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18/10/2023

Paul Verlaine, Chair

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    Les méfaits de la lune

 

Sur mon front, mille fois solitaire,

Puisque je dois dormir loin de toi,

La lune, déjà maligne en soi

Ce soir jette un regard délétère.

 

Il fit ce regard — pût-il se taire !

Mais il prétend ne pas rester coi,

Qu’il n’est pas sans toi de paix pour moi ;

Je le sais bien, pourquoi ce mystère,

 

Pourquoi ce regard, oui, lui, pourquoi ?

Qu’ont de commun la lune et la terre ?

Ha, reviens vite, assez de mystère i

Toi, c’est le soleil, luis clair sur moi !

 

Paul Verlaine, Chair, dans Poésies complètes,

Bouquins/Robet Laffont, 2011, p. 840.

07/09/2023

Li Bai, Florilège

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Pensée d’une nuit calme

 

La lune luit, claire, devant mon lit,

On jurerait le sol couvert de givre.

Levant les yeux, j’ai la lune qui luit ;

Baissant les yeux, mon pays de revivre.

 

                           *

 

Dans la cité de la Luo, une nuit de printemps, j’entends une flûte

 

Chez qui la flûte en jade au son qui vole noir ?

Grâce au vent de printemps la ville en est emplpie !

J’entends « Coupons un saule ! » au sein des airs du soir ;

Qui donc du vieux jardin ne sent la nostalgie ?

 

Li Bai, Florilège, traduit du chinois, présenté et annoté par

Paul Jacob, Connaissance de l’Orient/Poésie /Gallimard,

2023, p. 165, 166.

24/04/2023

Johannes Bobrowski, Terre sarmate

johannes bobrowski, terre sarmate, poème d'amour, lune, hier, aujourd'hui

Poème d’amour

 

Lune, éponge d’huile, lanterne

lune — ou une plante des champs,

lune, disparais,

melon d’eau ou verte, biscornue

courge, je veux

par moi-même éclairer, seul,

mon amie, je veux

m’éteindre plus haut que toi,

rien que d’une hauteur

d’herbe — dans un arbre

surplombant la rivière,

lorsque viendra, humide,

le matin, je serai là, couché,

respirant encore.

 

Et je t’interroge,

toi qui étais couchée près de moi,

au sujet d’une lune

hier : quand a-t-elle disparu . ­ toi,

sans répondre, la lueur

qui vibre depuis ta voix

effleure le nuage.

 

Hier —

j’ai disparu —

aujourd’hui —

je t’ai entendue —

et je continue de respirer.

 

Johannes Bobrowski, Terre sarmate,

traduction Jean-Claude Schneider,

Atelier La Feugraie, 2005, p. 29.

10/06/2021

Bashô, Jours d'hiver

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De notre malheur

ne résoudra le mystère

le chant du coucou

 

Jusqu’aux fleurs des champs

butine le papillon

aux ailes froissées

 

De la creuse cigale

d’automne le cri sans voix

s’élève en silence

 

Ne pouvant la couvrit

elle fait tomber la lune

l’averse d’hiver

 

Joyeusement

gazouille l’alouette

tire-lire-li

 

Bashô, Jours d’hiver, traduction

René Sieffert, Presses orientalistes

de France, 1987, p. 21, 25, 33, 37, 41.

08/06/2021

Matsuo Bashô, Cent cinq haïkaï

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Un court moment

S’attarde sur les fleurs

Le clair de lune

 

Bruit d’étourneaux

Du micocoulier tombent des fruits

Tempête du matin

 

Viens me voir ici

De sous la magnanerie

Une voix de crapaud

 

Dans la nuit sombre

À la recherche de son nid

Le pluvier pleure

 

Les rossignols

De derrière les saules

De devant les broussailles

 

Matsuo Bashô,  Cent cinq haïkaï,

traduction Koumiko Muraoka et

Fouad El-Etr, La Délirante, 1979, np.

13/05/2020

Salvatore Quasimodo, Poèmes

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           Élégie

 

Froide messagère de la nuit

tu es revenue limpide au balcon

des maisons ravagées

pour éclairer des tombes sans nom

et les restes abandonnés de la terre fumante.

Ci-gît notre songe. Solitaire

tu montes vers le Nord où toute chose

s’achemine sans lumière à sa mort,

et tu résistes.

 

Salvatore Quasimodo, Poèmes, traduction

Pericle Patocchi, Mercure de France, 1958, p. 58.

27/12/2019

Thomas Bernhard, Sur la terre comme en enfer

 

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Tu ne sais rien, mon frère, de la nuit

 

Tu ne sais rien, mon frère, de la nuit

rien de ce tourment qui m’épuisait

comme la poésie qui portait mon âme,

rien de ces mille crépuscules, de ces mille miroirs

qui me précipitent dans l’abîme.

Tu ne sais rien, mon frère, de la nuit

que j’ai dû  traverser à gué dans le fleuve

dont les âmes sont depuis longtemps étranglées par les mers,

et tu ne sais rien de cette formule magique

que notre Lune m’a révélée entre les branches mortes

comme un fruit du printemps.

Tu ne sais rien, mon frère, de la nuit

qui me chassait à travers les tombeaux de mon père,

qui me chassait à travers des forêts plus grandes que la terre,

qui m’apprenait à voir des soleils se lever et se coucher

dans les ténèbres malades de ma tâche journalière.

Tu ne sais rien, mon frère, de la nuit

du trouble qui tourmentait le mortier,

rien de Shakespeare et du crâne brillant

qui, comme la pierre, portait des cendres par millions,

qui roulait jusqu’aux blanches côtes,

au-delà de la guerre et de la pourriture, avec des éclats de rire.

Tu ne sais rien, mon frère, de la nuit

car ton sommeil passait par les troncs fatigués

de cet automne, par le vent qui lavait tes pieds comme la neige.

 

Thomas Bernhard, Sur la terre comme en enfer, Orphée/La Différence,

2012, p. 47.

16/12/2019

Tristan Corbière, Les Amours jaunes

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               Paysage mauvais

 

Sable de vieux os — Le flot râle

Des glas : crevant bruit sur bruit.

— Palud pâle, où la lune avale

De gros vers, pour passer la nuit.

 

— Calme de peste, où la fièvre

Cuit… Le follet damné languit

— Herbe puante où le lièvre

Est un sorcier poltron qui fuit

 

— La lavandière blanche étale

Des trépassés le linge sale,

Au soleil des loups… — Les crapauds

 

Petits chantres mélancoliques

Empoisonnent de leurs coliques

Les champignons, leurs escabeaux.

 

Tristan Corbière, Les Amours jaunes,

dans C. Cros, T. C., Œuvres complètes,

Pléiade / Gallimard, 1970, p. 794.

26/11/2019

Rosanna Warren, De notre vivant

         

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                L’éclipse

 

En chemin vers cette éclipse

de lune  à Manhattan, étourdis

par la silhouette

des tours, on pensa la lune avalée

par les bloc-monstres d’édifice. Au retour

seulement fit-elle son apparition

rouillée, avec des traces menstruelles, à moitié

effacée dans son propre sang spectral

comme des bouts de poèmes punaisés sur le mur

du porche d’une maison d’été. Après un hiver de neige,

de vent et de pluie battante, ils se livrent eux-mêmes

timidement : encre pâle, lettres

vidées de sens, en scripte fantôme,

murmure persistant d’Hölderlin : dieu est proche

et dur à saisir

mais là où croît le péril

croît aussi ce qui sauve...

 

Mais que savions-nous du salut ?

 

Rosanna Warren, De notre vivant, dessins de Peter H. Begley, traduction  de l’américain Aude Pivin, éditions Æncrages, 2019, np.

18/10/2017

Raymond Queneau, Le Chien à la mandoline

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Dodo, l’enfant ut

 

Enfants qui déchiffrez dans l’ambre des agathes

Des entrailles le miel des lapins étendues

Sur l’étal du marchand avec leurs quatre pattes

Pour qu’ils ne courent pas deux ensemble cousues

 

Enfants qui préférez le goût des aromates

Au vol des papillons sur les pousses touffues

Y semant le pollen de leurs corps antennates

Exemples confondants des ères révolues

 

Enfants qui déchiffrez dans le cercle de lune

Un bûcheron bossu qui porte sa fortune

Quelque fagot de bois valant bien quatre sous

 

Enfants qui dans la nuit apercevez la hune

De bateaux sinistrés recouverts par la hune

Enfants vous qui rêvez enfants endormez-vous

 

Raymond Queneau, Le Chien à la mandoline,

Gallimard, 1965, p. 221-222.

10/09/2017

Buson, Le parfum de la lune

 

     buson (1716-1783),le parfum de la lune,nuit,lune,pluie,printemps

les journées lentes

s'accumulent

si loin autrefois

 

le poirier en fleurs

sous la lune

une femme lit une lettre

 

je marche, je marche

songeant à des choses et à d'autres

le printemps s'en va

 

au bord du chemin

des jacinthes d'eau arrachées fleurissent

la pluie du soir

 

la nuit, des voix d'hommes

irriguant les champs

la lune d'été

 

la nuit voilée

les grenouilles brouillent

l'eau et le ciel

 

Buson (1716-1783), Le parfum de la lune,

traduction Cheng Wing fun et Hervé

Collet, Moundarren, 1992, p. 55, 59,

68, 80, 90, 93.

15/06/2017

James Joyce, Poèmes

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               Seul

 

Les mailles d’or gris de la lune

Toute la nuit tissent un voile,

Les fanaux dans le lac dormant

Traînent des vrilles de cytise.

 

Les roseaux malicieux murmurent

Aux ténèbres un nom — son nom —

Et toute on âme est délice,

Mon âme défaille de honte.

 

James Joyce, Poèmes, traduction Jacques

Borel, Gallimard, 1967, p. 109.

02/06/2017

Izumi Shikibu, Poèmes de cour

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Suis-je un être humain

moi qui dors sans m’étonner

de ce monde de rêve

que je vois, réellement, éphémère

 

J’ôte ma robe teinte couleurs de cerisier

Attendons dès aujourd’hui l’arrivée du coucou

 

Comme je désire ne pas tant penser

durant ce temps où j’attends

le terme d’une vie qui ne prend pas fin

 

Je contemple la trace

de celui qui se levant est parti

laissant à l’aube

la Lune, cette consolation

 

Izumi Shikibu, Poèmes de cour, traduction

Fumi Yosabo, Orphée/La Différence,

1991, p. 33, 39, 47, 51.

19/09/2016

Bashô, Le Faucon impatient

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Ne vous cognez pas la tête

est-il écrit sur la porte

 

À perte de vue le ciel

est une nuée d’azur

 

Dans cette terre

qui ne convient aux radis

ils sont tout tordus

 

À peine les poules

ont-elles gagné le juchoir

lune de crépuscule

 

Dans la montagne un portail

et lune du point du jour

 

Du printemps peu à peu

complètent la figure

lune et prunier

 

Bashô, Le Faucon impatient, traduit du

Japonais par René Sieffert, POF, 1994,

  1. 19, 21, 39, 51, 55, 87.

07/03/2016

Paul Claudel, L'Oiseau noir dans le soleil levant

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                           Hai-Kai

(La nuit du 1er septembre 1923 entre Tokyô et Yokohama)

 

   À ma droite et à ma gauche il y a une ville qui brûle mais la lune entre les nuages est comme sept femmes blanches.

   La tête sur un rail mon corps est mêlé au corps de la terre qui frémit. J’écoute la dernière cigale.

   Sur la mer sept syllabes de lumière une seule goutte de lait.

 

Paul Claudel, L’Oiseau noir dans le soleil levant [1929], dans Connaissance de l’Est, Poésie / Gallimard, 1974, p. 198.