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17/06/2016

Yves di Manno, Embuscade, dans Koshkonong

                                            Di_Manno_Bertini_pageAuteur.jpg

Embuscade

 

o, i flottants

 

: nuit d’Afrique sur

l’étendue de la

campagne sillonnée

de wagons indécis

 

disque rouge trouant

le ciel juste au-dessus

de la ligne des arbres

 

: lances érigées par

centaines immuables

inventant leurs

tribus face au néant

 

vert dans le noir

: masse unanime

: ciel absent

 

(l’assaut est sans

doute imminent

 

Yves di Manno, ‘’Embuscade’’, dans

Koshkonong, n° 9, hiver 2015, p. 18.

07/05/2016

Guillaume Apollinaire, Le Guetteur mélancolique

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La nudité des fleurs c’est leur couleur charnelle

Qui palpite et s’émeut comme un sexe femelle

Et les fleurs sans parfum sont vêtues par pudeur

Elles prévoient qu’on veut violer leur odeur

 

La nudité du ciel est voilée par des ailes

D’oiseaux planant d’attente émue d’amour et d’heur

La nudité des lacs frissonne aux demoiselles

Baisant d’élytres bleus leur écumeuse ardeur

 

La nudité des mers je l’attife de voiles

Qu’elles déchireront en gestes de rafale

Pour dévoiler au stupre aimé d’elles leurs corps

 

Au stupre des noyés raidis d’amour encore

Pour violer la mer vierge douce et surprise

De la rumeur des flots et des lèvres éprises

 

Guillaume Apollinaire, Le Guetteur mélancolique, dans

Œuvres poétiques, édition M. Adéma et M. Décaudin,

Pléiade / Gallimard, 1965, p. 574.

05/11/2015

Jean-Luc Sarré, Les journées immobiles

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c’est ailleurs on dirait

loin du ciel

loin du bleu tumulte qui interdit

il y a de la terre dans les masses bruissantes

dans les cernes

les volumes

dans les ombres devenues fragiles

il y a du mauve dans ces ombres

c’est l’été

dans une autre lumière

l’odeur est celle des pierres avant la pluie

 

                     *

 

on ne sait rien de l’été

rien de ces quelques mots qu’il dénoue

trop lourds souvent

pareils à ces branches basses

vautrées dans la poussière

au milieu de l’allée

ou à ces fleurs encore

écloses parmi les pierres

isolées rouges

fragiles au cœur du ruissellement

 

Jean-Luc Sarré, Les journées immobiles, 1990 ;

Flammarion, p. 72 et 84.

20/10/2015

Samuel Beckett, Soubresauts

                   SamuelBeckett_ParisApartment-1.png

   Assis une nuit à sa table la tête sur les mains il se vit se lever et partir. Une nuit ou un jour. Car éteinte sa lumière à lui il ne restait pas pour autant dans le noir. Il lui venait alors de l’unique haute fenêtre un semblant de lumière. Sous celle-là encore le tabouret sur lequel jusqu’à ne plus le pouvoir ou le vouloir il montait voir le ciel. S’il ne se penchait pas au-dehors pour voir comment c’était en dessous c’était peut-être parce que la fenêtre n’était pas faite pour s’ouvrir ou qu’il ne pouvait pas ou ne voulait pas l’ouvrir. Peut-être qu’il ne savait que trop bien comment c’était en dessous et ne désirait plus le voir. Si bien qu’il se tenait tout simplement là au-dessus de la terre lointaine à voir à travers la vitre ennuagée le ciel sans nuages. Faible lumière inchangeante sans exemple dans son souvenir des jours et des nuits d’antan où la nuit venait pile relever le jour ou le jour la nuit. Seule lumière donc désormais éteinte la sienne à lui celle lui venant du dehors jusqu’à ce qu’elle à son tour s’éteigne le laissant dans le noir . Jusqu’à ce que lui à son tour s’éteigne.

 

Samuel Beckett, Soubresauts, Minuit, 1989, p. 7-9.

14/09/2015

Raymond Queneau, L'instant fatal, II

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                       Quelqu’un

 

Quand la chèvre sourit

quand l’arbre tombe

quand le crabe pince

quand l’herbe est sonore

 

plus d’une maison

plus d’une coquille

plus d’une caverne

plus d’un édredon

 

entendent là-bas

entendent tout près

entendent très peu

entendent très bien

 

quelqu’un qui passe et qui pourrait bien être

et qui pourrait bien être quelqu’un

 

                          Pins, pins et sapins

 

Le ciel la mer saline et les rochers plein d’eau

le cœur de l’anémone auprès des pins têtus

la marche auprès du ciel la marche auprès de l’eau

et la course assoiffée auprès des pins têtus

 

herbes mousses lichens et toutes les bestioles

le regard s’est perdu sous les sapins têtus

le regard qui s’égare après tant de bestioles

les peuples effarés sous les sapins têtus

 

le ciel la mer saline où sabre le soleil

tranche la tête plane aux sapins éperdus

se cabrant dans le ciel et se cabrant dans l’eau

 

tandis qu’une bestiole à l’ombre d’un lichen

cerne de son trajet le bois des pins têtus

sans qu’un regard disperse une route inutile

 

Raymond Queneau, L’instant fatal, II, dans Œuvres complètes, I, édition Claude Debon, Pléiade / Gallimard, 1989, p. 96-97.

03/12/2014

Cesare Pavese, Travailler fatigue

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                           Nocturne

 

La colline est nocturne, dans le ciel transparent.

Ta tête s'y enchâsse, elle se meut à peine,

compagne de ce ciel. Tu es comme un nuage

entrevu dans les branches. Dans tes yeux rit

l'étrangeté d'un ciel qui ne t'appartient pas.

 

La colline de terre et de feuillage enferme

de sa masse noire ton vivant regard,

ta bouche a le pli d'une cavité douce au milieu

des collines lointaines. Tu as l'air de jouer

à la grande colline et à la clarté du ciel :

pour me plaire tu répètes le paysage ancien

et tu le rends plus pur.

 

                                     Mais ta vie est ailleurs.

Ton tendre sang s'est formé ailleurs.

Les mots que tu dis ne trouvent pas d'écho

dans l'âpre tristesse de ce ciel.

Tu n'es rien qu'un nuage très doux, blanc

qui s'est pris une nuit dans les branches anciennes.

 

Cesare Pavese, Travailler fatigue, traduit de l'italien et préfacé par Gilles de Van, Gallimard, 1969, p. 85.

21/09/2014

Bernard Noël, La Place de l'autre

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                             Où le regard s'aère

 

   Du plus haut, c'est une plantation de i — des i noirs empanachés d'un vert tremblant. Le visiteur s'assied en voyant son regard aligné par tant de barres ; il cherche le sens de l'air pour y accorder ses yeux et ose ainsi chaque chose à sa place : la pente, la forêt et lui-même venu par un chemin sans point de vue. Alors, quelque chose blanchit la lisière : ce n'est pas une éclaircie, mais une sorte de promesse virtuelle, qui invite à dévaler la pente pour voir... Voir tout à coup, entre la vieille courbe de la terre et le bleu profond, ce qui, justement, a conduit jusqu'ici et qui, bien qu'attendu, saisit aussitôt le regard, le modèle, l'emplit et lui communique sa forme au point qu'elle se fixe dans la tête et devient un lieu...

   Plus tard, l'œil reprend son rôle de lecteur : il parcourt des surfaces, des angles, avec le sentiment de reconnaître dans cet agencement moderne une figure très ancienne, car la vision se double d'un fantôme de mémoire, qui renforce la présence du présent par la poussée, en elle, d'une sève d'images. Il y a des plans de béton, des plans d'ombre, des plans de lumière ; il y a des arêtes où le ciel est posé, des étages de terrasses, des escaliers en l'air, et tout cela s'exhausse à tout moment à l'intérieur de la vue parce que le croisement du plein et du vide, du vertical et de l'horizontal aère la masse et y entretient le perpétuel élan d'une mise debout.

 

Bernard Noël, La Place de l'autre, Œuvre III, P.O.L, 2014, p. 103-104.

07/07/2014

Jean Ristat, Le théâtre du ciel, Une lecture de Rimbaud

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                                       E blanc

 

                                       Scène 1

 

La mort couche dans mon lit elle a les dents blanches

Patauger dans la nuit appelle-t-on cela

Vivre O dans ma bouche l’ancolie amère

Des jours anciens mon vieux Verlaine rien ne sert

De pleurer au temps des souvenirs la partie

Est déjà perdue tu n’avais pas su le

Retenir il courait plus vite que le vent

Amants de la mort qu’attendiez-vous de la vie

Il n’aurait fallu qu’un mot peut-être à ta lèvre

Dolente et non le chapelet à l’angélus

 

Ah l’ordre comme un petit serpent fourbe arrive

Toujours quad le clocher sonne douze au clair de

Lune le christ O vieille démangeaison

Pauvre lélian habité par un fantôme à

La jambe de bois l’autre en toi O moulin à

Prières

 

                                           Scène 2

 

Que cherchais-tu en franchissant le saint-gothard

À demi enseveli dans la neige quelle

Porte par où t’enfuir encore et toujours

O toi l’ébloui sans sommeil dévoré par

Les mouches du rêve et que l’éclair divise à

Jamais hagard comme le faucon

 

                                           Scène 3

 

Elle venait sans que j’y prenne garde à pas

De loup et ce cœur en moi s’usait peu à peu

À battre la chamade je ne l’avais pas

Reconnue tant son visage était pâle et

Ressemblait à s’y méprendre à la blanche nuit

Ses regards enjôleurs me grisaient doucement

O comme elle était tendre lorsqu’elle voulut

Me prendre par surprise au petit matin calme

 

J’aurais pu te quitter sans avoir baisé ta

Bouche tandis qu’à m’étreindre elle buvait mon

Sang O la camarde ma camarade attends

Encore un peu je n’ai pas fini d’inventer

Pour lui les mots du nouvel amour

 

Jean Ristat, Le théâtre du ciel, Une lecture de Rimbaud,

Gallimard, 2009, p. 39-41.

06/07/2014

Roger Gilbert-Lecomte, Œuvres complètes II

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          Haïkaïs 

 

L'aube — Chante l'alouette. —

Le ciel est un miroir d'argent

Qui reflète des violettes.

 

 

Le soleil en feu tombe dans la mer ;

des étincelles :

Les étoiles !!

 

 

Oh ! la pleine lune sur le cimetière.—

Noirs les ifs — Blanches les tombes —

Mais en dessous ?...

 

 

Les yeux du Chat :

Deux lunes jumelles

Dans la nuit.

 

 

La nuit. — L'ombre du grand noyer

est une tache d'encre aplatie

au velours bleu du ciel.

 

 

Vie d'un instant...

J'ai vu s'éteindre dans la nuit

L'éternité d'une étoile.

 

 

La cathédrale dans les brumes :

Un sphinx à deux têtes, accroupi

dans une jungle de rêve.

 

 

J'ai vu en songe

Des splendeurs exotiques de soleil

Matin gris. — Le ciel est une chape de plomb.

 

 

     Morte la Déesse,

     dansons en rond !!

Mais, mes rêves aussi sont morts...

 

 

Roger Gilbert-Lecomte,  Œuvres complètes II,

édition établie par Jean Bollery, avant-propos

de Pierre Minet, Gallimard, 1977, p. 127-128.

04/04/2014

Ossip Mandelstam, Des derniers poèmes

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Me suis égaré dans le ciel... Le remède ?

Vous, qui en êtes proches, répondez-moi

Plus aisé de faire résonner les neuf

disques pour athlètes des cercles de Dante.

 

Nul divorce entre moi et la vie — qui rêve

de massacrer, puis aussitôt de caresser,

afin que l'oreille, les yeux, les orbites

palpitent d'une nostalgie florentine.

 

Sur mes tempes ne posez, ne posez pas

la caresse de cet épineux laurier,

déhiscez(1)-moi plutôt, fissurez mon cœur

en lambeaux qui vibrent de tintements bleus.

 

Et, mourant, mon temps de service achevé,

en ami, ma vie durant, de tout vivant,

que retentisse et plus immense et plus haut

la réponse, écho du ciel, dans ma poitrine.

 

Mars 1937

 

Ossip Mandelstam, Des derniers poèmes, traduction Jean-Claude Schneider, dans Rehauts, 2ème semestre 2013, p. 96.

 

(1) verbe construit sur le latin dehiscere, "s'ouvrir" (note de T. H.)