d’extraits à partir de 2014 et il est précisé que le texte du mois d’août a été écrit « en écho » au séminaire de Georges Didi-Huberman de 2014-2015, ce qui laisse penser à un décalage entre l’écriture de juillet et d’août et renforce l’idée d’un jeu avec le genre, confirmé par une brève adresse au lecteur en août : « Si vous lisez ceci ».
La subjectivité est bien présente avec le « je » et si d’autres pronoms apparaissent (tu, elles) qui peuvent l’inclure (on, nous), aucune figure n’a de consistance en dehors de celle dont est indiquée la disparition évoquée par une notation au passé le 1er juillet — le mot est employé le 2 —, et qui semble annoncée par l’extrait de Zanzotto choisi en exergue, « Je serai lointaine, mais je ne t’abandonnerai pas ». Si l’on prend Les vivres aussi comme un jeu avec un genre, il importe peu que la disparition soit, dans la réalité, celle de la grand-mère de l’auteure comme quelques indices plus ou moins précis le laissent entendre, par exemple « Je ne suis pas là lorsqu’elle me quitte » et, en septembre, « Se peut-il être, un de ces jours terrestres, la disparition hâtive d’un lien ? ».
De nombreuses images de l’enfance sont attachées à cette disparition tout au long du livre et sont un des éléments solides de son unité, depuis en juillet « l’enfant que je fus » à « les enfants savent lorsqu’il faut jouer désespérément » en décembre. Tout un passé de moments perdus émerge ici et là, à peine suggérés, comme s’ils composaient seulement une « jeunesse fictive », mais les traces dispersées aident cependant à reconstruire des étapes, depuis « mustela » (produit de soins pour bébé) à « poupée », à « ça crie des chambres d’enfants » et à l’annonce d’une autonomie, « Bientôt nous serons seules comme des grandes » et, enfin, à la photographie dans un médaillon ; il est aussi question de l’ennui des enfants », toujours présent chez l’adulte qui chante « pour tromper l’ennui ». Ces indications toujours discrètes esquissent pour le lecteur l’idée d’un autre temps avec lequel il y eut rupture (« Puis l’enfant quitta sa cage et s’excusa d’un oubli »), suffisamment forte pour qu’elle ait conservé un rôle (« Je me promène sans doute dans cet oubli-là »).
Si la disparition importe, c’est aussi parce qu’elle révèle l’incohérence du monde réel et ce qui remonte de l’enfance ne peut aider à rétablir un ordre acceptable ; les notations sont dispersées, fragmentaires, et leur retour échoue à construire une continuité. Comme si un récit ne pouvait être que fiction : « Une fiction s’achemine : l’après-midi, les enfants... fiction à laquelle on ne peut répondre qu’en hochant la tête ». La perte de repères liée à la disparition laisse devant une réalité peu avenante à tous les niveaux (« les grèves, les tempêtes »), où il faut trouver sa/une place — « Remets-toi au monde et plante-toi dans le décor, à nouveau » —, alors même que cette instabilité trouble jusqu’à l’usage de la langue.
On sait bien que rien n’impose dans un vrai Journal d’écrire des énoncés compréhensibles pour un lecteur autre que son auteur ; il suffit de lire celui de Kafka pour s’en convaincre, on y rencontre des phrases obscures, des allusions difficilement interprétables. Marie de Quatrebarbes, jouant avec le genre, ne se prive pas de ces incidents dans la rédaction qui ne peuvent que renforcer l’impression d’authenticité, bien plus que les pages ordonnées et lisses des Journaux écrits pour être publiés. Aussi trouve-t-on maints énoncés déconcertants pour le lecteur mais que l’auteure d’un vrai Journal n’aurait pas besoin d’expliciter, comme la juxtaposition de phrases sans rapport entre elles (« Tu parles d’une image aux chaussettes tirebouchonnées. La faïence n’a pas de prix. »), l’emploi de mots abrégés (« Se peut-il que lui-même soit abs. ext. air ? »). D’autres énoncés semblent plutôt refléter le désordre du monde, son absence de sens : un schéma syntaxique simple est brisé, un nom ne pouvant être en même temps complément et sujet dans une phrase (« Si je la cueille et la place dans ma main brille »), la compatibilité sémantique entre les mots est absente (« On ne ruse pas avec elle. Et si elle tombe, on la confie à des abeilles. »).
Rien de complètement obscur, le lecteur peut toujours inventer un contexte pour que les textes deviennent acceptables ; cependant, on lit des énoncés qui, littéralement, semblent dérailler, par exemple quand une phrase qui ouvre une page du Journal est reprise pour l’achever, ce que l’auteure commente, « Je ne fais que répéter ». On peut rapprocher ce type de reprise d’un rêve d’emboîtement des phrases à la manière des poupées russes, rêve d’un discours qui n’aurait pas de fin, de figures multipliées (« C’est toi peut-être en plus petit ? ») comme celles d’un « théâtre de cire ». Il y a toujours dans Les vivres un double mouvement ; si « frêne » entraine « réfrénez », presque aussitôt après cette paronomase vient : « Nous n’irons plus au bois », comme s’il fallait que les « lieux communs [soient] mille fois traversés ».
Ce qui traverse aussi le livre, propre à l’univers de Marie de Quatrebarbes, ce sont les références au cinéma, par des mots (gros plan, photographie, focal), le nom d’un acteur réalisateur (Clint Eastwood) et des allusions plus ou moins repérables à des films, par exemple « le reflet de l’œil grossi à la loupe » renvoie-t-il au Chien andalou de Bunuel ou à Peeping Tom (Le Voyeur) de Michael Powell — ou le lecteur invente-t-il ce qui lui convient ? Le titre lui-même n’est pas immédiatement lisible ; il ouvre la journée du 3 septembre : « Ce qui se mange : les vivres » et « vivres » est repris deux fois en novembre (« nous manquons à nos vivres » et « ils débarquent nos vivres ») : dans ce balancement du manque et de la présence, on est tenté de reconnaître en vivres une nourriture spirituelle, ce dont on se souvient, ce qui s’écrit et se lit — vivres si proche de livres. Trouble toujours : la force de ces proses souvent dérangeantes conduit heureusement à quitter ses certitudes de lecteur.
Marie de Quatrebarbes, Les vivres, P.O.L, 2021, 96 p., 12 €. Cette recension a été publiée dans Sitaudis le 5 octobre 2021.
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02/11/2021
Maël Guesdon, Mon plan
II
On vous pose quelque part (vous n’avez rien demandé). C’est quand même quelque chose d’un peu inquiétant puisqu’au tout début, vous êtes légèrement balbutiant. On vous lance là. Et chaque fois que vous ouvrez la bouche, c’est par inadvertance ou pour manger.
Comme tous les matins, les oiseaux et les couleurs criardes qui vont avec m’empêchent d’ouvrir complètement les yeux. Je ne supporte pas les dégradés, je tente d’ignorer ce calme affreux qui terminer la nuit en m’imaginant qu’aucune des choses que j’entrevois n’a de nom ni de fonction. Mais ce sont des choses que je connais et je crois bien que, dans cette clarté naissante, elles manifestent le mouvement où je me précipite en même temps qu’elles se reflètent sur les bords qui nous servent de supports.
Maël Guesdon, Mon plan, Corti, 2021, p. 15-16.
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01/11/2021
Quelques paysages au fil des ans
Photos T. H.
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31/10/2021
Maurice Blanchot, Le pas au-delà
Mourir : comme si nous ne mourions jamais qu’à l’infinitif. Mourir : le reflet sur la glace peut-être, le miroitement d’une absence de figure, moins l’image de quelqu’un ou de quelque chose qui ne serait pas là qu’un effet d’invisibilité qui ne touche à rien de profond et serait seulement trop superficiel pour se laisser saisir ou voir ou reconnaître. Comme si l’invisible se distribuait en filigrane, sans que la distribution des points de visibilité y soit pour quelque chose, non pas donc dans l’intimité du dessin, mais trop à l’extérieur, dans une extériorité d’être dont l’être ne porte aucune marque.
Maurice Blanchot, Le pas au-delà, Gallimard, 1973, p. 130-131.
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30/10/2021
Franck Delorieux, Quercus suivi de Le séminaire des nuits
La nuit engendre un silence de poix
Que percent seuls les vents durs
Dans les feuillages aux clochettes
De plomb et les cris épris de folie
D’une chouette effraie dont les yeux
Brillent pour traquer une proie la nuit
Meurt dans les bruits revenus elle
S’effrange fragile en attendant
L’aube et ses lumières en lames
D’argent oxydé qui tombent dru
Comme le hachoir d’un boucher
Qui frappe sans discontinuer la terre
Les rocs la flore la faune et l’homme
Seul dans sa nudité de pluie froide
Déjà un chien aboie dans le lointain
Tandis que le coq se casse la gorge
En un cri comme un bris de coquille
Chante beau coq à crête rouge solaire
Chante trois fois et je renie la nuit
Franck Delorieux, Quercus suivi de Le
séminaire des nuits, Gallimard, 2021, p. 91.
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