23/01/2012
Franck Venaille, C'est à dire
Certains qui tombent
Plusieurs, plusieurs fois, par jour de vie oui plusieurs
je me risquais dans mes souterrains
J'avais perdu ma part d'animalité
et n'étais plus rien qu'un homme
se souvenant de sa force d'autrefois, sa force
en allée
quand le père de votre père vivait encore vivant Mais
je suis si nerveux cela me ronge de l'intérieur
ne vous attendez pas à lire la fin heureuse du poè-
Me
ainsi étais-je au-dessus de mes forces
espérant simple-
Met une fois encore entendre
hurler fort le chien si agité
devant la mer en larmes
[...]
Peintures en trompe-l'œil sur les murs de l'hôpital
Heure noire de la journée, heure creuse, heure où les chevaux refusent toute nourriture. Animaux obstinés, comme je vous envie & vous demande de demeurer pleinement ce que vous êtes, installés calmement, les sabots de devant dans la fraîcheur de l'eau (claire, ici) lagunaire.
Arrivent alors des camions sans bâche où chacun des soldats prend appui sur le dos d'un autre. Quelle histoire ! C'est pour sauter à terre plus vite (bruits de croquenots) au cas où une embuscade barbaresque bouleverserait soudain les manuels traitant de stratégie militaire. Si ! Le premier blessé — pied droit arraché, moignon devenu festin pour chirurgiens carnivores — qui longuement, criera le nom de sa mère — est déjà un héros. Lâchez pour lui les chiens de guerre. Qu'ils partent tous pour la corvée de bois. C'est la mélodie des phares qui, bientôt, s'élève. Quelque chose qui tient d'un mouvement de symphonie primitive ! Eux (c'est-à-dire Moi-infant) se taisent. Obstinément ils se taisent. Obstinément les chiens.
Je dis qu'il faut plus que de la hargne pour gagner une guerre. Avant toute chose : vaincre l'ennemi principal : soi-même ! Et puis n'a-t-on pas pris l'habitude élégante de fusiller les cadavres en premier !
LE BON DOCTEUR DÖBLIN
S'EN VA - TA - LA CANTINE
MANGER DES VONGOLÉS
AVEC SA TANTE HERMINE
Heure noire donc. Alors que la lumière de cette fin de journée, partout, (mer & canaux) est la même. Mais l'eau monte. Comme elle s'insinue, lentement, dans le salon d'attente de ce médecin du cerveau spécialisé dans la pensée rationnelle. Que lit-il ? : La Libre pensée. La Raison. Pensée & raison. Que peut-il faire de plus ? Se balancer d'un pied sur l'autre ! L'heure noire tombe l'hiver vers cinq heure, moment où la lagune vomit son fiel sombre.
L'instant où le More Othello et Desdémone échangent des serments d'amour.
(duo)
Tout m'est blessure. Je ne sais plus que faire pour vivre mieux.
Franck Venaille, C'est à dire, Mercure de France, 2012, p. 45, 77-78.
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22/01/2012
Pierre Reverdy, Le Livre de mon bord et Le Gant de crin
Le style, ce ne doit pas être tellement l’homme qu’on l’a dit – car l’on se complaît bien plus à sa personnalité qu’en ce qu’on écrit. On se désespère d’écrire mal, et rien ne concorde entre ce que l’on sent et ce que l’on écrit. On se relit, on retouche ce style répugnant, rien ne vient mieux. Je crois que ce qui est vraiment l’homme c’est le plaisir ou le dégoût qu’il prend à l’effort pour écrire mieux. C’est-à-dire qu’il n’y ait pas plus de vulgarité dans le style que dans la pensée.
L’homme ne se réalise que dans la connaissance. Les frontières de sa connaissance sont les frontières de son être. Plus il connaît, plus il est vaste et étendu, moins il connaît, plus il est étroit et restreint. Mais il y a aussi le parti qu’il tire et l’usage qu’il fait de ces connaissances et qui le font grand ou petit.
Le style, bon ou mauvais, je parle de ce qui caractérise un écrivain, ce n’est pas le premier jet, mais l’état où il laisse la chose écrite, celui auquel il n’éprouve plus le besoin de rien changer. Et ce n’est pas la moindre révélation du caractère que de ne jamais tenir pour définitive l’expression formelle de sa pensée.
Pierre Reverdy, Le Livre de mon bord, 1930-1936, Mercure de France, 1948, p. 47-48, 162, 210.
Je ne connais pas d’exemple d’une œuvre qui ait inspiré moins de confiance à son auteur que la mienne.
Aussi me gardé-je bien de la défendre.
J’accepte ici qu’elle peut n’être qu’un témoin d’impuissance.
Le propre de l’image forte est d’être issue du rapprochement spontané de deux réalités très distantes dont l’esprit seul a saisi les rapports.
Le poète est poussé à créer par le besoin constant et obsédant de sonder le mystère de son être intérieur, de connaître son pouvoir et sa force.
Il n’est que les gens de métier qui se satisfassent de quelque certitude sur leurs facultés.
Mais en poésie les gens de métier sont les médiocres.
Si les glaces de verre sont flatteuses pour toi, supprime-les. Ne te regarde pas en dehors mais en dedans, il y a là un sombre miroir sans complaisance.
Pierre Reverdy, Le Gant de crin, Plon, 1927, p. 26-27, 34, 44, 105.
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21/01/2012
Malcolm Lowry, Nulle poésie
Nulle poésie
Nulle poésie à vivre là.
Vous êtes ces pierres mêmes, ces bruits ceux de vos esprits
Les ferraillants tramways grondeurs et les rues qui mènent
Au bar de vos rêves où le désespoir siège
Ne sont que rues et tramways : la poésie est ailleurs.
Cinémas et boutiques une fois abandonnés
On les regrette. Puis plus. Étrangement hostiles
Semblent les nouveaux points de repère marquant ici et maintenant.
Mais allez du côté de la Nouvelle-Zélande et vers les Pôles,
Ces pierres s'avivront, ce bruit sera chant,
Le tramway bercera l'enfant qui dort
Et aussi celui qui court toujours, dont vogue la nef
Mais qui jamais ne peut retourner au pays mais doit rapporter
À Illion d'étranges et sauvages trophées.
Malcolm Lowry, Poèmes, traduction de Jean Follain, dans "Les Lettres nouvelles", juillet-aoùt 1960, p. 91.
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20/01/2012
Guy Goffette, Éloge pour une cuisine de province
La visite de Rembrandt
La nuit a volé
son unique lampe à la cuisine
piégé dans la vitre
celui qui se tait
debout dans la tourbe des mots
Il brûle à feu très doux
l'obscure enveloppe du silence
(comme ces collines sous la cendre
réchauffent l'aube de leur mufle)
et pour la première fois peut-être
son visage d'ombre est toute la lumière
et parle pour lui seul
Guy Goffette, Éloge pour une cuisine de province, postface de Jacques Borel, Champ Vallon, 1988, p. 25.
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19/01/2012
Nelly Sachs, Brasier d'énigmes et autres poèmes
Dans un paysage
Dans un paysage de musique
dans une langue uniquement de lumière
dans une gloire
que s'est allumé le sang
avec les paroles de la nostalgie,
là-bas où les épidermes,
les yeux, les horizons,
où la main et le pied
ne se distinguent déjà plus,
là-bas où le parfum de santal
déjà flotte malgré l'absence du bois
et où l'haleine continue à construire cet espace
qui n'est que frontières outrepassées...
Ici où le soir de son torchon rouge
excite jusqu'à la mort
le taureau de la vie,
ici s'étend mon ombre
main de nuit
qui possédée de l'esprit noir du chasseur
a tué
l'oiseau rouge du sang.
In einer Landschaft
In einer Landschaft aus Musik,
in einer Sprache nur aus Licht,
in einer Glorie,
die das Blut
sich mit der Sehnsucht Zunge angezündet,
dort wo die Haüte,
Augen, Horizonte,
wo Hand und Fuss
schon ohne Zeichen sind,
dort wo des Sandelbaumes Dufr
schon holzlos schwebt
und Atem baut au jenem Raume weiter,
der nur aus übertretnen Schwellen ist —
Hier wo ein rotes Abendtuch
den Stier des Lebens reizt
bis in den Tod,
hier liegt mein Schatten,
eine Hand der Nacht,
die mit des schwarzen Jägers Jagegeist
des Blutes roten Vogel
angeschossen hat.
Nelly Sachs, Brasier d'énigmes et autres poèmes, édition bilingue, traduit de l'allemand par Lionel Richard, "Les Lettres Nouvelles", Denoël, 1967, p. 103 et 102.
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18/01/2012
Jean Bollack, note sur Le Cygne de Baudelaire
Baudelaire, dans "Le Cygne", l'une des investigations les plus poussées de la faculté de mémoire qui ait jamais été conçue, s'est attaché à faire de l'Andromaque de Virgile, et en arrière de celle d'Homère, le symbole de l'absence, accueillie et surmontée dans la pathos de la mise en scène. C'est le pouvoir de l'esprit, ne se séparant pas, mais se reconstituant par la séparation : «... je pense à vous », « je ne vois qu'en esprit », « je pense à mon grand cygne », puis « je pense à la négresse » : le mouvement s'étend à tout ce qui jamais a été arraché, exilé, exclu. À « l'immense majesté » des pleurs de la veuve répond la fécondité d'une "mémoire" déjà fertile, comme la terre, contenant tout ce qui a jamais pu être dit et écrit plus tard (comme le Livre soit de Mallarmé soit de Celan). La majesté, toute objective, est d'abord le produit d'une tradition livresque, immémoriale et c'est elle qu'en fait le poète retrouve, qu'il se remémore et qu'il analyse dans les étagements de l'alexandrin, transposant les conquêtes de l'expérience immédiate dans les couches les plus médiatisées de la culture littéraire, celles où l'on peut faire sonner un mot comme "Hélénos". C'est comme si les arrachements les plus tragiques étaient à l'origine de toutes les créations et qu'inversement, on n'accédait à l'absence que par les livres. Un exil à lui, propre au poète (« ... dans la forêt où mon esprit s'exile »), le rapproche des exilés de tous les temps. « Un vieux souvenir sonne...» ; il n'y en a qu'un : au terme d'une extension, il est vieux comme le monde, recueillant toute la perte :
« Je pense...». À fin, c'est n'importe quoi, tout ce qu'on fait exister en vers parce qu'on ne l'avait plus. C'est aussi une histoire de la poésie. La douleur est la Muse, qui connaît toute chose. Le poète jubilant a une clé qui ouvre ce qu'il touche.
Jean Bollack, extrait d'un ouvrage à paraître.
©photo Tristan Hordé
Le Cygne
Victor Hugo
I
Andromaque, je pense à vous ! Ce petit fleuve,
Pauvre et triste miroir où jadis resplendit
L'immense majesté de vos douleurs de veuve,
Ce Simoïs menteur qui par vos pleurs grandit,
A fécondé soudain ma mémoire fertile,
Comme je traversais le nouveau Carrousel.
Le vieux Paris n'est plus (la forme d'une ville
Change plus vite, hélas! que le cœur d'un mortel) ;
Je ne vois qu'en esprit tout ce camp de baraques,
Ces tas de chapiteaux ébauchés et de fûts,
Les herbes, les gros blocs verdis par l'eau des flaques,
Et, brillant aux carreaux, le bric-à-brac confus.
Là s'étalait jadis une ménagerie ;
Là je vis, un matin, à l'heure où sous les cieux
Froids et clairs le Travail s'éveille, où la voirie
Pousse un sombre ouragan dans l'air silencieux,
Un cygne qui s'était évadé de sa cage,
Et, de ses pieds palmés frottant le pavé sec,
Sur le sol raboteux traînait son blanc plumage.
Près d'un ruisseau sans eau la bête ouvrant le bec
Baignait nerveusement ses ailes dans la poudre,
Et disait, le cœur plein de son beau lac natal :
« Eau, quand donc pleuvras-tu? quand tonneras-tu, foudre ? »
Je vois ce malheureux, mythe étrange et fatal,
Vers le ciel quelquefois, comme l'homme d'Ovide,
Vers le ciel ironique et cruellement bleu,
Sur son cou convulsif tendant sa tête avide,
Comme s'il adressait des reproches à Dieu !
II
Paris change ! mais rien dans ma mélancolie
N'a bougé ! palais neufs, échafaudages, blocs,
Vieux faubourgs, tout pour moi devient allégorie,
Et mes chers souvenirs sont plus lourds que des rocs.
Aussi devant ce Louvre une image m'opprime :
Je pense à mon grand cygne, avec ses gestes fous,
Comme les exilés, ridicule et sublime,
Et rongé d'un désir sans trêve ! et puis à vous,
Andromaque, des bras d'un grand époux tombée,
Vil bétail, sous la main du superbe Pyrrhus,
Auprès d'un tombeau vide en extase courbée ;
Veuve d'Hector, hélas ! et femme d'Hélénus !
Je pense à la négresse, amaigrie et phtisique,
Piétinant dans la boue, et cherchant, l'œil hagard,
Les cocotiers absents de la superbe Afrique
Derrière la muraille immense du brouillard ;
À quiconque a perdu ce qui ne se retrouve
Jamais, jamais ! à ceux qui s'abreuvent de pleurs
Et tettent la Douleur comme une bonne louve !
Aux maigres orphelins séchant comme des fleurs !
Ainsi dans la forêt où mon esprit s'exile
Un vieux Souvenir sonne à plein souffle du cor !
Je pense aux matelots oubliés dans une île,
Aux captifs, aux vaincus !... à bien d'autres encor !
Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal, dans Œuvres complètes texte établi et annoté par Y.-G. Le Dantec, édition révisée, complétée et présentée par Claude Pichois, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1961, p. 81-83.
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17/01/2012
Eugenio Montale, Derniers poèmes
J'ai parsemé le balcon de miettes à becqueter
pour le concert, demain, à l'aube.
J'ai éteint la lumière, attendu le sommeil.
Et sur la passerelle déjà commence
le défilé des morts grands et petits
que j'ai connus vivants. Ardu le choix
de ceux que je voudrais ou non voir revenir
parmi nous. Là où ils sont
ils semblent inaltérables pat un surplus
de corruption sublimée. Nous avons
fait de notre mieux pour qu'empire le monde.
(11 avril 1975)
Ho sparso di becchime il davanzale
per il concerto di domani all'alba.
Ho spento il lume e ho atteso il sonno.
E sulla passerella già comincia
la sfilata dei morti grandi e piccoli
che ho conosciuto in vita. Arduo distinguere
tra chi vorrei o non vorrei che fosse
ritornato tra noi. Là dove stanno
sembrano inalterabili per un di più
di sublimata corruzione. Abbiamo
fatto del nostro meglio per peggiorare il mondo.
Eugenio Montale, Derniers poèmes, Poésie VI, édition bilingue, choix, traduction et notes de Patrice Dyerval Angelini, Gallimard, "Du monde entier", 1988, p. 65 et 64.
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16/01/2012
Jean-Luc Sarré, Comme si rien ne pressait, Carnets 1990-2005
Le luxe, c'est-à-dire les arbres et le silence mêlés.
J'ouvre la fenêtre pour aérer la chambre et c'est le bruit qui entre.
Il fait beau. (Complète qui voudra.)
(N') être chez soi nulle part.
Plaisir de se taire. Aujourd'hui, je n'ai pas dû prononcer plus de trente mots.
Pourquoi ces notes alors que le monde, la plupart du temps, me semble non pas tel que je le dis mais tel que je le tais.
Je suis amoureux du silence. S'il m'arrive de le rompre en parlant, c'est qu'il ne me donne pas toujours ce que j'attends.
Ils furent nombreux à vouloir m'apprendre à vivre mais j'étais un vrai cancre.
« Vivre c'est prier, aimer, vouloir » écrit Amiel dans son journal. Je savais bien que je ne vivais pas.
Vas-y, monde, parle, je t'écoute ! et le bruit d'un moteur me parvint.
Je n'ose jamais citer Joubert, trop aérien pour moi, trop pur. Je crains de l'abîmer en le saisissant ainsi, au vol, si tant est que je le puisse.
Pourquoi me suis-je un jour mêlé d'écrire alors que c'est aux paysages, à leurs couleurs, que je fais appel lorsque je perds pied ?
Jean-Luc Sarré, Comme si rien ne pressait, Carnets 1990-2005, Chêne-Bourg, La Dogana, 2010, p. 15, 20, 22, 25, 33, 35, 39, 46, 59, 61, 73, 79.
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15/01/2012
Jean-Philippe Salabreuil, La liberté des feuilles
26 décembre 1962
Désespoir en un mot qui ne tinte jamais
Par les prairies brumeuses du poème
On ne voyait dans l’ombre qu’ombres silencieuses
Qui marchent qui s’écartent et renouent quand il gèle
Averse blanche de la lune comme d’une âme
Un peu de neige ou le trop plein d’une fontaine
Et le désespéré chantait encore à la Noël
Pour ce qu’il y découvrait déjà d’aubes lointaines
Mais ce parfum d’avril au pied des pins la femme
Odorante aux résines de lumière et tel
Un soleil vivace l’enfant qui pardonne ses branches mortes
À l’aubépine ô veillées de la mort maintenant que m’importe ?
Je suis là
Vous me croyez vivant
Je laisse mes yeux ouverts
Je regarde la nuit
Et je sais pour vous plaire
Y poster deux hiboux
Je les poudre d’étoiles
Et les chemins sont fleuves
Entre berges de boue
Je suis là je murmure
Et ces mots vous comprennent
Comme comprend le vent
Ce mélèze où nous sommes
Inondés de fraîcheur
Mais moi je suis ailleurs
Je ne suis pas vivant
Je suis mort et transi
Je ne suis pas ici
Simplement je vous parle
Et vous écoutez sans savoir
Combien ces choses sont lointaines
Combien me font ces feuillages d’ennui
Qui nous dépassent dans la nuit
Et demain seront les traces
De mes pas dans l’autre nuit.
Jean-Philippe Salabreuil, La liberté des feuilles, Gallimard, « Le Chemin », 1964, p. 51 et 9.
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14/01/2012
Jean Follain, Usage du temps
Quincaillerie
Dans une quincaillerie de détail en province
des hommes vont choisir
des vis et des écrous
et leurs cheveux sont gris et leurs cheveux sont roux
ou roidis ou rebelles.
La large boutique s'emplit d'un air bleuté,
dans son odeur de fer
de jeunes femmes laissent fuir
leur parfum corporel.
Il suffit de toucher verrous et croix de grilles
qu'on vend là virginales
pour sentir le poids du monde inéluctable.
Ainsi la quincaillerie vogue vers l'éternel
et vend à satiété
les grands clous qui fulgurent.
Jean Follain, Usage du temps, Poésie / Gallimard,
1983 [1943], p. 160.
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Léon-Paul Fargue, Lanterne magique
Dialogue
— Et maintenant, quand tu rentres à Paris après une longue absence, quel est ton itinéraire ?
— Nous ne parlons pas, naturellement, du trajet de la gare à a maison. Mais ta question me ramène inévitablement à des souvenirs d'enfance. Et je me souviens de la rentrée, de l'angoisse légère et de l'étourdissement que me soufflaient la gare d'Austerlitz ou de celle du P.L.M.(1), et du retour à notre maison de Passy sur un chemin qui était à peu près le même, que nous revinssions du Berry ou de la Provence, soit par un boulevard spectral, où les réverbères dansaient à cloche-pied, soit le long du quai nocturne où roulait notre fiacre avec un bruit de moulin à café démantibulé sur le calvaire plat d'un cheval habitué à tout. Nous dépassions des camions ensommeillés, conduits en dormant, drapés dans leurs bâches. L'odeur de Paris nous reprenait peu à peu sous son aile sombre. Et nous voyions souvent s'avancer, pendant que nous comptions le prix du cocher sous un bec de gaz, un porteur de bagages qui avait couru derrière notre voiture depuis que nous l'avions prise à la gare...
— Et maintenant, dès le lendemain de mon retour d'une longue absence, mon premier soin est d'aller faire un tour dans le Xe arrondissement où nous avons habité, ma famille et moi, près de quarante ans. Si j'ai du temps, je m'y rends par le boulevard de Sébastopol et par le boulevard de Strasbourg, où je revois lentement les vieilles maisons de gros, de meubles, de mercerie et de parfumerie qui y existent encore. Je fais le tour de la gare de l'Est, je m'arrête un peu sur l'emplacement où se trouvaient nos ateliers de céramique et de verrerie, puis je monte à La Chapelle et j'entre parfois dans la dernière maison où j'ai habité avec les miens. J'y ai encore un casier chez la concierge et j'y reçois quelquefois des lettres. C'est là que j'ai commencé Déchiré, ce livre auquel je travail encore. Et c'est là que ma vie a été coupée...
— Mais, en dehors de ces raisons personnelles, ton vieux quartier a-t-il vraiment pour toi tant de charme ?
— En dehors de ces questions, je tiens ce que j'appelle encore mon quartier, c'est-à-dire le Xe arrondissement, pour le plus familier, le plus poétique et le plus mystérieux de Paris. Avec ses deux gares, vastes music-halls où l'on est à a fois acteur et spectateur, avec ses Buttes-Chaumont, ses ponts et ses fumées, avec son canal glacé comme une feuille de tremble et si tendre aux infiniment petits de l'âme, il a toujours nourri de force et de tristesse mon cœur et mes pas. Tu ne sais pas ce qu'un nuage orageux sur le marché de Chabrol peut me rappeler de choses...
— Je m'y sens plein de souvenirs, de paysages, d'incidents, d'odeurs que je puis à peine me représenter, dont je puis à peine me parler à moi-même, tant ils me sont assimilés...
— Mais à moi, provincial, comment définir le charme de Paris en général ? Y a-t-il une définition possible de Paris ?
— Tout ce qui s'est passé dans le "puzzle" de la Seine semble avoir été ordonné par la raison pure et la générosité. Le charme de Paris provient du contact de la cité et de al durée, des édifices et des mois...
Si Paris devait être bouleversé, si même il devait changer entièrement, ce qui paraît inconcevable, il resterait toujours assez d'échos du marivaudage de raisonnements que sont ses monuments, assez de traces d'or sur ses pierres, assez de morceaux de ses ponts, assez de groupes d'arbres retrouvés, assez d'éclairs d'angoisse et de souvenirs pour faire lever les chers fantômes.
Léon-Paul Fargue, Lanterne magique, Robert Laffont, 1944, p. 51-55.
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13/01/2012
Cesare Pavese, Dialogues avec Leuco
ACHILLE. As-tu déjà pensé qu'un petit enfant ne boit pas, parce que pour lui n'existe pas la mort ? Toi, Patrocle, as-tu bu dès ton enfance ?
PATROCLE. Je n'ai jamais rien fait qui ne fût avec toi et comme toi.
ACHILLE. Je veux dire, quand nous étions toujours ensemble et jouions et chassions et que la journée était brève, mais que les années ne passaient pas, savais-tu ce qu'était la mort, ta mort ? Parce que dès l'enfance on se tue, mais on ne sait pas ce que c'est que la mort. Puis vient le jour où tout d'un coup l'on comprend, on est dans la mort et, dès lors, on est des hommes faits. On se bat et on joue, on boit, on passe la nuit dans l'impatience. Mais as-tu jamais vu un jeune garçon ivre ?
PATROCLE. Je me demande quand ce fut pour la première fois. Je ne sais pas. Je ne me rappelle pas. Il me semble avoir toujours bu et ignoré la mort.
ACHILLE. Tu es comme un enfant, Patrocle.
PATROCLE. Demande-le à tes ennemis, Achille.
ACHILLE. Je le ferai. Mais la mort pour toi n'existe pas. Et il n'est pas de bon guerrier qui ne craigne la mort.
PATROCLE. Pourtant je bois avec toi cette nuit.
ACHILLE. Et tu n'as pas de souvenirs ? Tu ne dis jamais: « J'ai fait ceci, j'ai fait cela », en te demandant ce que tu as véritablement fait, ce que tu as laissé de toi sur la terre et dans la mer ? À quoi sert de passer des jours si l'on n'en a point souvenir ?
PATROCLE. Quand nous étions deux jeunes garçons, Achille, nous ne nous rappelions rien. Seul nous importait d'être toujours ensemble.
ACHILLE. Je me demande si quelqu'un encore en Thessalie se rappelle ce temps. Et quand de cette guerre reviendront les compagnons là-bas, qui donc passera sur ces routes, qui donc saura qu'un jour nous aussi nous y fûmes — et que nous étions deux enfants comme maintenant il y en a certainement d'autres ? Sauront-ils, les enfants qui grandissent à présent, ce qui les attend ?
PATROCLE. On ne pense pas à cela quand on est enfant.
ACHILLE. Il y aura des jours qui devront naître encore et que nous ne verrons pas.
PATROCLE. N'en avons-nous pas déjà vu beaucoup ?
ACHILLE. Non , Patrocle, pas beaucoup. Un jour viendra où nous serons des cadavres. Où nous aurons la bouche frappée comme par le poing de la terre. Et nous ne saurons même pas ce que nous avons vu.
Cesare Pavese, Dialogues avec Leuco [Dialoghi con Leuco], traduit de l'italien par André Cœuroy, Gallimard, "Du monde entier", 1964, p. 112-114.
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12/01/2012
Théophile de Viau, Après m'avoir fait tant mourir
Sonnet
Au moins ai-je songé que je vous ai baisée,
Et bien que tout l'amour ne s'en soit pas allé,
Ce feu qui dans mes sens a doucement coulé,
Rend en quelque façon ma flamme rapaisée.
Après ce doux effort mon âme reposée
Peut rire du plaisir qu'elle vous a volé,
Et de tant de refus à demi consolé,
Je trouve désormais ma guérison aisée.
Mes sens déjà remis commencent à dormir,
Le sommeil qui deux nuits m'avait laissé gémir
Enfin dedans mes yeux vous fait quitter la place.
Et quoiqu'il soit si froid au jugement de tous,
Il a rompu pour moi son naturel de glace,
Et s'est montré plus chaud et plus humain que vous.
Sonnet
Je songeais que Phyllis des enfers revenue,
Belle comme elle était à la clarté du jour,
voulait que son fantôme encore fît l'amour
Et que comme Ixion1 j'embrassasse une nue.
Son ombre dans mon lit glissa toute nue
Et me dit : cher Tircis, me voici de retour,
Je n'ai fait qu'embellir en ce triste séjour
Où depuis ton départ le sort m'a retenue.
Je viens pour rebaiser le plus beau des Amants,
Je viens pour remourir dans tes embrassements.
Alors quand cette idole eut abusé ma flamme,
Elle me dit : Adieu, je m'en vais chez les morts,
Comme tu t'es vanté d'avoir foutu mon corps,
Tu te pourras vanter d'avoir foutu mon âme.
Théophile de Viau, Après m'avoir fait tant mourir, Œuvres choisies, édition présentée et établie par Jean-Pierre Chauveau, Poésie /Gallimard, 2002, p. 118 et 95.
1 Ixion, qui avait osé aimer Junon, fut éprouvé par Jupiter avec une nuée qui avait l'apparence de la déesse ; convaincu, grâce à ce stratagème, de sa culpabilité, Jupiter le foudroyé. [note de Jean-Pierre Chauveau]
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11/01/2012
Eduard Möricke, Poèmes / Gedichte, traduction de Nicole Taubes : recension
D'Eduard Mörike (1804-1875), on peut lire en français Le peintre Nolten, roman de formation qui contient quelques poèmes (1), et Le voyage à Prague de Mozart, dont il existe plusieurs éditons en format de poche. Quant à son œuvre poétique, elle est fort peu connue, si ce n'est par les amateurs de lieder : Hugo Wolf a mis en musique 53 poèmes. Le recueil de poésies (Gedichte), publié en 1838 et constamment augmenté du vivant de l'auteur, comprend un peu plus de 200 pièces, proposées une première fois en français par Raymond Dhaleine en 1944. Il faut se féliciter que Nicole Taubes, par ailleurs traductrice de Thomas Mann et de Henrich Heine, se soit attelée à ce vaste ensemble : la virtuosité de Mörike, son usage de formes et de mètres multiples rendent difficile le passage dans notre langue.
Eduard Mörike est entré au séminaire d'Urach, dans le Jura souabe, puis dans celui de Tübingen comme avant lui Hölderlin et Schelling. La vie de pasteur ne lui convenait pas et il finit par l'abandonner pour enseigner dans un pensionnat de jeunes filles à Stuttgart, mais l'enseignement qu'il avait reçu lui donna le goût des littératures grecque et latine. À côté des traductions qu'il publia, il a emprunté des genres à l'Antiquité, imité ses poètes préférés — "Acmée et Septimius", d'après Catulle, plusieurs fois présent — et les a régulièrement cités : Tibulle, Anacréon, Erinna, élève de Sappho, ou leur a rendu hommage : « Ô laisse-moi te célébrer, Théocrite aux multiples grâces ! » ("Théocrite").
On pourrait lire Mörike comme un poète résolument tourné vers le passé, il n'accorde en effet quasiment aucune place aux événements qui transformèrent le XIXe siècle, contrairement à son contemporain Heine. Son entourage n'est pas absent, mais en dehors d'une "Cantate pour l'inauguration de la statue de Schiller" (1839), il est présent dans des pièces de circonstance, parfois de quelques vers, écrites à l'occasion d'un anniversaire, d'un mariage, d'un retour de cure, ou à propos de la mort d'un oiseau, du jouet d'un enfant, quand ce n'est pas pour déplorer la présence de moustiques qui gênent une promenade et empêchent la lecture au pied d'un arbre ("La plaie de la forêt"). On peut ajouter la satire de ceux qui s'imaginent importants et ont un air très ou, dernière pièce du volume, le congé donné au critique seulement soucieux de la taille du nez du narrateur : celui-ci lui « applique de tout cœur / Le bout de [son] soulier / Sur sa partie charnue, au bas du postérieur » ("Le congé").
On pourrait donc à juste titre se désintéresser d'une poésie trop tournée vers des modèles anciens et se vouant à rimer à propos de futilités. Ce serait aller bien vite en besogne. Ce n'est pas le "sujet" d'un poème qui importe, mais le travail dans la langue (voir Mallarmé), et si Mörike était nourri de l'Antiquité, il n'était guère différent en cela de beaucoup de poètes romantiques en Europe et il a souvent privilégié les mêmes motifs qu'eux. Il apprécie les petits faits de la vie quotidienne, les lieux sans apprêts, qu'il évoque en les transformant, par exemple pour exalter le sentiment de l'amitié (« De nouveau tu m'emplissais l'âme / Comme un frère ne le pourrait pas, comme jamais une femme ») ou, devant la nature, pour exprimer la faiblesse humaine ; ainsi dans la longue méditation après un voyage à Urach où il avait commencé ses études : « Au long des jours, des ans, tu [=la nature] restes immuable, / Et souffres sans douleur le passage du temps. »
La nature est aussi lieu du merveilleux, domaine des forces bienfaisantes ou pleines de malice. Ici, « l'étang s'agrandit, devient une mer », là on voit « un squelette / À cheval sur des ossements », ou "l'homme impavide" descendre au pays des morts, ou encore Greth la mauvaise commander aux éléments, tuer le fils du roi qui l'a négligée, puis « Elle, avec un lugubre chant, / Jette alors son corps à la mer ». On lira d'autres minuscules tragédies, mais aussi le conte des deux cigognes venues annoncer une double naissance ou celui des fantômes du tonnelier du château de Tübingen qui se manifestent de manière facétieuse.
Ce goût du conte, Mörike l'a revendiqué, notant qu'avec Grimm « Au merveilleux, j'ouvris mes sens : j'entrai dans le monde des fées, / Et la forêt devint plus claire, étrange le chant du coucou ! ». À la vie parallèle, celle où les lois naturelles ne sont plus observées, s'ajoute la rêverie qui modifie le réel selon le désir. "Rêver", "rêve", voilà des mots qui reviennent sans cesse dans les poésies, dès les premières écrites en 1820 : « Seul, en silence, sur mon siège / Je me berce de mille rêves ». On multiplierait les exemples, qui indiquent la difficulté à supporter le réel : « Si j'ouvre grand les yeux, je suis pris de vertige ; / Alors je les referme et je retiens le rêve. » C'est là encore un des motifs du romantisme européen, le gouffre entre les désirs et le vécu, et le refuge dans le rêve :
Le poète souvent s'exalte à des chimères,
Peines de cœur, belles amours imaginaires [...]
Je veux croire si fort sans bornes mon bonheur
Que souvent je me perds dans le rêve éveillé.
Ces amours imaginées sont souvent pleines de sensualité, le narrateur « dévoré de l'envie et du désir d'elle » demande à la femme de lui accorder une faveur : « Laisse-moi seulement plonger mon front, mes yeux, / Dans l'épaisse toison bouclée de tes cheveux », et il se souvient, lui dit-il, qu'« Au sang nos lèvres se mordirent / Ce matin, en nous embrassant » ; etc.
Amours imaginées, imaginaires : prétexte à multiples variations, motif d'écriture, comme le spleen dont on relèvera également l'expression : « Ce que je pleure, je ne sais, / C'est un mal qu'on ne connaît pas », ou : « Quelle mélancolie vient embuer mes yeux ? » Motif d'écriture, certes. Et Mörike insiste sur « le non-dit des mots et tout leur invisible », rappelle par une image que le poème ne naît pas aisément : « gratte encore un peu le sol : / La poésie , qu'est-elle d'autre ? », revient régulièrement sur ce qui compte avant tout, « retenir, grâce à la forme, / Tout cela [la beauté, la vie de la nature] pour l'éternité ! ». C'est là un programme qu'aurait approuvé en France un Baudelaire. Il faut lire Mörike !
Eduard Mörike, Poèmes / Gedichte, traduction, notice biographique et éditoriale de Nicole Taubes, introduction de Jean-Marie Valentin, Les Belles Lettres, 2010.
Cette note a d'abord été publiée dans la revue Europe, 2011.
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Luis Mizón, Passage des nuages, traduction Claude Couffon
1
Je me penche à la fenêtre
d'églises et de gares
lapidées
comme des couchers de soleil
afin d'y écouter la houle
de la forêt et de l'étoile.
2
Maison de l'homme déguisé
surpris dans le plaisir de sa mémoire
l'oisiveté intemporelle
de ses contes
3
Jardiner et musicien
dans les destins terrestres se regardent.
Éclats d'une même explosion.
Des voyageurs sans mémoire et sans corps
soudain traversent
la mémoire d'un autre corps.
4
Pétrole et mer
blé de la lune.
L'allégresse des grands moteurs
rafraîchit la nuit au ciel bas.
Et l'homme sur ses mots navigue.
5
Qu'il meure et masqué ressuscite
dans les pièces vides
au pied des escaliers
au fond des fleuves
sur le navire échoué.
6
Quel obscur papillon ?
Quel secret de la mer excite
l'oreille du musicien ?
Respiration de la pierre dure.
Soupir et voix enrouée.
1
Me asomo a la ventana
de iglesias y estaciones
apedreadas
como atardeceres
a escuchar la marejada
del bosque y de la estrella.
2
Casa del homre disfrazado
sorprendido en el placer de su memoria
en el ocio sin tiempo
de sus cuentos.
3
El jadinero y el músico
se miran en los dibujos de la tierra.
Fragmentos de una misma explosión.
Viajeros sin memorie y sin cuerpo
atraviesan de pronto
la memoria de otro cuerpo.
4
Petróleo y mar
trigo de la luna.
El júbilo de los grandes motores
refresca la noche baja.
Y el hombre navega en sus palabras.
5
Que muera y resucite disfrazado
en las piezas vacías
al pie de las escalas
al fondo de los ríos
en el barco encallado
6
¿ Qué oscura mariposa ?
¿ qué secreto de mar excita
la oreja del músico ?
Respiración de piedra dura.
Suspiro y voz enronquecida.
Luis Mizón, Passage des nuages, traduit de l'espagnol par Claude Couffon, éditions Unes, 1986, p. 45 et 47, 44 et 46.
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