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24/10/2021

André Frénaud, Hæres

 

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L’orateur

(d’après Picasso)

 

 

S’effilochaient tous les blasons

en bouts de ficelle — amulettes et allumettes.

 

Le rayon de miel affleure à la bouche,

la plus haute entaille sur le cep vieil.

Le peuple est là, qui parle de ses lèvres têtues,

berger des agneaux affamés

en marche vers les banlieues en détritus,

manteau de laine antique en carton ondulé,

il talonne fort la terre, il appelle à l’aide,

il crie le tocsin, épouvantail pour les maîtres prédateurs,

innocent innocent

                             Qui se croit l’avenir.

 

André Frénaud, Hæres, Gallimard, 1982, p. 261.

03/07/2018

Marlene Dumas, Afrique du Nord (Femmes d'Alger)

                         Marlene Dumas.jpg

Afrique du Nord (Femmes d’Alger)

 

Foyer du striptease,

Foyer de la danse des sept voiles,

Foyer des ancêtres d’Abraham,

patriarche des Juifs, des Musulmans et des chrétiens.

Foyer d’un Dieu qui ne veut pas être reproduit.

D’Alger, Nelson Mandela reçut un entraînement militaire,

apprit de leur guerre de libération des tactiques de guérilla.

Delacroix peignit "Femmes d’Akger" (1834),

femmes détendues dans un harem féminin pacifique.

En 1954, Picasso peignit (de nombreuses) toiles sensuelles

inspirées par cette source franco-africaine.

Il ignorait de ce que deviendrait cet orientalisme.

En 2000, je vis la photo d’une jeune fille nue,

tenue par — « exposée » entre — deux soldats français posant.

Elle fut prise en 1960 à Alger.

Je peignis ma "Femme d’Alger" en 2001.

 

Marlene Dumas, traduction Martin Richet, dans Koshkonongn° 14, p. 21.

11/08/2011

Gertrude Stein, Picasso

 

   imgres-1.jpegCézanne dans ses aquarelles avait une tendance à découper le ciel non en cubes, mais en divisions arbitraires ; il y avait aussi déjà le pointillisme de Seurat et de ses successeurs. Mais tout de même cela n’avait rien à voir avec le cubisme parce que tous ces autres peintres, pris par la réduction des choses vues, étaient préoccupés par leur technique qui devait exprimer de plus en plus ce qu’ils voyaient. Enfin de Courbet à Seurat, on peut même dire de Courbet à Van Gogh et à Matisse la plupart des artistes ont vu la nature comme elle est, c’est-à-dire, si vous le voulez, comme tout le monde la voit.

   Un jour on demandait à Matisse si, quand il mangeait une tomate, il la voyait comme il la peignait. « Non, dit Matisse, quand je la mange, je la vois comme tout le monde. » Et à vrai dire, de Courbet à Matisse, les peintres ont vu la nature comme tout le monde la voit et leur tourment c’était d’exprimer cela, de le faire avec plus ou moins de tendresse, de sentiment, de sérénité et de profondeur.

   Je suis toujours frappée par les paysages de Courbet parce qu’il n’a pas été forcé de changer la couleur pour arriver à donner la vision ordinaire de la nature. Mais Picasso était totalement différent. Quand il mangeait une tomate, la tomate n’était pas celle de tout le monde, pas du tout, et son effort n’était pas d’exprimer à sa manière des choses vues par tout le monde, mais comme lui seul les voyait.

 

Gertrude Stein, Picasso, Christian Bourgois, 1978 [1938], p. 36-37.

Gertrude Stein par Picasso, 1905-1906.

 

 

 

 

26/03/2011

Jean Arp, Jours effeuillés

 

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Réponse à des questions posées par K. L. Morris

 

Quel était votre premier contact avec l’art ? Aviez-vous toujours l’idée de devenir artiste ? Vous êtes-vous inspiré d’abord par l’art ancien ? Étiez-vous à une école académique ? 

Je me souviens que, enfant de huit ans, j’ai dessiné avec passion dans un grand livre qui ressemblait à un livre de comptabilité. Je me servais de crayons de couleur. Aucun autre métier, aucune autre profession ne m’intéressait, et ces jeux d’enfant — l’exploration des lieux de rêves inconnus — annonçaient déjà ma vocation de découvrir les terres inconnues de l’art. Probablement les figures de la cathédrale de Strasbourg, de ma ville natale, m’ont stimulé à faire de la sculpture. À l’âge de dix ans environ j’ai sculpté deux petite figures, Adam et Éve, que mon père ensuite a fait incruster dans un bahut. Quand j’avais seize ans mes parents consentirent à ce que je quitte le lycée de Strasbourg pour commencer le dessin et la peinture à l’École des Arts et Métiers. Je dois ma première initiation à l’art à mes professeurs strasbourgeois Georges Ritleng, Haas, Daubner et Schneider. En 1904 enfin, malgré mes supplications de me laisser partir pour Paris, mon père, me jugeant trop jeune et craignant pour moi les « sirènes » de la métropole, me fit entrer de force à l’Académie des Beaux-Arts à Weimar. C’est à Weimar que je pris pour la première fois contact avec la peinture française par les expositions organisées par le comte de Kessler et l’éminent architecte Van de Velde.

  Picasso (réponse à une enquête)

Picasso est aussi important qu’Adam et Éve, qu’une étoile, une source, un arbre, qu’un rocher, un conte de fées, et restera aussi jeune, aussi vieux qu’Adam et Éve, qu’une étoile, une source, un arbre, un rocher, un conte de fées.

 Jean Arp, Jours effeuillés, Poèmes, essais, souvenirs (1920-1965), préface de Marcel Jean, Gallimard, 1966, p. 443 et 567.