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04/07/2018

Jean-Pascal Dubost, & Leçons & Coutures

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Agnès Rouzier

 

Fait est que l’appel au mot pour durer — dire, dire, encore — fait souffler un vent de force Panique à l’élan insensé et infiniet de mystérieuse Nature d’écrire et par tel devis que les  trouvailles et les termes non soupçonnés levés comme des lièvres sans gîte contrecarrent l’exaltation angoissée qui soutient les forces contraires de la désécritude, et de cette grande Folie —

 

Jean-Pascal Dubost, & Leçons & Coutures II, isabelle sauvage, 2018, p. 16.

28/01/2013

Jean-Pascal Dubost, Nouveau fatrassier

 

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                                       Œuvre

 

Une fois posé le mot fatigue des journées pénibles passées dans un corps de métier pénible ouf peut-être clope ou chope (sûr) la table et l'œil au-dehors un autre se met dans le même en place à son travail il retrouve un état continu par là son nécessaire à vivre enchâsse et manouvre et sans relâche sertit mais surtout pas une œuvre, un mot à jeter aux morts —

 

                                         Plume

 

Non-da la main ne taille plume dans l'or du temps mais à la pâte elle se met à l'ouvrage à-mot-vat fait sans magie rude huevre et porte tout le poids du corps emplein d'alentour et avec inlassable minutie creuse —

 

                                       ***

 

Quand un groupe au pied d'un chêne vermille sous les feuilles ou fouge, cherche de quoi se nourrir, l'un d'eux lève le chef, et grogne s'il pressent quelque danger qui n'est autrement que l'homme, et si c'est une fausse alerte, fait comprendre que ce n'est rien, fausse alerte (FAUSSE ALERTE) —

 

Quand un groupe sur une plage de petite mer vermille ou fouge, cherche pitance, « la forêt reculant, assertent-ils, et nous avons quelques doutes sur le maïs, on ne peut plus glander à notre faim », l'un d'eux lèvera le chef et grognera si quelque danger qui n'est que l'homme, fera entendre son courroux, jouera du casse-noix, puis reprendra ses fouilles dans les rejets d'azote sous forme de nitrate et de phosphore innocents, croix de bois —

 

Jean-Pascal Dubost, Nouveau fatrassier, Tarabuste, 2013, p. 163 et 164, 72 et 73.

31/10/2012

Jean-Pascal Dubost, Vers à vif

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N'ayant aucun souvenir de comptine ou de lala bébé, aucun souvenir d'histoire du soir, aucun souvenir de cœur par poème ou d'anadiploses en chaîne, aucun souvenir de tonton conteur,, aucun souvenir d'historiette gentille, aucun souvenir de chanson douce de France, aucun souvenir de marmonnements liturgiques, aucun souvenir de charade en carambar, aucun souvenir de blague polissonne, de calembredaine grasse, de contrepet coquin, aucun souvenir d'hymne daté de messidor an III jusqu'au bout, aucun souvenir de slogan d'ado naissant sur le pavé, aucun souvenir de refrain rock trois accords, d'aucun standard auprès du feu hissé haut, aucun souvenir de romance en tube bon marché —

 

 

On tombe de haut une bonne fois pour toutes et de plus pomme, mais je ne creux creuserai pas plus bas, car en dessous de tout ça ne repousse pas et lorsqu'il faudra vous savez quoi, laissez-moi donc un peu de lumière —

 

Jean-Pascal Dubost, Vers à vif, Obsidiane, 2007, p. 25 et 85.

09/08/2012

Jean-Pascal Dubost, et leçons et coutures

Jean-Pascal Dubost, et leçons et coutures, Clément Marot

Clément Marot Faire des poèmes de tête de mule et de lard et de bique et de pioche et de bois donc mauvaise et à claquer et soupe au lait, puisant dans l'enfance son lot de paroles cassantes qui turlupinent la teste de belins devenue qui, de riens, fait tout un Graal de soi, et résiste à l'émasculation mentale maternelle et politique et puticitaire en digressanr carrément comme un cochon même les vendredis pour faire chier les curés de l'âme et se faire, en solitaire, plaisir, et à la moindre occasion, car à chaque fois sa marotte (la vie n'est tolérable qu'avec), et poète se faire, sans en faire tout un poème, mais en faire tout un plat [le Graal], pour accumuler joyeusement ses défauts, et voilà, j'ai fait partout—

 

Jean-Pascal Dubost, et leçons et coutures, éditions Isabelle Sauvage, 2012, p. 21.

30/05/2012

Jean-Pascal Dubost, et leçons et coutures (recension)

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Le titre est suivi, comme on le faisait par exemple au XVIe siècle, d'un long sous-titre qu'on peut lire comme un poème, avec un jeu facétieux de rimes et assonances (inachevable /improbable /gaillarde)  ; repris page 75, il convient tout à fait pour dire ce que sont les poèmes de Michel Leiris. Titre et sous-titre se prêtent à de multiples interprétations, ce qui correspond au contenu du livre ; leçons cumule ici nombre de significations, dont celle courante au Moyen Âge et toujours en usage de "lecture" : lecture des 99 auteurs convoqués ; quant à coutures, qui se rattache à "coudre", il avait en ancien français pour homonyme couture (que l'on retrouve aujourd'hui en toponymie), doublet de culture, lié à cultiver ; les deux mots du titres sont d'ailleurs réunis dans le mot valise "lec[ons/cou]tures". Les coutures, affirme d'emblée le sous-titre, sont faites de « bousigues assez visibles » ; cette indication présentée comme une explication déroute : ne peut être visible que l'observable, or "bousigues" est absent des dictionnaires que le lecteur consultera et le contexte n'est pas éclairant — son sens, "coutures grossières", n'est donné, en note, que plus tard, dans les "Notes préambulaires" (p. 7). D'autres surprises attendent le lecteur quand il entre dans la broussaille du sous-titre trompeur, qui semble ne rien dissimuler quand il définit le livre comme une "lectobiographie", mais il est précisé qu'elle est « complexe », « cryptée », « inachevable »... Les derniers mots, entre parenthèses, « (livre de dettes) », pourraient accompagner toute publication, si l'on accorde que rien ne s'écrit sans la mémoire, vive ou non, de ce qui a été lu.

   Comment Jean-Pascal Dubost règle-t-il ses dettes ? D'abord en donnant en exergue trois citations qui, de manière différentes, répètent que toute écriture se construit à partir de lectures : Montaigne (très présent ensuite), Valérie Rouzeau et Haroldo de Campos. Aucun hasard dans ce choix : un écrivain du XVIe siècle, qui reporte à un passé que Jean-Pascal Dubost affectionne, une écrivaine contemporaine dont on sait qu'elle intègre (comme Montaigne) dans sa poésie ce qu'elle lit et voit, un écrivain hors de nos frontières qui a su relire la tradition poétique. Une courte introduction précise en quoi le plagiat est « un des fondements de la littérature » (p. 7), donnée comme une « longue chaîne citationnelle et re-citationnelle ad infinitum, aux transformations personnalisées au gré des époques traversées » (p. 8).

   Ces transformations, Jean-Pascal Dubost les pratique « en une autre langue, assavoir dans la langue naturelle de l'auteur : hors du commun ; cryptée » (p. 9), « une langue tout à la fois populaire, vulgaire, verte, littéraire et documentée » (p. 12). Cette langue comporte de nombreux mots et tours du Moyen Âge et de la Renaissance, mais aussi des créations verbales — qui peuvent être dites telles : « le mot "babouineur" est une invention », p. 19 —, des énumérations (voir Rabelais), le goût de la fatrasie, l'emploi parodique d'allitérations : « Qui veut connaître [...] s'enfoncera dans une forêt fabuleuse fichu d'un foutu fonds de forces fidèles pour lutter [...] » (p. 93), etc. Ajoutons encore dans cette introduction le recours aux notes ; elles seront abondantes ensuite, pour préciser un point, définir un mot ou une expression, proposer au lecteur d'aller lire autre chose — ou l'égarer.

   Viennent ensuite les poèmes, puis une table des auteurs et le livre se ferme sur "Le complexe Dubost (phrases lares)", formé d'un ensemble de citations sur l'écriture et la lecture, sur la complexité, dont la dernière, isolée, avec le nom de son auteur (James Sacré) en tête, suggère que la composition du livre n'est pas aussi préparée qu'on la souhaitait : quel que soit le plan prévu, « le livre quand même / Se continue / Autrement qu'on l'avait prévu » (James Sacré, cité p. 131).

   Quels auteurs sont présents ? 99, nombre qui donne plus l'idée de l'inachevable, à mes yeux, que 100. Il s'agit pour un bon tiers d'écrivains français du XXe siècle, pas toujours "poètes" (Pierre Michon), pas toujours reconnus (Henri Simon Faure), parfois essayiste (Paul Zumthor) ; le Moyen Âge (8) et la Renaissance (10) ont une belle part ainsi que les écrivains de langue anglaise (19), plus que le XIXe siècle (9, dont un gastronome écrivain, Grimod de la Reynière) ou le XVIIe siècle (5) français. On ne peut dans un court article lire et chiffrer ce qui est écrit pour chaque écrivain retenu. Lisons la prose poème consacrée à James Sacré puisque lui sont prêtés les derniers mots du livre ; on peut y repérer quelques aspects du travail de Jean-Pascal Dubost.

  

   James Sacré Comme tout le monde se plaint

   de la cruelle envie que la nature porte aux longueurs

                   de nos jours et comme tut rien turne en declin,

   quoiqu'on vous jure sur la tête d'un God

   qu'on va moraliser les banques et les patrons

   voyous, il était acquis d'avance que ce poème

   sué, soufflé, rendu, raterait la couche du moche

   et serait raté ni d'aucune aide, et du coup, n'en

   est pas un —

 

   On sait que James Sacré progresse parfois dans un poème en s'interrogeant sur ce qu'il écrit et, ce faisant, doute de la nécessité du poème : c'est bien de cela qu'il s'agit ici. Par ailleurs, James Sacré a publié un choix de poèmes de Jean de Sponde, d'où la citation de deux vers tirés d'un sonnet. Le vers de Wace qui suit (tiré de la fin du prologue du Roman de Rou) renvoie, lui, aux textes qu'apprécie Jean-Pascal Dubost, et le contrepet ("la couche du moche") est une des manières qu'il a de bousculer les bonnes manières dans l'usage de la langue, tout comme l'inexistence d'un lien entre les deux propositions [quoiqu'on vous jure...] et [il était acquis...].

   Il est, évidemment, exclu de découvrir la source de toutes les citations, et je soupçonne quelques inventions dans ce domaine. Pour les textes, on se réjouit par exemple de lire un pastiche de Pascal Quignard (un autre amateur du passé) dans les premières lignes qui lui sont consacrées, et l'on ne peut qu'approuver un passage de la longue note accompagnant le poème "Jehan de Bretteville" — dont le nom est absent du catalogue de la Bibliothèque nationale...—, à propos de la « déambulation hasardeuse et meneuse de trouvailles inattendues », que l'on applique sans peine à ce livre qu'il faut lire et relire.

 

   On peut s'attarder aux proses-poèmes d'ouverture et de fermeture : la première, pour William Carlos Williams, affirme une absence, « Aucune idée pour ce poème — », et la dernière, en image inversée, l'infinité des lectures avec Pierre Michon, « J'écris sous la tutelle d'un vieux Pan de bibliothèque ». On peut lire aussi une manière d'art poétique dans le second poème consacré à un écrivain imaginé, Tortore1 ; est répété à deux endroits, huit fois de suite, « travailler la langue » et sont énumérés des substituts à "poésie" et "poème" (comme on pourrait les lire, par exemple, chez Ponge ou Stéfan) : pohésie, pouème, pohérésie, proème. S'ajoute l'emploi d'un mot dialectal et d'un mot de l'époque médiévale (avec note explicative pour chacun), une construction syntaxique pour le moins inhabituelle (« or qu'ici non donc, ») et un renvoi, avec « en façon bien estrange », à la naissance de Gargantua (chapitre 6). Un programme loin de tout lyrisme : on comprend qu'Alphonse de Lamartine soit rejeté :

   Voici par ailleurs une fondamentale détestation

   qui ne peut se taire ores car, j'ai tué le temps

   longtemps souvent, j'ai tué Dieu dans l'œuf et

   Pieu le der, j'ai tué les muses au berceau, j'ai

   tué le génie dla langue, j'ai tué mon père, ma mère,

   mes frères et mes sœurs, et c'était le bonheur,

   j'ai tué le bonheur, j'ai tué ma langue de bœuf rude,

   j'ai tué la beauté, trop assise, j'ai tué l'âme en faisant

   l'âne, du moins je crois, [...] j'ai tué Alphonse

   et Lamartine et tant bien d'autres encore jusques

   y compris des toujours vivants, mais récatonpilu2, ne

   me pardonnez pas, car je savais ce que je faisais,

   j'ai tant et tellement tué, que je suis bien vivant —

   (p. 107)

 

Jean-Pascal Dubost est bien vivant, en effet, et ses leçons et coutures (pas si visibles que ça) sont une lecture des plus revigorantes.

 

Jean-Pascal Dubost, et leçons et coutures, éditions Isabelle Sauvage, 2012, 136 p., 20 €.

 

1 "Tortore" est absent des catalogues de la Bibliothèque nationale et inconnu de la Toile — on pense à tortorer, "manger" et donc tortore, "nourriture".

2 On reconnaît ici Jean Tardieu ; aux noms d'écrivains en entrée, il serait bon d'ajouter les dizaines d'autres présents par le biais des citations.

 

 

25/08/2011

Jean-Pascal Dubost, Fatrassier

 

 

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Poisson, tulipe et diamants dans le dictionnaire aussi

ça signifie d’eux mais dans le réel choisi ce sont les bois, les fourrés, la boue, les amis nocturnes et les ennemis séculaires, les hommes, qu’ils n’approchent pas vraiment lorsque le soir la dernière lumière la lumière de dehors s’éteint (Homme solitaire, rude et brutal) —

 

 

Un matin j’ai tourné tout autour de la maison plusieurs fois je tournais en rond je tournais cheminant d’un pas lent dans la neige silencieuse où je voyais des traces, des oreilles de lapins d’abord, et qui se mêlaient à celles des oiseaux, puis, à force, aux miennes, et qui, sur le blanc finalement, me donnaient l’impression d’eux (Les étincelants) —

 

 

Il y a ces choses qui reviennent en tenue de prétexte un peu des obsessions sinon des vieux regrets qu’on maintient là en surface et qu’on trouve agréables même rêches et durs (Espèces de sangliers)

 

Jean-Pascal Dubost, Fatrassier, Tarabuste, 2007, p. 31, 47 et 49.