26/01/2016
Raymond Queneau, Battre la campagne
L’instruction laïque et obligatoire
Le semeur qui semait se trouve pris d’angoisse
car le soleil se tient bien haut sur l’horizon
de longues heures à sillonner les sillons
avant que cette étoile à l’ouest ne disparaisse
Le semeur qui semait se trouve pris d’angoisse
ll s’arrête et se dit à quoi bon à quoi bon
j’aurais bien mieux fait de me casser le citron
pourquoi donc fallut-il que point ne m’instruisisse
Le semeur qui se meurt se trouve pris d’angoisse
il n’a plus de temps pour avoir de l’instruction
et savoir s’il eut raison de dire à quoi bon
Le semeur qui se meurt redevient philosophe
il reprend son chemin à travers les sillons
en distribuant son grain pour une autre moisson
Raymond Queneau, Battre la campagne, Gallimard,
1968, p. 173.
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25/01/2016
Raymond Queneau, Courir les rues
Changement de régime
Entre haricots verts et pomm’frites
ah qu’il hésite ah qu’il hésite
il préfèrerait du boudin
non ! non ! gronde son médecin
les restaurateurs attristés
par les soucis d’obésité
regrettent les gouttes anciennes
les gouttes du temps de Carême
ou du grand roi Louis le Quatorzième
ou celles des films de Charles Chaplin
tarte à la crème tarte à la crème
Kléber Colombes guide Michelin
dans les romans naturalistes
on voyait des messieurs très tristes
se ravager leur estomac
en consommant chaque jour les plats
d’un bouillon éclairé au gaz
les moralistes actuels
ne veulent pas avoir pitié
de ceux qui s’obstinent à manger
Raymond Queneau, Courir les rues,
Gallimard, 1967, p. 77.
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26/11/2015
Raymond Queneau, Une trouille verte, dans Contes et propos
Depuis mon plus jeune âge, j’ai toujours redouté ce qui pourrait me causer quelque ennui, aussi ai-je eu peur successivement de Croquemitaine, des figures de cire des Musées Dupuytren, des places trop fréquentées par les véhicules, des voyous, des pots de fleurs qui tombent sur la tête, des échelles, de la chaude-pisse, de la vérole, de la Gestapo, des V2. La paix n’a bien sûr, en aucune façon, calmé ces alarmes : ainsi, l’autre soir, je mange de la purée de marrons et je me mets à rêver que je suis dans une djip et que le conducteur ne parvient pas à éviter une épaisse colonne, je la vois venir, je me dis qu’on rentre dedans, ça y est, on est rentré dedans, tout noircit ; dans le noir, je me dis : je suis mort, je me dis : c’est comme ça quand on est mort, et puis je me réveille, l’estomac gros et le cœur battant. J’allume, je regarde la montre, il est deux heures, deux heures du matin, bien tôt encore, et je me lève pour aller pisser. Comme je ne pratique pas le pot de chambre, il faut que je me rende aux vécés. Il y a un long couloir. Je le traverse en disant : si ceci, si cela. J’arrive à me faire peur et je pénètre dans les chiottes bien heureux de pouvoir fermer la porte derrière moi, pour couper court, et se sentir chez soi, et non seulement fermer la porte, mais aussi tourner le verrou.
Je pisse.
Je tire sur la chasse d’eau.
Quand l’hygiénique glouglou se fut tu, je perçus dans le couloir la présence de néants, sans ambiance d’existence, ce qui me fit chaud dans les dents, froid sous les ongles, horripilation générale. Une frousse abjecte s’empara de mon âme et, prenant ma tête à deux mains, je m’assis sur le siège des vatères en gémissant sur mon sort immonde.
[...]
Raymond Queneau, Une trouille verte, dans Contes et propos, Gallimard, 1981, p. 157-158.
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15/09/2015
Raymond Queneau, Le Chien à la mandoline
L’existence tout de même quel problème
J’en ai assez de vivre et non moins de mourir
Que puis-je faire alors ? sinon mourir ou vivre
Mais l’un n’est pas assez et l’autre c’est moisir
Aussi me peut-on voir errer plus ou moins ivre
C’est un fait je pourrais écrire un bien beau livre
Où je saurais bêler en me voyant périr
Mais cette activité nullement ne délivre
De faire de la mort l’objet de son désir
Les arbres qui marchaient n’inclinaient point leur tête
Les collines courant s’apprêtaient à la fête
De son haut le soleil semait dru ses rayons
La nature en ses plis absorbait ses victimes
L’absurde coq chantait ses prouesses minimes
Et je cherchais la rime en rongeant des crayons
Raymond Queneau, Le Chien à la mandoline, dans Œuvres complètes, I, Pléiade / Gallimard, 1989, p. 322.
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14/09/2015
Raymond Queneau, L'instant fatal, II
Quelqu’un
Quand la chèvre sourit
quand l’arbre tombe
quand le crabe pince
quand l’herbe est sonore
plus d’une maison
plus d’une coquille
plus d’une caverne
plus d’un édredon
entendent là-bas
entendent tout près
entendent très peu
entendent très bien
quelqu’un qui passe et qui pourrait bien être
et qui pourrait bien être quelqu’un
Pins, pins et sapins
Le ciel la mer saline et les rochers plein d’eau
le cœur de l’anémone auprès des pins têtus
la marche auprès du ciel la marche auprès de l’eau
et la course assoiffée auprès des pins têtus
herbes mousses lichens et toutes les bestioles
le regard s’est perdu sous les sapins têtus
le regard qui s’égare après tant de bestioles
les peuples effarés sous les sapins têtus
le ciel la mer saline où sabre le soleil
tranche la tête plane aux sapins éperdus
se cabrant dans le ciel et se cabrant dans l’eau
tandis qu’une bestiole à l’ombre d’un lichen
cerne de son trajet le bois des pins têtus
sans qu’un regard disperse une route inutile
Raymond Queneau, L’instant fatal, II, dans Œuvres complètes, I, édition Claude Debon, Pléiade / Gallimard, 1989, p. 96-97.
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05/07/2015
Raymond Queneau, Le chien à la mandoline
Voilà que j’assiste à un grand dîner officiel
Après vous Après moi L’échange volatile
De ces mots survolant le côtes de rastron
Me semble en vérité de plus en plus futile
Depuis que j’ai gâté de sauce mon plastron
Pour aller au banquet des rois du mirliton
Je m’étais habillé non sans un certain style
On mangea de l’orange avec du caneton
Et des petits gâteaux de chez Lefèvre-Utile
Les yeux écarquillés je somnolais pantois
Il y eut un discours puis deux puis trois
Et moi-même admirant ma conduite exemplaire
Mais en baissant les yeux épouvanté je vois
La tache que j’avais plaquée avec mes doigts
Sur ma chemise blanche effort vestimentaire
Raymond Queneau, Le chien à la mandoline, Gallimard,
1965, p. 179-180.
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17/04/2015
Raymond Queneau, Fendre les flots
Quel est ton nom ?
Quel est ton nom ?
— Mon nom est naufrage
mon nom découpe l’horizon
seul, seul un mât surnage
survivrai-je à cet orphéon ?
L’ouragan étend ses trompettes
la mer multiplie ses trempettes
survivrai-je à ce rigodon ?
tout se tait puis tout se calme
la constance me tend sa palme
merci ! encore un effort
pour trouver quelque dictame
dans la perspective d’un port
Un chemin d’eau
Mon avenir est-il sur l’eau
souventes fois me le demande
Où est-il le temps des limandes
où nageant comme un serpentin
je traçais à travers les ondes
mon petit tout petit chemin
mais le crauleur s’est assagi
en restant sur la terre ferme
marcher sur l’eau est difficile
prendre le bateau bien banal
l’Océan dans mon esprit
engendre ici ces poésies
Je marche le long du canal
en regardant les chalands lents
poursuivre leur chemin fatal
vers le port de débarquement
Raymond Queneau, Fendre les flots,
Gallimard, 1969, p. 57 et 170.
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07/01/2015
Raymond Queneau, Le Chien à la mandoline, “Sonnets”
Qui cause ? Qui dose ? Qui ose ?
Si j'osais je dirais ce que je n'ose dire
Mais non je n'ose pas je ne suis pas osé
Dire n'est pas mon fort et fors que de le dire
Je cacherai toujours ce que je n'oserai
Oser ce n'est pas rien ce n'est pas peu de dire
Mais rien ce n'est pas peu et peu se réduirait
À ce rien si osé que je n'ose produire
Et que ne cacherait un qui le produirait
Mais ce n'est pas tout ça. Au boulot si je l'ose
Mais comment oserai-je une si courte pause
Séparant le tercet d'avecque le quatrain
D'ailleurs je dois l'avouer je ne sais pas qui cause
Je ne sais pas qui parle et je ne sais qui ose
À l'infini poème apporter une fin
Raymond Queneau, Le Chien à la mandoline, “Sonnets”,
in Œuvres complètes, Gallimard, 1989, p. 301-302.
Près de la Dordogne
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17/11/2014
Raymond Queneau, Texticules, dans Contes et propos
Dans la lettre
L'abri, c'est magistral à l'intérieur d'un a, par exemple, d'un o, d'un i — intérieur mince, bien sûr, que celui de l'i, mais combien certain, tiède même, gemütlich. Avec ça bien sûr, on ne va pas loin sur le chemin de la renommée. Bien plutôt, on va lentement. Oh, combien d'écrivains et combien d'écrivaines
qui sont partis joyeux pour des courses lointaines
à l'intérieur d'un i se sont ensevelis.
Si l'on est désinvolte on peut choisir autre chose : l'aleph, l'oméga, le sampi.
Ah petit troupeau, petit troupeau, que tu nous fais souffrir.
Paralogies
Que s'apprête un peu, loin de, le ce qu'il faut dire alors les échos qu'aux cocoricos d'une longue carte infuse mais dérisoire les limites répondent, répondent. C'est minuit. Certains écrivent, certains rêvent. L'encre coule entre les doigts de la lune en ses carrosses d'algèbres. À côté de, presque, environ, l'étage est annoncé par le carillon flagrant d'une thune. Il est toujours midi. L'heure n'a pas changé depuis le silurien. À peine a-t-elle changé. À peine : juste de quoi ne plus devenir troglodyte.
Le papier blanc laissé sur la table bat des ailes et prend son vol adéquat, idoine, certain.
Raymond Queneau, Texticules, dans Contes et propos, Gallimard, 1981, p. 209-210 et 214.
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07/06/2014
Raymond Queneau, Fendre les flots
L'ouïe fine
Les poissons parlent quel charivari
on ouvre les ouïes pour entendre
leurs discours océaniens
on n'entend rien
il faut avoir l'oreille maritime
pour percevoir ce que ces vertébrés expriment
sinon l'on n'entend rien
que le cri des mouettes
la sirène d'un navire le ressac
et les galets roulés
L'air de la mer
Quel être jette ainsi son haleine fétide
on croyait respirer voilà que cette odeur
s'enfle emplissant l'azur de son gaz homicide
répandant en tout lieu son immense puanteur
Quel monde peut ainsi congestionner les plaines
sur la terre et dans l'eau déversant son venin
éteignoir des parfums massacrant la verveine
la rose l'origan l'encens et le benjoin
Lorsque l'on aperçoit ces ombres méphitiques
qui viennent menacer l'air pur atmosphérique
que faire sinon fuir vers les larges lointains
et marcher d'un bon pas vers les rives humides
où les sels bienfaiteurs d'abord un peu timides
finissent par briser le monde du purin
Raymond Queneau, Fendre les flots, Gallimard, 1969,
p. 49, 94.
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06/06/2014
Raymond Queneau, Battre la campagne
Le rat des villes et les rats des champs
Un rat des villes
s'en vint aux champs
se mettre au vert
chez ses parents
de pauvres petits paysans
ils entassaient pour leur vieil âge
des grammes et des grammes de gruyère
qu'un gros matou du voisinage
venait dévorer voracement
et les pauvres petits paysans
accumulant accumulant
ne faisaient que nourrir ce vilain personnage
et il ne leur resterait rien pour leur vieil âge
le rat des villes s'étonnait
de ce curieux système de sécurité
socialo
puis il se fit une raison
mangea lui aussi du gruyère
et passa d'agréables vacances
dans un joli coin de la douce France
du côté de la frontière suisse
Aller en ville un jour de pluie
On piétine la boue
en attendant l e car
le car est en retard
la colère qui bout
enfin voici le car
il fait gicler la boue
on voyage debout
le car est en retard
ça sent le drap mouillé
la sueur qui s'évapore
sur les vitres la buée
Ce moyen de transport
nous amène à la ville
on s'y fait insulter
des agents pas civils
nous y mépriseraient
si farauds du terroir
on leur un peu matchait
sur leurs vastes panards
en allant au marché
les garçons de café
nous servent peu aimables
ils n'ont pas de respect
pour la terre labourable
la journée est finie
on rentre par le car
la boue toujours jaillit
pressée par les chauffards
voici notre village
voici notre maison
il pleut il pleut bergère
rentre tes bleus moutons
Raymond Queneau, Battre la campagne, Gallimard, 1967, p. 62,
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05/06/2014
Raymond Queneau, Courir les rues
Traduit du latin
Il avaitdu bois de chêne et trois lames de bronze autour du cœur
celui qui le premier osa mettre un pied devant l'autre
traverser la chaussée de l'avenue de l'Opéra vers six heures
affrontant les milliers de ouatures se frottant mutuellement le râble
et se glissant entre rostres d'acier et leurs abdomens de métal
pour aller d'un trottoir relativement abrité vers un jumeau incertain
cependant que le tonnerre des impatients retentit jusqu'aux étages
[supérieurs
emportant avec lui les fumées tétraplombées des pots expectorateurs
il avait du bois de chêne et trois lames, autour du cœur, de bronze
celui qui le premier osa traverser une rue sur le coup de dix-huit
[heures onze
Une révolution culturelle
Les restaurants chinois se multiplient
d'une croissance exponentielle
pas de doute le péril
jaune en gastronomie
le tigre de papier et le nid d'hirondelle
détrônent le steak sur le gril
Encore le péril jaune
Dans le bus des touri-
tes chi-
nois ri-
ent avec autant de vulgari-
té
que des Français
Raymond Queneau, Courir les rues, Gallimard, 1967, p. 179, 137, 142.
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23/02/2014
Raymond Queneau, L'instant fatal, dans Œuvres complètes,I
Je crains pas ça tellment
Je crains pas ça tellment la mort de mes entrailles
et la mort de mon nez et celle de mes os
Je crains pas ça tellment moi cette moustiquaille
qu'on baptise Raymond d'un père dit Queneau
Je crains pas ça tellment où va la bouquinaille
la quais les cabinets la poussière et l'ennui
Je crains pas ça tellment moi qui tant écrivaille
et distille la mort en quelques poésies
Je crains pas ça tellment La nuit se coule douce
entre les bords teigneux des paupières des morts
Elle est douce la nuit caresse d'une rousse
le miel des méridiens des pôles sud et nord
Je crains pas cette nuit Je crains pas le sommeil
absolu Ça doit être aussi lourd que le plomb
aussi sec que la lave aussi noir que le ciel
aussi sourd qu'un mendiant bêlant au coin d'un pont
Je crains bien le malheur le deuil et la souffrance
et l'angoisse et la guigne et l'excès de l'absence
Je crains l'abîme obèse où gît la maladie
et le temps et l'espace et les torts de l'esprit
Mais je crains pas tellment ce lugubre imbécile
qui viendra me cueillir au bout de son curdent
lorsque vaincu j'aurai d'un œil vague et placide
cédé tout mon courage aux rongeurs du présent
Un jour je chanterai Ulysse ou bien Achille
Énée ou bien Didon Quichotte ou bien Pansa
Un jour je chanterai le bonheur des tranquilles
les plaisirs de la pêche ou la paix des villas
Aujourd'hui bien lassé par l'heure qui s'enroule
tournant comme un bourrin tout autour du cadran
permettez mille excuz à ce crâne — une boule —
de susurrer plaintif la chanson du néant
Raymond Queneau, L'instant fatal, dans Œuvres complètes,
I, édition établie par Claude Debon, Pléiade / Gallimard, 1989, p. 123.
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22/02/2014
Raymond Queneau, Chansons,
Chansons
I
Il y a des gens qui s' cass'nt la tête
Parc' qu'ils voudraient gagner d'l'argent
Beaucoup d'argent
Ils cherch'nt partout des recettes
Pour dev'nir rich's immédiatement
Et copieusement
Ou bien ils travaill'nt tout' leur vie
Ou bien ils préfèr'nt êt' bandits
De grand chemin
Tout ça c'est bien trop compliqué :
Pour êtr' célèbre et honoré
Y a qu'un moyen
Faites comme moi
Dev'nez champion
C'est si facile
Et c'est si bon
Ah quel plaisir d'être champion
On n'a qu'à se mettr' sur les rangs
Pour écraser les concurrents
Ah quel bonheur d'être champion
Même un champion de trottinette
Tout l'monde accourt pour lui fair' fête
Ah quelle joie d'être un champion
C'est si facile et c'est si bon.
*
Une vie sans toi
Une vie sans toi
Qu'est-ce que ça veut dire ?
Ça veut dir' la pluie
Tout au long des mois
Ça veut dir' l'ennui
Ça veut dir' le pire
Ça veut dir' tout ça
Et encore tout ça
Ça veut dir' la neige
Au mois de juillet
Ça veut dir' la fleur
Mourant sur la branche
Ça veut dire l'oiseau
Crevant en plein ciel
Ça veut dir' tout ça
Et encore tout ça
Ça veut dir' tout ça
Ne pas te revoir
Si jamais la vie
Voulait t'éloigner
À toujours de moi
Comme serait gris
Comme serait noir
Un monde sans toi
Raymond Queneau, Chansons, dans Œuvres
complètes, I, édition établie par Claude
Debon, Pléiade / Gallimard,1989, p. 972 et 969.
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12/11/2013
Raymond Queneau, Le Chien à la mandoline
Pour un art poétique
Prenez un mot prenez-en deux
faites les cuir (1) comme des œufs
prenez un petit bot de sens
puis un grand morceau d'innocence
faites chauffer à petit feu
au petit feu de la technique
versez la sauce énigmatique
saupoudrez de quelques étoiles
poivrez et puis mettez les voiles
où voulez-vous en venir ?
À écrire
Vraiment ? à écrire ?
(1) "cuir" pour le compte des syllabes
*
Encore l'art po
C'est mon po — c'est mon po — mon poème
Que je veux — que je veux — éditer
Ah je l'ai — ah je l'ai — ah je l'aime
Mon popo — mon popo — mon pommier
Oui mon po — oui mon po — mon poème
C'est à pro — c'est à propos — d'un pommier
Car je l'ai — car je l'ai — car je l'aime
Mon popo — mon popo — mon pommier
Il donn' des — il donn' des — des poèmes
Mon popo — mon popo — mon pommier
C'est pour ça — c'est pour ça — que je l'aime
La popo— la popomme — au pommier
Je la sucre — et j'y mets — de la crème
Sur la po — la popomme — au pommier
Et ça vaut — ça vaut bien — le poème
Que je vais — que je vais — éditer
Raymond Queneau, Le Chien à la mandoline,
dans Œuvres complètes I, édition établie par
Claude Debon, Bibliothèque de la Pléiade,
Gallimard, 1989, p. 270-271.
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