07/01/2021
Raymond Queneau, Courir les rues
Tous les parfums de l’Arabie
Il y avait un passage Waterloo
on l’a démoli
c’est qu’on est patriote à Paris
alors pourquoi une rue Jules César
l‘ennemi juré des Gaulois
ces ancêtres
elle se musse non loin de la gare de Lyon
et quel air banal
soudain cette odeur
plantes aromates épices tropiques
effluves fragrances botaniques
garrigues de Provence jardins d’Ispahan
je fonce et flaire
le CPM fondé en 1901 m’attire
le CPM c’est-à-dire
l’omptoir harmaceutique oderne
mais non ce n’est pas là
je fonce et flaire et découvre
Les Bons Producteurs
vente en gros
herboristeries de toute provenance
Les Bons Producteurs
ont la bonne odeur
mais elle ne va pas plus loin que le boulevard de la Bastille
en face de l’autre côté du canal
s’assirent sur un banc Bouvard et Pécuchet
comme il faisait une chaleur de trente-trois degrés
Raymond Queneau, Courir les rues, Gallimard, 1967, p. 155-156.
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25/03/2019
Raymond Queneau, Le Voyage en Grèce
(…) La science actuelle est un disparate, un amas incoordonnable et voilà pourquoi sa richesse est un dénuement. Un individu fini ne peut amasser en un temps fini un nombre indéfini de connaissances (faits). Résultat : le savant réduit à la spécialisation ; « l’honnête homme » réduit au snobisme ; le citoyen réduit à l’ignorance. (…)
Il faut ajouter qu’avec la science actuelle, en dehors de domaines minimes pour chacun, l’ « élite » doit se satisfaire elle aussi de rudiments mal digérés. C’est que cette masse colossale de faits qu’est la « culture moderne » n’est pas en réalité un savoir et ne fournit pas les moyens d’atteindre à un savoir quelconque. En dehors de son intérêt pratique, en dehors des théories fragmentaires, et qui viennent d’ailleurs, cette masse en elle-même n’est que le résultat d’un désordre, le déchet de l’incohérence de toutes les recherches et de toutes les expériences ; ce à quoi vient s’ajouter toute la poussière de l’histoire, de l’archéologie, etc. Tout ceci ne peut rien apprendre à l’homme. Ce n’est d’aucun usage pour sa culture réelle, ni pour son bonheur, ce ne lui est d’aucune utilitépour l’aider à découvrir sa propre vérité.
Raymond Queneau, Le Voyage en Grèce, Gallimard, 1973, p. 101-102.
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15/03/2019
Raymond Queneau, Courir les rues
Mon beau Paris
Maisons lépreuses
maisons cholériques
maisons empestées
bâtisses fienteuses
immeubles atteints de rougeole
de scarlatine
de vérole
pavillons chlorotiques
pavillons scrofuleux
pavillons rachitiques
hôtels particuliers
constipés
baraques
taudis
Raymond Queneau, Courir les rues, dans
Œuvres complètes, I, Pléiade/Gallimard,
1989, p. 412.
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06/12/2018
Raymond Queneau, Un rude hiver
Les Chinois avançaient précédés par deux sergents de ville.
Pour voir ça, les mercantis sortirent de leurs souks avec des yeux en bille et le clapet ouvert. Des moutards galopaient le long du cortège en criant : les Chinacos, les Chinacos. Aux fenêtres se tendirent des cous, sur les balcons apparurent des curieux. Un tram remonta la file asiatique, et ses occupants, au dernier stade la coagulation, interpellèrent les défilants en des langues variées et en termes insultants.
(…)
Derrière les deux flics marchaient primo deux Chinois ayant sans doute quelque autorité sur leurs compatriotes, secundo un Chinois porteur d’un parasol jaune, tertio un Chinois porteur d’un objet également jaune formé de deux ellipsoïdes enfilés sur un bâton selon leur plus grand axe, quarto un Chinois porteur d’un drapeau chinois pourvu de toutes ses bandes, quinto un Chinois porteur d’un drapeau également dans la même condition, sexto un Chinois frappant sue une plaque de fer, septimo un contorsionniste chinois habillé de jaune et agrémenté d’une barbe postiche, octavo un Chinois également vêtu de jaune et frappant l’une contre l’autre deux longues lattes de bois, nono un Chinois porteur d’un objet qui pour la population européenne présente ne pouvait faire figure que de canne à pêche et decimo une centaine de Chinois parmi lesquels se trouvaient des porteurs de petits drapeaux français.
Raymond Queneau, Un rude hiver, Gallimard, 1939, p. 7-9.
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24/09/2018
Raymond Queneau, Entretiens avec Georges Charbonnier
R. Q. (…) L’origine de l’orthographe, vous savez, cela a été une invention des imprimeurs, des maîtres imprimeurs, pour que tout le monde ne soit pas imprimeur !
G. C. La défense du monopole !
R. Q. La défense du monopole. Que l’orthographe soit quelque chose de compliqué, d’extrêmement difficile, pour qu’on monte les grades des corporations, d’apprenti, de maître, etc., etc.
L’orthographe, les questions de traits d’union, de tréma, de trucs comme cela, ce sont des subtilités. Quand on pense que jusqu’à la timide réforme de 1901, on se faisait recaler au baccalauréat parce qu’on mettait, je ne sais pas, un mot sans trait d’union, et cela faisait une faute, ou des choses comme cela ! Enfin ce n’est pas sérieux ! Ce n’est pas cela, la langue française, non ? C’est des petites choses !
En s’obstinant à défendre la place du tréma sur l’ « e » ou l’ »u » ou des niaiseries comme cela, tout d’un coup, il faut bien constater que la langue parlée est totalement différente de la langue écrite. Et c’est très notable en français. Ce qu’il est intéressant de noter c’est qu’en anglais cela ne s’est pas passé comme cela, alors que l’anglais a aussi une orthographe qui est beaucoup plus extravagante que celle du français. La question ne se pose pas, parce qu’il n’y a jamais eu justement cette espèce de gangue imposée au langage par des règles orthographiques secondaires.
Raymond Queneau, Entretiens avec Georges Charbonnier, Gallimard, 1962, p. 84-85.
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01/03/2018
Raymond Queneau, Le Chien à la mandoline
Une révolution loupée en 1788
Lorsque sur le château la patine des âges
S’ébroue en ricanant parce qu’un menuisier
N’essuyant pas ses pieds ignore les usages
Comment les aurait-il puisqu’il est roturier
Alors les archiducs de moindres personnages
Et jusqu’au damoiseau devenu foutriquet
Remontant lentement le cours des épandages
Pour dedans le donjon pouvoir se réfugier
Mais l‘homme était suivi de plus d’un acolyte
Celui qui fend la pierre et l’ardoise délite
Celui qui tord le fer et mâchonne l’acier
Ces ludions s’élevaient artisans ou d’élite
Puis tous durent descendre à cause du plombier
Réussissant enfin à boucher une fuite
Raymond Queneau, Le Chien à la mandoline,
Gallimard, 1965, p. 151-152.
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18/10/2017
Raymond Queneau, Le Chien à la mandoline
Dodo, l’enfant ut
Enfants qui déchiffrez dans l’ambre des agathes
Des entrailles le miel des lapins étendues
Sur l’étal du marchand avec leurs quatre pattes
Pour qu’ils ne courent pas deux ensemble cousues
Enfants qui préférez le goût des aromates
Au vol des papillons sur les pousses touffues
Y semant le pollen de leurs corps antennates
Exemples confondants des ères révolues
Enfants qui déchiffrez dans le cercle de lune
Un bûcheron bossu qui porte sa fortune
Quelque fagot de bois valant bien quatre sous
Enfants qui dans la nuit apercevez la hune
De bateaux sinistrés recouverts par la hune
Enfants vous qui rêvez enfants endormez-vous
Raymond Queneau, Le Chien à la mandoline,
Gallimard, 1965, p. 221-222.
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01/10/2017
Raymond Queneau, Battre la campagne
Le bon vieux temps
Le moissonneur pour son Noël
s(achète une faux
une faux électronique
plus rapide que l’éclair
elle compte aussi les épis
qui tombent à chaque andain
elle en détermine le prix
compte tenu du marché commun
elle peut s’autoréparer
s’il lui arrive quelque anicroche
elle peut si l’on veut chanter
un air à la mode
le moissonneur est bien content
il met une bûche dans l’âtre
et dans un ancien récipient
où dort une soupe verdâtre
il taille le pain de ciment
pour s’en faire un solide emplâtre
fume sa pipe un bon moment
puis s’endort dans des draps blanchâtres
et passe la nuit en rêvant
aux plaisirs un peu douçâtres
que l’on avait au bon vieux temps
Raymond Queneau, Battre la campagne,
Gallimard, 1968, p. 94-95.
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25/01/2017
Raymond Queneau, Évolution (L'Instant fatal)
Évolution
L’espèce eut ses grands orteils
les ancêtres ont donc raison
ils font les monts et les merveilles
dans leur vieux temps ils font les cons
leur vieux temps où déjà bien jeunes
ils procréaient à queue-veux-tu
les rejetons les épigones
les disciples les trous du cul
les fils les filles et les mioches
la marmaille drette ou bancroche
l’averse des avortons
la multiplicité des gones
la prolixité sans borne des chiards
leurs héritiers leurs successards
c’était au temps où notre espèce
ne se voilait pas encore la face.
Raymond Queneau, L’instant fatal, dans
Œuvres complètes, I, Pléiade / Gallimard,
1989, p. 116.
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18/10/2016
Raymond Queneau, Le chien à la mandoline
Pour un art poétique (suite)
Prenez un mot prenez-en deux
faites–les cuir’ comme des œufs
prenez un petit bout de sens
puis un grand morceau d’innocence
faites chauffer à petit feu
au petit feu de la technique
versez la sauce énigmatique
saupoudrez de quelques étoiles
poivrez et puis mettez les voiles
où voulez-vous en venir ?
À écrire
Vraiment ? à écrire ?
Raymond Queneau, Le chien à la mandoline,
Gallimard, 1965, p. 65.
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31/08/2016
Raymond Queneau, Fendre les flots
La sirène éliminable
Je ne sais qui chantonne à l’ombre du balcon
c’est un chant de sirène ou bien de vieux croûton
il faudra que j’y aille afin de voir si je
me suis trompé ou bien si j’ai mis dans le mille
si c’est un vieux croûton je le pousse du pied
doucement dans le ruisseau pour qu’il vogue et qu’il
aille vers la mer où il sera libéré
des balais éboueux des tracas de la ville
si c’est une sirène alors serai surpris
je lui dirai madame un tel chant m’exaspère
vous avez une voix qui ne me charme guère
elle me répond : monsieur j’ai eu un prix
au conservatoire autrefois dans ma jeunesse
donnez au moins l’aumône au titre de noblesse
Raymond Queneau, Fendre les flots, Gallimard,
1969, p. 98.
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30/08/2016
Raymond Queneau, Courir les rues
Zoo familier
Chats pigeons chevaux perruches
quelques moustiques quelques mouches
les ânes les chèvres les poneys
des champs de Mars ou Élysées
des singes et des perroquets
parfois même des araignées
chiens de race ou simples roquets
dans leurs vases des poissons rouges
dans leurs toisons les pauvres pous [sic]
raee qui tend à disparaître
les cancrelats et les punaises
les merles les corbeaux les pies
les très peu nombreux ouistitis
les mulots les rats les souris
le perce-oreille issant du fruit
mille-pattes et charançons
sur les faces des comédons
les urus dans les mots croisés
quelques vers dans les framboises
de rares aigles
dans sa cage chante un serin
et puis des humains
et puis des humains
Raymond Queneau, Courir les rues,
Gallimard, 1967, p. 110-111.
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29/08/2016
Raymond Queneau, Battre la campagne
Le repos du berger
Y a-t-il un obstacle
à la poursuite du vent ?
Y a-t-il obstruction
à ce que volent les mots ?
Y aura-t-il empêchements
à la pose des inscriptions ?
le vieillard berger sonore
hurle et crie dans la vallée
que l’écho redise encore
les injures ondulées
en a-t-il donc à la pierre ?
aux arbres ? aux rus ? aux serpents ?
aux sucs de la bonne terre ?
aux herbes tout envahissant
mais ce ne sont plus des injures
car le vent en les emportant
les sasse et les voilà pures
les phonèmes du dément
les mots caressent donc la pierre
les arbres les rus les serpents
les sucs de la bonne terre
les herbes tout envahissant
et le berger devenu sourd
à sa propre injustice
s’étend pour enfin dormir
dans le silence enfin complice
Raymond Queneau, Battre la campagne,
Gallimard, 1965, p . 140-141.
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20/06/2016
Raymond Queneau, Pour un art poétique
Un train qui siffle dans la nuit
C’est un sujet de poésie
Un train qui siffle en Bohême
C’est là le sujet de poème
Un train qui siffle mélod’
Ieusemet c’est pour une ode
Un train qui siffle comme un sansonnet
C’est bien un sujet de sonnet
Et un train qui siffle comme un hérisson
Ça fait tout un poème épique
Seul un train sifflant dans la nuit
Fait un sujet de poésie
Raymond Queneau, Pour un art poétique, dans
Si tu t’imagines, Le point du jour/Gallimard, 1952,
- 251.
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27/01/2016
Raymond Queneau, Fendre les flots
Bois flottés
Pour, auprès des eaux
stagnantes mais un peu soulevées
tendues par les marées,
ne pas briser les
branches au-dessus des canaux
assimilés il faut découvrir
lucidement quelque gravure
xylographie éventuelle
ordonner les traits du hasard
dominer les coupures
abraser après l’érosion
chercher enfin la forme éprouvée
objet abandonné à lui-même
statuette sans autre raison d’être que d’être
Raymond Queneau, Fendre les flots,
Gallimard, 1969, p. 54.
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