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15/08/2019

Elizabeth Browning, Poèmes portugais

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Comment je t'aime ? — Laisse m'en compter les façons ! —

Je t'aime du profond, de l'ampleur, de la hauteur

Qu'atteint mon âme, quand elle se sent à l'écart

Des fins de l'Être et de la Grâce Parfaite.

Je t'aime à la mesure du besoin quotidien

Le plus paisible, au soleil et à la bougie.

Je t'aime librement, comme on tend au Droit, —

Je t'aime purement comme on fuit l'Éloge !

Je t'aime avec la passion que je mettais jadis

Dans mes chagrins... et avec ma foi d'enfant.

Je t'aime de l'amour que j'avais cru perdre

Avec mes mots sacrés ! — Je t'aime du souffle,

Des rires, des pleurs, de toute ma vie ! — et, si Dieu veut,

Je t'aimerai plus encore après la mort.

 

 

How do I love you ? —Let me count the ways!—

I love thee to the depht & breadth & height

My soul can reach, when feeling out of sight

For the ends of Being and Ideal Grace.

I love thee to the level of everyday's

Most quiet need, by sun & candlelight.

I love thee freely, as men strive for Right, —

How thee purely, as they turn from Praise !

I love thee with the passion, put to use

In my old griefs,... ad with my childhood's faith.

I love thee with th e love I seemed to lose

With my lost Saints ! —I love thee with the breath,

Smiles, tears, of all my life!—and, if God choose,

I shall but love thee better after death.

 

Elisabeth Barrett Browning, Sonnets portugais, traduction

de l'anglais et présentation de Claire Malroux, Le Bruit

du Temps, 2009, p. 107 et 106.

24/05/2019

Henri Cole, Terre médiane

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                        Insomnie

 

La nuit, à la lueur de la lampe, certains insectes

planant ou volant, en noir, rouge ou or,

surgissent comme des acteurs, vaguement spectraux,

dans l’espace ordinaire de ma chambre.

Hier soir, ils ont exécuté La Tempêteavec frénésie,

exigeant que je joue Prospero et pardonne

à chacun. « Et puis quoi ! » ai-je gémi.

Ce cher Ariel surnaturel, je l’aimais,

le décor insulaire, l’opportune vengeance —

comment résister ? La pluie s’est mise à tomber,

emplissant le temps comme du sable ou l’entendement humain.

C’est comme si je rêvais ou étais mort.

J’ai pardonné à mon frère, il m’a pardonné.

Nous nous sommes serrés l’un contre l’autre dans l’obscur reflux de la nuit.

 

Henri Cole, Terre médiane, traduction Claire Malroux, Le bruit du temps, 2003, p. 83.

 

30/09/2012

Emily Dickinson, Poèmes, traduits par Claire Malroux

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La « Nature » est ce que nous voyons —

La Colline — l'Après-Midi —

L'Écureuil — l'Éclipse — Un beau Bourdon —

Mieux — la Nature est Paradis —

La Nature est ce que nous entendons —

Le Loriot — la Mer —

Le Tonnerre — un Grillon —

Mieux — la Nature est Harmonie —

La Nature est ce que nous connaissons —

Mais sans avoir l'air de le dire —

Si débile est notre Sagesse

Face à sa Simplicité

 

"Nature" is what we see —

The Hill — the Afternoon —

Squirrel — Eclipse — the Bumble bee —

Nay — Nature is Heaven —

Nature is what we hear ­

The Bobolink ­ the Sea —

Thunder — the Cricket —

Nay — Nature is Harmony —

Nature is what we know —

Yet have no art to say —

So impotent Our Wisdom is

To her Simplicity

 

Emily Dickinson, Poèmes, traduit et préfacé par

Claire Malroux, Belin, 1989, p. 193 et 192.

21/04/2011

Henri Cole, Terre médiane (traduction Claire Malroux)

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                                             Mask

 

I tied a paper mask into my face,

my lips almost Inside its small red mouth.

Turning my head to the left, to the right,

I looked like someone I once knew, or was,

with straight white teeth and boyish bangs.

My ordinary life had come as far as it would,

like a silver arrow hitting cypress.

Know  your place or you’ll rue it, I sighed

to the mirror. To succeed, I’d done things

I hated ; to be loved, I’d competed promiscuously :

my essence seemed to boil down to only this.

Then I saw ma own hazed irises float up,

like eggs clinging to a water plant,

seamless and clear, in an empty pondlike face.

 

                                                  Masque

 

         

          J’ai attaché un masque en papier sur mon visage,

          mes lèvres presque au-dedans de sa petite bouche rouge.

          Tournant la tête à gauche, à droite,

          je ressemblais à quelqu’un que j’avais connu, ou été,

          aux dents blanches bien droites, aux boucles juvéniles.

          Ma vie ordinaire avait suivi son cours attendu,

          comme une flèche d’argent se plante dans un cyprès.

          Reste à ta place ou tu t’en repentiras, ai-je murmuré

          au miroir. Pour réussir, j’avais fait des choses

          que je détestais ; pour être aimé, j’avais rivalisé de promiscuité ;

mon essence semblait se réduire seulement à cela.

Puis j’ai vu mes iris noisette monter à la surface,

          comme des œufs accrochés à une plante aquatique,

          lisses et clairs, dans un visage vide, un visage d’étang.

 

Henri Cole, Terre médiane, édition bilingue, traduction de l’anglais (États-Unis) et présentation par Claire Malroux, Le Bruit du Temps, 2011, p. 86-87.