06/06/2014
Raymond Queneau, Battre la campagne
Le rat des villes et les rats des champs
Un rat des villes
s'en vint aux champs
se mettre au vert
chez ses parents
de pauvres petits paysans
ils entassaient pour leur vieil âge
des grammes et des grammes de gruyère
qu'un gros matou du voisinage
venait dévorer voracement
et les pauvres petits paysans
accumulant accumulant
ne faisaient que nourrir ce vilain personnage
et il ne leur resterait rien pour leur vieil âge
le rat des villes s'étonnait
de ce curieux système de sécurité
socialo
puis il se fit une raison
mangea lui aussi du gruyère
et passa d'agréables vacances
dans un joli coin de la douce France
du côté de la frontière suisse
Aller en ville un jour de pluie
On piétine la boue
en attendant l e car
le car est en retard
la colère qui bout
enfin voici le car
il fait gicler la boue
on voyage debout
le car est en retard
ça sent le drap mouillé
la sueur qui s'évapore
sur les vitres la buée
Ce moyen de transport
nous amène à la ville
on s'y fait insulter
des agents pas civils
nous y mépriseraient
si farauds du terroir
on leur un peu matchait
sur leurs vastes panards
en allant au marché
les garçons de café
nous servent peu aimables
ils n'ont pas de respect
pour la terre labourable
la journée est finie
on rentre par le car
la boue toujours jaillit
pressée par les chauffards
voici notre village
voici notre maison
il pleut il pleut bergère
rentre tes bleus moutons
Raymond Queneau, Battre la campagne, Gallimard, 1967, p. 62,
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Queneau Raymond | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : raymond queneau, battre la campagne, rat des villes, rat des champs, plie, car, bergère | Facebook |
Les commentaires sont fermés.