07/08/2011
James Sacré, Portrait du père en travers du temps
Me promenant dans Pertuis
Je pense à mon père sans trop imaginer
Aucun de ses gestes ni même son visage
Les rues de la vieille ville s’en vont
Sans qu’on sache trop où,
Mais ça n’est jamais si loin, jusqu’à
Par exemple un lavoir ou telle petite place de l’Ange
Avec une belle fontaine vivante et d’anciennes façades
Maisons du seizième siècle, naguère (on le voit sur une photo)
Un grand orme poussait là, tout frôlant sans doute
Les murs proches des maisons…
On s’en revient toujours à une place un peu centrale
Et qui semble tenir dans sa main toutes ces rues lâchées, mais
pas trop, autour d'elle
y voit beaucoup de vieux Maghrébins
Qui prennent le premier soleil du matin
Et c’est peut-être pour cela que j’ai pensé à mon père
À cause de leurs visages qui ont été mélangés à du temps, à du
travail longtemps
Et qui sont là maintenant quasiment sans bouger
Entre de la campagne en allée
Et quelque chose aussi de parti
Dans cette vieille ville de Pertuis.
(9 mars 2004)
Ton visage si fortement
Entre le faux et le vrai, des colères,
La solitude et ce mélange
De plaisir et de distance gênée
Avec les autres, et les choses du monde.
Le visage vivant de mon père.
À quoi penser maintenant qu’il est
Des matières pourries qui ont séché ?
Il me reste de son corps
La couperose des joues, l’œil
Comme une question dure,
Son allure à la fin mal balancée.
Ça me reste où ça ? Et quelle importance ?
(21 juin 2005)
James Sacré, Portrait du père en travers du temps, Lithographies de Djamel Meskache, La Dragonne, 2009, p. 33 et 43.
©Photo Tristan Hordé
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04/05/2011
James Sacré, Une petite fille silencieuse
À côté des iris sans fleurs
1
La beauté d’un jour de juillet,
Grand soleil et bleu mais tempérés par des feuillages
Qui font de l’ombre à la maison tranquille où j’écris.
Telle beauté se nourrit de beaucoup de temps passé,
De choses qui ont changé, de gens qu’on oublie ;
Mais l’herbe de la pelouse verdit.
Je ne verrai plus assise à côté des iris sans fleurs
Une enfant qui regarde un animal familier.
Est-ce qu’un poème ressemble à la verte indifférence de l’herbe,
Ou s’il peut être aussi un geste pour voir ?
La persistance d’une pluie un jour d’été,
Avec des moments que l’on entend plus fort,
Produit de la fraicheur qui est bonne
À la moiteur d’un gros bourg
Dans l’ouest rempli d’arbres et de collines de la
Nouvelle- Angleterre.
Quelqu’un a l’impression
Que toute l’activité de la pluie lui rend
Les façons d’être un corps (une jambe, un visage disparus) comme à
nouveau sensibles ;
En fait c’est qu’un poème qui s’écrit à cause
De l’attention prêtée à un bruit d’eau, à cause d’événements récents,
les mots
Perdent leur sens où du plaisir s’empêtre en des tourments de cœur.
James Sacré, Une petite fille silencieuse, collection Ryôan-ji, André Dimanche éditeur, 2001, p. 27-28.
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28/03/2011
James Sacré, Anacoluptères
Une tellement courte collection que depuis c’est tout parti en poussière, fines pattes cassées, débris d’élytres qui brillent encore. Depuis si beau temps d’en allée dans les prés : la grande herbe se cloutait de buprestes dans la douceur de la flouve et des scabieuses. Comme des bijoux dans le foin d’un corps nu. À quoi t’as rêvé sans savoir. Tout ça que tu disposais dans la boîte pas vitrée, le foin rentré un peu plus tard, c’est plus rien que poussière et reste de vieux fourrage sur les fagots de la grange. Comment ça pourrait.
Ramener du printemps dans les mots d’un poème ?
Au lieu de m’amuser à parler d’insectes, à l’âge que j’ai comme dirait maman, comme elle a toujours dit, je ferais mieux sans doute de penser à comment j’ai vécu, à comment je continue.
Toutes ces grandes questions qu’on s’est mal posées, personne qu’a répondu. Le sentiment, la mort, le monde et les gens. Ça mériterait peut-être encore un effort. Au lieu de ça me voilà avec des poèmes comme des fourmis dans les jambes. Une petite odeur acide. Les yeux pas plus hauts qu’un peu de terre en tas mêlée à des brindilles.
C’est-y s’amuser ? Les insectes sont aussi du vivant, à l’écart des mots futiles. Comme autant de questions ?
Maman s’en va, j’entends mal ce que dit maman… maman comme une grande fourmi dans le temps.
James Sacré, Anacoluptères, illustrations Pierre Yves Gervais, éditions Tarabuste, 1998, n. p.
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