14/02/2018
James Sacré, Dans la parole de l'autre
Un long mur de livres
À Antoine Emaz
1 En deça
On attend
Ça n’est pas forcément un mur
Qu’on a devant soi
Aussi bien
L’indécise couleur d’une glycine (dans un autre livre)
J’ai cru qu’Antoine passait
(« On respire déjà mieux d’écrire » dit-il) passait
À travers le mur. Entre la pierre et quelles fleurs ?
Le bouquet d’iris ou le cerisier.
Là devant.
Et passe-t-il vraiment
D’un titre au suivant dans le livre ?
Poème du mur
Poème de la fatigue
Un long mur de titres
Poème des dunes
Poème d’une énergie contenue (dedans, pâle, hébétude)
La fin, les chiens
On arrive au bout du livre
Un autre sera bientôt là.
Devant. Plus loin.
Tout continue. On écrit toujours
En deçà.
En deçà
Où le présent craint. « les chiens jaunes ». Je me
souviens :
Retour d’école tous les soirs avec la peur
Pour passer devant cette chienne de chez le voisin
Méfiante et méchante. Le petit fauve, l’allure basse.
Si je l’entends encore
Maintenant ! J’ai le dos
Contre un poème d’Antoine Emaz, le mur de son poème
Contre. Et précautions.
James Sacré, Dans la parole de l’autre (livret 1), Rougier V, 2018, p. 4-5.
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10/01/2017
James Sacré, Cappuccino brioche au Belvedere Bar à Montalcino
Si j’étais peintre et doué pour le dessin
En quelques traits et taches de couleur
J’aurais là sur le papier ce qu’on voit de la campagne par le fond vitré du café :
Au pied des dernières maisons avant la chute en presque falaise
Toits de tuiles qui se distinguent mal de la pierre et briques des murs…
J’aurais là sur mon papier le silence ou l’esprit de Montalcino.
Paysage toscan sans trop de cyprès (il n’y en a pas
Dans les fresques de Lorenzetti à Sienne,
Ou de Signorelli Monte Olivero Maggiore) :
La très large étendue de campagne s’ouvre au loin
Jusqu’à sa remontée vers des Crêtes perdues dans le gris d’aujourd’hui
Taches de verts, et d’autres couleurs de terre
À peine soulignées d’arbres et de buissons.
Je dessine quoi avec des mots ? Et quel rapport
Entre le rythme de mes vers et celui des lignes
Qui tiennent le paysage et l’ouvrent dans l’infini ?
James Sacré, Cappuccino brioche au Belvedere Bar à Montalcino, Faï fioc, 2016.
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19/08/2016
James Sacré, Écrire à côté
Un restaurant dans Paris
Ce 3 décembre 1988
Les peupliers ne sont plus qu’un peu de gris léger
Sur la pierre ensoleillée des immeubles, quai d’Orléans
Quai de Bourbon. On voit maintenant mieux
Les taches de bleu que font les portes cochères dans les arcatures d’anciennes demeures.
On y a découpé des portes plus petites, avec au-dessus une ou deux fenêtres, même un balcon.
Une couleur d’un bleu comme ouvrier qui a
Un air de dimanche matin dans ce début d’après-midi. Plus loin
Voilà le restaurant du pont Louis-Philippe son blan cassé,
Ses tables enchaînées devant, et quelque chose d’endormi
Dans tout son intérieur : de l’indifférence ou comme une attente apaisée
Pendant que s’écrit
Ce 3 décembre léger dans les peupliers de Paris.
James Sacré, , dans Affaires d’écriture (2000), Tarabuste, 2016, p. 99.
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28/02/2016
James Sacré, Figures qui bougent un peu, et autres poèmes
Figure 9
La nuit la neige ou presque la nuit le soir
les arbres immobiles qui sont dedans, les talus hauts
les maisons ou rien que des vieux hangars sont allongés là contre
j’aimerais penser à d’autres lieux que j’aime
aussi dans un soir d’hiver avec des traces de neige
elle se défait plus vite dans le coin des prés
ça ne change pas grand chose au paysage d’aujourd’hui
c’est à la fin la seule solitude qui vient
la nuit se fait.
Je l’entends venir de très loin je suis debout dedans la nuit
le vent bouge un peu il y a le chaud d’une bête pas loin
autrefois est-ce que c’était pas la solitude qu’on croyait d’aujourd’hui
qui faisait comme du silence et l’illusion d’un espace grand ?
il n’y a presque rien maintenant
la neige est noire on n’entend plus rien.
Bien sûr dans ces limites mal tracées que fait la nuit
avec les prés ceux touchant les derniers toits de la ferme
avec les arbres soudain grands les buissons noirs
on peut laisser se perdre la peur et l’imagination
c’est quand même le cœur battant les fesses
un peu serrées qu’est-ce que j’attends c’est pas
besoin d’en dire la solitude a le sourire
de ce qu’on veut le temps aussi
la nuit continue touche-t-elle vraiment les branches de ce poème ?
James Sacré, Figures qui bougent un peu, et autres poèmes, préface d'Antoine Emaz, Poésie / Gallimard, 2016, p. 42-43.
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29/11/2015
James Sacré, Dans l'œil de l'oubli, suivi de Rougigogne
J’ai bien conscience souvent que j’écris en mêlant les temps verbaux comme si je voulais mettre ensemble dans un temps présent aussi bien le passé que ce qui ressemble à du futur quand on se prend à rêver, à dire les mots « demain », « plus tard » : le désir d’un présent qui serait aussi bien l’infini que l’éternité dans le plus fugitif arrêt du temps qu’on s’imagine pouvoir vivre. Ce présent, qui ne peut exister pour nous qui n’en finissons pas de vieillir, n’est-il pas la pupille de cet œil de l’oubli dans laquelle je n’ai jamais rien vu pour la bonne raison que n’existant sans doute pas je ne peux que penser ce présent comme une tache aveugle de mon existence, un trou noir dans lequel toute celle-ci s’engouffre lentement jusqu’à la mort.
James Sacré, Dans l’œil de l’oubli suivi de Rougigogne, Obsidiane, 2015, p. 16-17.
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07/06/2015
James Sacré, Dans l'œil de l'oubli, suivi de Rougigogne
Cahiers guenille
Il y a ces premiers cahiers, quatre ou cinq, que sans doute je détruirai. Parce qu’ils sont la trace d’une sorte de crise informe ; celle d’une affectivité qui sait mal reconnaître ce qu’elle découvre en son corps, qui veut s’en défaire (ou en sublimer le poids) tout en l’affirmant de façon désespérée, plutôt que de l’accepter dans un solide contentement d’être. Celle aussi d’un désir de penser sans s’en donner les moyens de le faire par des lectures autour desquelles il aurait fallu réfléchir, en écrivant vraiment au lieu de jeter sur ces cahiers des cris, des gestes de mots, comme de quelqu’un qui se serait noyé dans son vide incohérent.
Et me voilà parlant de ces cahiers, alors qu’en plus de les détruire je pourrais (je devrais peut-être) n’en rien dire ; si j’en parle maintenant n’est-ce pas que je leur accorde quelque importance persuadé que je suis que c’est là aussi que naît de leur magma brassé et rebrassé de façon répétitive durant quelques années, ce que sera une pratique longtemps continue du poèmes ? Pourtant quand je relis ces cahiers je n’y vois rien qui pourrait expliquer le désir d’écrire. D’ailleurs des poèmes (désespérément mièvres c’est vrai, mais beaucoup plus écrits que les pages de ces cahiers) j’en écrivais depuis bien avant ces années de quasi-ridicule crise d’adolescence.
James Sacré, Dans l’œil de l’oubli, suivi de Rougigogne, Obsidiane, 2015, p. 26.
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06/03/2015
James Sacré, Cherchet-on le père qu'on a eu ?, dans Rehauts
Juste après qu’on a dépassé Carcassonne
Venant de Montpellier
On entre comme dans les couleurs que sont
Les toiles de Bentajou, visage rouges
En bord de labours ocre rose ou marron
Ou leurs feuillages morts
Avec des traces de verdure. Bentajou
A tiré de cela des figures comme il dit
Qui sont et ne sont pas ces paysages
Mais ce qui est venu
Quand il a mis du temps et ses mains
À l’épreuve de la couleur, oubliant peut-être
Ou se perdant. Pourrait-on pas dire
Que toi mon père te relevant
En bout d’un arpent de vigne, en Vendée
Tu n’étais plus
Que tremblement de formes et de couleurs
Dans la longueur de ton travail paysan ?
James Sacré, Cherche-t-on le père qu’on a eu ?, dans Rehauts, n°34, automne 2014, p. 9.
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23/11/2014
James Sacré, Le désir échappe à mon poème
Petite note sur le désir d'écrire
[...]
Lecteur qui m'avait pas prévu.
Écrire comme on drague. L'écriture comme une rencontre. Les mots que me tend l'autre toujours : avec sa joue qu'il m'abandonne sans me connaître ; dictionnaire et sa couverture de carton rose dans l'enfance j'y faisais des trous en y découpant des figures d'animaux jamais vus : oui, et depuis, le zorille et l'agouti me mangent le cul en caressant mon cœur. Lecteur que j'avais pas prévu.
*
J'ai envie d'écrire. "Ça te prend-y pas comme une envie d'chier ?" dirait mon père. Ou Rabelais : rondeau en chiant. C'est pas la peine de chercher un ange, on n'en voit jamais.
James Sacré, Le désir échappe à mon poème, dessins de Mohamed Kacimi, Al Manar, 2009, p. 10.
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25/08/2014
James Sacré, On cherche. On se demande
Entre les vergers de Capitol Reef
(Bientôt la couleur des abricots va mûrir)
Et les dessins d'il y a si longs siècles
Sur les parois de roche ocre et rouge, pas loin
Va le bruit courant de la rivière Frémont.
C'est beaucoup d'histoire, mêlée au moment présent,
Qui font de ce lieu vert et frémissant d'eau
Un jardin paradis dans un désert de pierre
Lequel bouge si lentement depuis des millénaires.
Et mon poème est minuscule paradis de mots
Qui savent : écrits, les voilà morts.
*
Petits objets qu'on achète ou qu'on ramasse
Ce pourrait être un caillou, ici à Capitol Reef, un caillou noir [volcanique
Dans un éboulis, et tout le grand théâtre de roches rouges autour,
Le vert lumineux des jeunes feuillages de peupliers, les dessins
Que les anciens ont laissés sur la plaque de grès tendre, parfois
Tout un pan de pierre tombe et c'est
Quelques mille ans de vie qui s'effondrent :
D'autres cailloux qu'on pourra ramasser, je pense
À des poèmes de Jean Follain dans lesquels l'éternité s'ouvre
À partir de rien, le bruit d'une épingle
Sur un comptoir d'épicerie. Le bruit du monde
Ou le bruit d'un mot. Poème effondré va-t-il pas se reprendre
À partir d'un rien juste à peine donné
Dans le clair d'une après-midi à Capitol Reef ?
Ce caillou qui n'était
Qu'un rêve autour d'un mot.
James Sacré, On cherche. On se demande, La Porte, 2014, np.
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08/05/2014
James Sacré, Donne-moi ton enfance
La campagne de ton enfance. On la voit qui s'en va loin : au-delà de grands oliviers qui sont comme un geste du tems. Cette campagne est une belle étendue de lumière et de champs cultivés tenue dans la hauteur et relevée sur ses bords en collines qui sont déjà de la montagne.
Tu montres, on ne distingue pas bien, un endroit où ton grand-père t'emmenait, cheval et l'eau d'une fontaine à ramener à la maison. Sur le plat le cheval tire sa tête de côté, dis-tu, mais une fois dans la pente l'effort remet tout son corps dans le droit du chemin.
J'ai le sentiment d'être dans un endroit pour lire un monde sans secret sinon celui, donné là devant, dans la lumière. Tu n'as presque rien dit parce que sans doute
Il n'y a rien à dire. Ce qui s'étend devant ton enfance jusqu'à ce geste des oliviers vient nous toucher.
On a l'impression de comprendre mieux comment vivre est à la fois de l'espace et du temps.
James Sacré, Donne-moi ton enfance, Tarabuste, 2013, p. 101-102.
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02/05/2014
James Sacré, Ne sont-elles qu'images muettes et regards qu'on ne comprend pas ? : recension
Le titre, énigmatique, renvoie à des photographies plus ou moins anciennes d'Indiennes, devenues des cartes postales ; c'est à partir d'elles que James Sacré a, en partie, écrit un ensemble de poèmes. En partie : la lecture des images s'appuie aussi beaucoup sur sa fréquentation régulière des lieux où les populations indiennes — ce qu'il en reste — ont été reléguées et il a écrit, selon une autre perspective, à leur propos dans America solitudes (André Dimanche, 2011).
On penserait volontiers à un point de vue d'ethnologue si l'on s'arrêtait à la surface : non seulement les images sont décrites mais James Sacré donne aussi, quand il est indiqué, le nom du photographe et, parfois, le lieu de l'impression — sachant qu'apparaît « Rarement / celui de la personne photographiée » : Toqui-Naachai, Mary John et sa fille Tamara, Suzzie Yazzie, Nampayo, Mollie Juana. Ce qui est mis en évidence par ces précisions, comme l'attention portée à l'appartenance des femmes à un peuple — Tohono O 'odham, Navajo, Hopi, « tant d'autres / Noms de tribus » —, c'est la disparition, aujourd'hui, d'une civilisation. Ce qui demeure, ce sont des vêtements, comme la jupe à fleurs encore portée par les vieilles femmes dont « certaines / Tissent pour les touristes de passage. » Les bijoux d'argent ou de turquoise, que l'on voit sur les cartes postales et qui portaient « toute une histoire passée », sont aussi voués à satisfaire les touristes, mais les pierres venues souvent de Chine sont vendues par des commerçants blancs. Les cartes, témoins dérisoires du passé, sont sans cesse réimprimées : pour quelques-unes à Singapour...
Cette opposition entre passé et présent organise la lecture des images ; les femmes ont gardé la même position devant le métier à tisser, mais elles constituent maintenant un spectacle pour les touristes. L'une, très âgée, à qui le narrateur achète un tapis, n'a pas transmis son savoir, son fils promène les touristes en 4x4 et le petit-fils, s'il comprend encore le navajo, ne le parle pas. Une autre femme, qui travaille comme caissière dans un supermarché, connaît Bruxelles : sa fille s'est mariée avec un Belge. Il est d'autres déracinements ; une carte représente de fières Indiennes photographiées devant un cactus géant, et toutes les femmes décrites ont beauté et noblesse : aujourd'hui, on rencontre beaucoup d'Indiennes à la cafétéria, « Toute leur allure perdue / Dans l'obésité qu'on leur a vendue ». Cette image d'une disparition est marquée par l'emploi de vers rimés, rarissime chez James Sacré. Les lavis monochromes de Colette Deblé donnent à voir des silhouettes indécises, parfois sans forme ou brisées, figures de l'absence.
Les images, donc, parlent quand elles sont rapportées au présent, mais à contempler tel « regard et [...] visage tranquille » qui porte « l'énigme du monde / Et du vivant », d'autres lieux surgissent, le Maroc, la Vendée de l'enfance, si présents dans la poésie de James Sacré, et d'autres images s'imposent alors, celles du temps des jeux de l'enfance où l'on s'imaginait Apache ou Comanche. Le va-et-vient entre passé et présent ramène à l'écriture, à la difficulté pour rendre lisible « la misère grande ou banale » des femmes rencontrées, et quelque chose des échanges vécus dans un restaurant avec des Indiennes, échanges où est passée « l'aimable simplicité du monde ».
Parfois, la beauté d'une femme est si forte qu'elle déborde le temps et que naît une relation rêvée ; le narrateur se transporte dans le passé d'une jeune Indienne photographiée en 1880 — « J'aurais bien voulu être son mari » — et, dans le présent, « comment oser / Terminer par le désir phrasé qui m'est venu d'emblée : poème / Pour aller fouiller dans son jeune sexe parfumé. » Aujourd'hui encore, ce sont ici et là, le sourire d'une femme parce qu'il lui a dit au revoir en navajo, ou la conversation qui s'engage avec une tisserande, qui sauvent du désastre. Peut-être aussi la leçon que donnent certains gestes : des femmes poursuivent la tradition de la poterie hopi et, de manière analogue, peut s'établir une continuité dans l'écriture de la poésie.
James Sacré, Ne sont-elles qu'images muettes et regards qu'on ne comprend pas ?, Lavis de Colette Deblé, Æncrages & Co, np, 21 €.
Article paru sur Sitaudis le 30 avril 2014.
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20/04/2014
James Sacré, Ne sont-elles qu'images muettes et regards qu'on ne comprend pas ?
Mais parfois le sourire le pus vivant
Les deux jeunes mères navajos
Qui déjeunaient ce midi à la même table que nous
Sorte de hangar ouvert aux deux extrémités
Pour un peu de fraîcheur
Après la poussière et 38 degrés de chaleur...
Aux puces de Gallup, c'est tous les samedis
Les toujours mêmes stands je suppose, pacotille
Et choses plus ou moins utiles, chargements de bottes de foin
L'endroit pour des pneus neufs ou d'occasion,
Petites pierres de prières, peignes à tisser
Ou crottins de dinosaure pétrifiés...
Là avec chacune leur enfant, avec des rires
Façon d'être et d'éduquer les bambins
Une simplicité et franchise amicale
Le taco bientôt mangé, tout à l'heure
Elles finiront comme nous
De parcourir les deux longues allées du marché
Un pickup truck peut-être les ramènera
En quelque ferme isolée
Dans la campagne environnante ; dans l'au revoir
(Et demande aux enfants d'en dire un)
C'est l'aimable simplicité du monde
De tout le monde (la voilà qui se perd)
Qui nous est servie
[...]
James Sacré, Ne sont-elles qu'images muettes et regards qu'on ne comprend pas ?, lavis de Colette Deblé, Æncrages & Co, 2014, np.
©Photo Tristan Hordé
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04/02/2014
James Sacré, Des animaux plus ou moins familiers
Une semaine avec James Sacré
Animaux
I
Animaux velus sales et grossièrement familiers je vous vois : je lèche un sexe rouge et me réfugie dans vos fourrures et près de vos dents.)
Langage
Nul animal n'y est sauf
Grand cheval rouge ou licorne grande
Misère le mien (lequel ?) m'arrache
Des larmes il traîne à l'envers la charrue
Je rage quoi disparaît
Dans le temps parti je langage
Je vais rêver l'été sera clair il faudra un texte qui prenne régulier le format de la page voilà au centre de l'enfance (l'été s'y abreuve) un cerisier grandit la lumière est l'évidence du bleu je vois par dessus des buissons un bord de tuiles une maison je regarde je désire un poème qui serait du silence le même bleu (j'y bois la transparence de nulle écriture) au centre un cerisier n'y rêve pas que je meurs.
[...]
James Sacré, Des animaux plus ou moins familiers, André Dimanche, 1993, p. 27-28.
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02/02/2014
James Sacré, Donne-moi ton enfance
Une semaine avec James Sacré
Un p'tit garçon, je sais plus
Si on cherche bien rien de si puéril ni de vraiment gentil dans ces années disparues. Tous autant qu'on est sait-on pas les gestes surtout méchants, tout le mauvais désir de vivre à la place de l'autre, les jeux cruels poursuivis jusque dans les tendresses qu'on avait ? Et l'indifférence du ciel qui t'emporte en ses tempêtes, l'enfance poussière et paille tout un vol de petits démons dans un grand pet du vent. Forcément que la vie sent mauvais. Faut s'y faire.
*
On finit par se souvenir de choses qu'on n'a peut-être pas vécues quelqu'un t'a raconté vieille femme du village là-bas que tu crois maintenant voir son beau visage qui t'accueille au monde maman t'avait laissé tout seul au bout du champ dans la petite voiture d'enfant, presque rien mais comme si d'un coup la parole t'était donnée avec l'autre et l'ampleur du monde... l'enfance a-t-elle commencé avec le premier souvenir qu'on a ? Et si on l'a quittée en même temps que des culottes courtes ? Personne te dira jamais. La vieille femme du village en savait rien non plus.
James Sacré, Donne-moi ton enfance, Tarabuste, 2013, p. 21.
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01/02/2014
James Sacré, Parler avec le poème
Une semaine avec James Sacré
Rien de trop solide sur quoi bâtir
(Poésie, lyrisme, modernité)
Poésie
Une poétique oui, si par ce mot on entend façons d'écriture ou style ; mais je n'ai pas de principes a priori, de recettes que je voudrais utiliser ou illustrer. Sans exclure pour autant que cela ne se fasse pas à mon insu. Et quand même, bien sûr, quelques convictions (ou du moins des goûts) : que la poésie par exemple ne met aucun élément du langage à l'écart ; qu'elle ne sait pas ce qu'elle est elle-même entre expérience et langage (y compris entre l'expérience qu'elle fait du langage et les mots qu'elle emploie) ; qu'elle est quelque chose d'aussi vague et fragile que la vie en somme. Oui un signe de vie qui peut-être parfois aussi magnifique que détestable, ou, à l'inverse, aussi misérable que bouleversant. Affaire de relation à l'autre et à soi-même dans le tissage arbitraire (ce qui nous renvoie à nos aveuglements sur nous-mêmes) d'une morale avec nos divers sentiments et nos approximatifs savoirs.
James Sacré, Parler avec le poème, La Baconnière, 2013, p. 141.
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