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09/05/2021

James Sacré, Figures de silences

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Écrire : on entend quoi ?

 

                  3

 

Écrire dans le silence d’un papier

Sur lequel on peut lire une adresse ;

Un n om tracé par la main de quelqu’un

Mais ce qu’on a mis dans ce nom ?

 

Mon poème comme une lettre pour dire

Entre un silence et mon silence

 

Toucher une joue, tenir

Une épaule ou plus bas

Le bougé d’un désir

Si ça serait plus intense ?

 

On pressent le même écart

Entre deux silences ?

 

                  *

 

Quelqu’un s’en va, tu ne sais pas

Si même il s’en va ?

Penser ou ne pas pouvoir penser

Le retient mal on n’attrape

Que du silence

 

Quelqu’un peut-être reprend

Tout ce qu’il a donné

Mais dans le genre de ne plus parler

Quelque chose encore

Est donné.

 

 

James Sacré, Figures de silences, Tarabuste,

2018, p. 121-122.

08/05/2021

James Sacré, Cœur élégie rouge

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Le puits

 

   On raconte qu’il y a au fond des trésors : de vieux seaux rouillés, des couteaux de poche qu’on avait possédés longtemps, des pierres rondes.

   Il est tranquille. Il a la patience des pierres. Il subit sans réticence l’arsenal du treuil, des seaux et des chaînes, les bousculades véhémentes des bœufs autour et veille l’œil curieux d’un enfant.

   Il irrigue les étoiles.

 

James Sacré, Cœur élégie rouge, André Dimanche, 2001, p. 57.

07/05/2021

James Sacré, Une fin d'après-midi à Marrakech

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C’est pas fait pour penser un poème, pas vraiment.

M’installer pour écrire dans l’air et les feuillages

D’un boulevard parisien en même temps que dans mon sentiment

Pour quelqu’un qui n’arrive pas, que j’attends peut-être

À la place de quelqu’un d’autre jamais venu

N’aboutit

(À la faveur de règles tellement subtiles qu’à la fin

C’est comme si on écrivait sans règles du tout)

Qu’à mettre ensemble des mots dans le plus grand désordre.

Si on se rapproche ainsi de l’évident feuillage du monde tel que par  exemple

Il peut s’obscurcir et briller dans un visage aimé.
C’est difficile d’en être sûr. Est-ce qu’on a pensé ?

 

James Sacré, Une fin d’après-midi à Marrakech, Ryôan-ji, 1988, p. 107.

06/05/2021

James Sacré, Donne-moi ton enfance

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Son corps impossible

 

Je cherche le corps de mon enfance

En mon corps grandi

Qui va bientôt mourir.

J’en aurais rien dit

 

Le corps de mon enfance

Pour te le donner. Et je ne saurai pas

Ce qui est donné.

 

On croit voir quelques gestes

Dans le puits de la mémoire :

 

Si de l’eau brille

Ou de la nuit,

 

Le mot noir ?

 

Quel geste a trop dit sans dire assez

À mon corps d’enfant,

Pour continuer ?

Bientôt la mort, j’attends toujours,

Et vous ?

(...)

James Sacré, Donne-moi ton enfance,

Tarabuste, 2013, p. 79-80.

26/10/2019

James Sacré, Paysage au fusil (cœur) une fontaine

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Oiseaux qui sont au loin dans la plaine

 

Courlis qui sont passés loin quel

cri jeté brille encore à l’extrémité

(peut-être) d’une plaine oh si petite

ou d’une enfance oiseaux poursuivis

précaution fusil pour rien après

des guérets traversés des prairies rases

un autre cri jeté plus loin quel

poème brille (bonheur peut-être oiseaux

solitaires et vrais) que je chasse avec

un autre poème.

 

Oiseau ventolier les branches

mesurent son effort son aile

sait décliner croître pour

quel point haut dans l’air nul

secret ni leçon à montrer

le vent large l’emporte

un peu plus loin je regarde

à travers un poème un arbre comme

nul moment ni désir mais dans le vent

 

[...]

James Sacré, Paysage au fusil (cœur) une fontaine,

La Cécilia, 1991, p. 15.

© Photo Tristan Hordé

27/12/2018

James Sacré, Figures de silences

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On se dit, voilà je vais savoir

Savoir un peu plus, savoir

Qu’on ne saura pas. Écrire un poème

S’en va dans l’ignorance et des mots

C’est que façon de continuer pareil

Que tout là-bas travail

Autrefois dans les champs le dernier chou

       planté, demain

Faut tout recommencer, demain tu vas mourir.

C’est tout ce qu’on sait

Pour finir.

 

James Sacré, Figures de silences, Tarabuste, 2018, p. 39.

 

 

24/12/2018

James Sacré, La poésie, comment dire ?

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     Faire briller la nuit de la langue, est-ce que voilà pas l’essentielle affaire de l’écriture ? Grande quincaillerie qui remue les casseroles de l’académisme ou maladroit boitement dans les mots, peu importe. L’amour qu’on peut manifester pour la langue il faut bien que ça soit par des façons particulières de l’entendre et de l’écrire, avec ou contre les règles (ces anciennes manières plus ou moins réduites au silence des bibliothèques et des discours professoraux). Tous les canons d’amour se défont, au moment de l’amour, en des gestes vaguement ridicules, ou dangereusement splendides, dans l’extase ou le rien. Et bien sûr aucune « bonne manière » d’aimer la langue. Des poètes se perdent dans le noir insignifiant de son silence avec leurs poèmes alambiqués qu’eux seuls voyaient briller dans le temps. D’autres manières d’écrire sont soudain des soleils que tout le monde acclame. Beau soleil, parfois, qui peut n’être que la fusante roue de lumière d’un feu d’artifice. Un soleil pour savoir que nous passons, un peu plus lentement, vers l’énormité sans forme de la nuit.

     Des manières d’amour en somme forcément désespérées. Aucune belle région de la langue où nous serions assurés de construire pour l’éternité. Les cathédrales de langage de Chateaubriand s’usent à l’ironie de l’auteur, à celle du temps ; mais elles dressent encore dans notre avenir les manières et les rythmes inquiets de leurs phrases.

  

James Sacré, Des manières de poète, dans La poésie, comment dire ?, André Dimanche éditeur, 1993, p. 81-82.

10/05/2018

James Sacré, Écrire pour t'aimer ; à S. B., suivi de S. B. hors du temps

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S.B. hors du temps

 (…)

                                                   Sommes-nous jamais dans notre nom ?

Écrire le remplit d’absence au temps.

 

Ronsard ou Schéhadé ne disent

Que des poèmes –bruit : voit-on leur main

Leur visage, leur ventre d’écrivain ?

 

Hélène aussi n’est qu’un nom

Qui ne va pas s’éveillant…

 

Nommer ne sera jamais

Que bruit de présent

Aussitôt passé : bruit de souvenir égaré

Hors du temps.

 

James Sacré, Écrit pour t’aimer ; à S. B.suivi de

S.B. hors du temps, Faï fioc, 2018, p. 94.

14/02/2018

James Sacré, Dans la parole de l'autre

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Un long mur de livres

 

                       À Antoine Emaz

 

1   En deça

 

On attend

Ça n’est pas forcément un mur

Qu’on a devant soi

Aussi bien

L’indécise couleur d’une glycine (dans un autre livre)

 

J’ai cru qu’Antoine passait

(« On respire déjà mieux d’écrire » dit-il) passait

À travers le mur. Entre la pierre et quelles fleurs ?

 

Le bouquet d’iris ou le cerisier.

Là devant.

 

Et passe-t-il vraiment

D’un titre au suivant dans le livre ?

Poème du mur

Poème de la fatigue

Un long mur de titres

Poème des dunes

Poème d’une énergie contenue (dedans, pâle, hébétude)

La fin, les chiens

On arrive au bout du livre

Un autre sera bientôt là.

Devant. Plus loin.

 

Tout continue. On écrit toujours

En deçà.

 

En deçà

Où le présent craint. « les chiens jaunes ». Je me

souviens :

Retour d’école tous les soirs avec la peur

Pour passer devant cette chienne de chez le voisin

Méfiante et méchante. Le petit fauve, l’allure basse.

Si je l’entends encore

Maintenant ! J’ai le dos

Contre un poème d’Antoine Emaz, le mur de son poème

Contre. Et précautions.

 

James Sacré, Dans la parole de l’autre (livret 1), Rougier V, 2018, p. 4-5.

 

10/01/2017

James Sacré, Cappuccino brioche au Belvedere Bar à Montalcino

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Si j’étais peintre et doué pour le dessin

En quelques traits et taches de couleur

J’aurais là sur le papier ce qu’on voit de la campagne par le fond vitré du café :

Au pied des dernières maisons avant la chute en presque falaise

Toits de tuiles qui se distinguent mal de la pierre et briques des murs…

J’aurais là sur mon papier le silence ou l’esprit de Montalcino.

 

Paysage toscan sans trop de cyprès (il n’y en a pas

Dans les fresques de Lorenzetti à Sienne,

Ou de Signorelli Monte Olivero Maggiore) :

La très large étendue de campagne s’ouvre au loin

Jusqu’à sa remontée vers des Crêtes perdues dans le gris d’aujourd’hui

Taches de verts, et d’autres couleurs de terre

À peine soulignées d’arbres et de buissons.

 

Je dessine quoi avec des mots ? Et quel rapport

Entre le rythme de mes vers et celui des lignes

Qui tiennent le paysage et l’ouvrent dans l’infini ?

 

James Sacré, Cappuccino brioche au Belvedere Bar à Montalcino, Faï fioc, 2016.

19/08/2016

James Sacré, Écrire à côté

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Un restaurant dans Paris

 

   Ce 3 décembre 1988

   Les peupliers ne sont plus qu’un peu de gris léger

   Sur la pierre ensoleillée des immeubles, quai d’Orléans

   Quai de Bourbon. On voit maintenant mieux

   Les taches de bleu que font les portes cochères dans les arcatures d’anciennes demeures.

   On y a découpé des portes plus petites, avec au-dessus une ou deux fenêtres, même un balcon.

   Une couleur d’un bleu comme ouvrier qui a

   Un air de dimanche matin dans ce début d’après-midi. Plus loin

   Voilà le restaurant du pont Louis-Philippe son blan cassé,

   Ses tables enchaînées devant, et quelque chose d’endormi

   Dans tout son intérieur : de l’indifférence ou comme une attente apaisée

   Pendant que s’écrit

   Ce 3 décembre léger dans les peupliers de Paris.

 

James Sacré, , dans Affaires d’écriture (2000), Tarabuste, 2016, p. 99.

28/02/2016

James Sacré, Figures qui bougent un peu, et autres poèmes

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                            Figure 9

 

La nuit la neige ou presque la nuit le soir

les arbres immobiles qui sont dedans, les talus hauts

les maisons ou rien que des vieux hangars sont allongés là contre

j’aimerais penser à d’autres lieux que j’aime

aussi dans un soir d’hiver avec des traces de neige

elle se défait plus vite dans le coin des prés

ça ne change pas grand chose au paysage d’aujourd’hui

c’est à la fin la seule solitude qui vient

la nuit se fait.

 

Je l’entends venir de très loin je suis debout dedans la nuit

le vent bouge un peu il y a le chaud d’une bête pas loin

autrefois est-ce que c’était pas la solitude qu’on croyait d’aujourd’hui

qui faisait comme du silence et l’illusion d’un espace grand ?

il n’y a presque rien maintenant

la neige est noire on n’entend plus rien.

 

Bien sûr dans ces limites mal tracées que fait la nuit

avec les prés ceux touchant les derniers toits de la ferme

avec les arbres soudain grands les buissons noirs

on peut laisser se perdre la peur et l’imagination

c’est quand même le cœur battant les fesses

un peu serrées qu’est-ce que j’attends c’est pas

besoin d’en dire la solitude a le sourire

de ce qu’on veut le temps aussi

la nuit continue touche-t-elle vraiment les branches de ce poème ?

 

James Sacré, Figures qui bougent un peu, et autres poèmes, préface d'Antoine Emaz, Poésie / Gallimard, 2016, p. 42-43.

29/11/2015

James Sacré, Dans l'œil de l'oubli, suivi de Rougigogne

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   J’ai bien conscience souvent que j’écris en mêlant les temps verbaux comme si je voulais mettre ensemble dans un temps présent aussi bien le passé que ce qui ressemble à du futur quand on se prend à rêver, à dire les mots « demain », « plus tard » : le désir d’un présent qui serait aussi bien l’infini que l’éternité dans le plus fugitif arrêt du temps qu’on s’imagine pouvoir vivre. Ce présent, qui ne peut exister pour nous qui n’en finissons pas de vieillir, n’est-il pas la pupille de cet œil de l’oubli dans laquelle je n’ai jamais rien vu pour la bonne raison que n’existant sans doute pas je ne peux que penser ce présent comme une tache aveugle de mon existence, un trou noir dans lequel toute celle-ci s’engouffre lentement jusqu’à la mort.

 

James Sacré, Dans l’œil de l’oubli suivi de Rougigogne, Obsidiane, 2015, p. 16-17.

07/06/2015

James Sacré, Dans l'œil de l'oubli, suivi de Rougigogne

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                                 Cahiers guenille

 

   Il y a ces premiers cahiers, quatre ou cinq, que sans doute je détruirai. Parce qu’ils sont la trace d’une sorte de crise informe ; celle d’une affectivité qui sait mal reconnaître ce qu’elle découvre en son corps, qui veut s’en défaire (ou en sublimer le poids) tout en l’affirmant de façon désespérée, plutôt que de l’accepter dans un solide contentement d’être. Celle aussi d’un désir de penser sans s’en donner les moyens de le faire par des lectures autour desquelles il aurait fallu réfléchir, en écrivant vraiment au lieu de jeter sur ces cahiers des cris, des gestes de mots, comme de quelqu’un qui se serait noyé dans son vide incohérent.

   Et me voilà parlant de ces cahiers, alors qu’en plus de les détruire je pourrais (je devrais peut-être) n’en rien dire ; si j’en parle maintenant n’est-ce pas que je leur accorde quelque importance persuadé que je suis que c’est là aussi que naît de leur magma brassé et rebrassé de façon répétitive durant quelques années, ce que sera une pratique longtemps continue du poèmes ? Pourtant quand je relis ces cahiers je n’y vois rien qui pourrait expliquer le désir d’écrire. D’ailleurs des poèmes (désespérément mièvres c’est vrai, mais beaucoup plus écrits que les pages de ces cahiers) j’en écrivais depuis bien avant ces années de quasi-ridicule crise d’adolescence.

 

James Sacré, Dans l’œil de l’oubli, suivi de Rougigogne, Obsidiane, 2015, p. 26.

06/03/2015

James Sacré, Cherchet-on le père qu'on a eu ?, dans Rehauts

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Juste après qu’on a dépassé Carcassonne

Venant de Montpellier

On entre comme dans les couleurs que sont

Les toiles de Bentajou, visage rouges

En bord de labours ocre rose ou marron

Ou leurs feuillages morts

Avec des traces de verdure. Bentajou

A tiré de cela des figures comme il dit

Qui sont et ne sont pas ces paysages

Mais ce qui est venu

Quand il a mis du temps et ses mains

À l’épreuve de la couleur, oubliant peut-être

Ou se perdant. Pourrait-on pas dire

Que toi mon père te relevant

En bout d’un arpent de vigne, en Vendée

Tu n’étais plus

Que tremblement de formes et de couleurs

Dans la longueur de ton travail paysan ?

 

James Sacré, Cherche-t-on le père qu’on a eu ?, dans Rehauts, n°34, automne 2014, p. 9.