25/01/2017
Raymond Queneau, Évolution (L'Instant fatal)
Évolution
L’espèce eut ses grands orteils
les ancêtres ont donc raison
ils font les monts et les merveilles
dans leur vieux temps ils font les cons
leur vieux temps où déjà bien jeunes
ils procréaient à queue-veux-tu
les rejetons les épigones
les disciples les trous du cul
les fils les filles et les mioches
la marmaille drette ou bancroche
l’averse des avortons
la multiplicité des gones
la prolixité sans borne des chiards
leurs héritiers leurs successards
c’était au temps où notre espèce
ne se voilait pas encore la face.
Raymond Queneau, L’instant fatal, dans
Œuvres complètes, I, Pléiade / Gallimard,
1989, p. 116.
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23/02/2014
Raymond Queneau, L'instant fatal, dans Œuvres complètes,I
Je crains pas ça tellment
Je crains pas ça tellment la mort de mes entrailles
et la mort de mon nez et celle de mes os
Je crains pas ça tellment moi cette moustiquaille
qu'on baptise Raymond d'un père dit Queneau
Je crains pas ça tellment où va la bouquinaille
la quais les cabinets la poussière et l'ennui
Je crains pas ça tellment moi qui tant écrivaille
et distille la mort en quelques poésies
Je crains pas ça tellment La nuit se coule douce
entre les bords teigneux des paupières des morts
Elle est douce la nuit caresse d'une rousse
le miel des méridiens des pôles sud et nord
Je crains pas cette nuit Je crains pas le sommeil
absolu Ça doit être aussi lourd que le plomb
aussi sec que la lave aussi noir que le ciel
aussi sourd qu'un mendiant bêlant au coin d'un pont
Je crains bien le malheur le deuil et la souffrance
et l'angoisse et la guigne et l'excès de l'absence
Je crains l'abîme obèse où gît la maladie
et le temps et l'espace et les torts de l'esprit
Mais je crains pas tellment ce lugubre imbécile
qui viendra me cueillir au bout de son curdent
lorsque vaincu j'aurai d'un œil vague et placide
cédé tout mon courage aux rongeurs du présent
Un jour je chanterai Ulysse ou bien Achille
Énée ou bien Didon Quichotte ou bien Pansa
Un jour je chanterai le bonheur des tranquilles
les plaisirs de la pêche ou la paix des villas
Aujourd'hui bien lassé par l'heure qui s'enroule
tournant comme un bourrin tout autour du cadran
permettez mille excuz à ce crâne — une boule —
de susurrer plaintif la chanson du néant
Raymond Queneau, L'instant fatal, dans Œuvres complètes,
I, édition établie par Claude Debon, Pléiade / Gallimard, 1989, p. 123.
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11/11/2013
Raymond Queneau, Le chien à la mandoline — L'instant fatal
Les dimanches haïs favorisent
la poésie
Que faire en ce jour plein de nuages ?
Le marché aux puces est si loin
Je pourrais essayer la nage
Et m'aller coucher dans le foin
Cécile a mis ses grands gants noirs
Pour se rendre à la messe noire
Adolphe a mis ses souliers blancs
Pour monter sur l'éléphant blanc
Que faire en ce jour plein de nuages ?
La mairie est sans doute fermée
On se promène plein de rage
Sur le boulevard encombré
Madeleine a vu dans un coin
Une réserve de bananes
Elle s'empiffre à rendre l'âme
Onésiphore est son copain
Que faire en ce jour plein de nuages ?
Écrire un poème peut-être
Cela présente l'avantage
De cultiver les belles-lettres
*
Tant de sueur humaine
Tant de sueur humaine
tant de sang gâté
tant de mains usées
tant de chaînes
tant de dents brisées
tant de haines
tant d'yeux éberlués
tant de faridondaines
tant de turlutaines
tant de curés
tant de guerres et tant de paix
tant de diplomates et tant de capitaines
tant de rois et tant de reines
tant d'as et tant de valets
tant de pleurs tant de regrets
tant de malheurs et tant de peines
tant de vies à perdre haleine
tant de roues et tant de gibets
tant de supplices délectés
tant de roues et tant de gibets
tant de vies à perdre haleine
tant de malheurs et tant de peines
tant de pleurs tant de regrets
tans d'as et tant de valets
tant de rois et tant de reines
tant de diplomates et tant de capitaines
tant de guerres et tant de paix
tant de curés
tant de turlutaines
tant de faridondaines
tant d'yeux éberlués
tant de haines
tant de dents brisées
tant de chaînes
tant de mains usées
tans de sang gâté
tant de sueur humaine
Raymond Queneau, Œuvres complètes I, édition
établie par Claude Debon, Bibliothèque de la
Pléiade, Gallimard, 1989, p. 271(Le chien
à la mandoline), 136-137 (L'instant fatal).
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