20/12/2023
Roger Giroux, L'arbre le temps
Si ce n’est vivre, hormis cette pensée
Que je dois taire, inapaisée,
Beau fruit d’un ange révolu,
Qu’elle ravisse, d’arbre en arbre,
Et de plus loin qu’il me souvienne
(et je consente à cette nuit
De quatre pieds d’ombelles sous le vent,
Une dernière fois,
L’espace d’un visage inhabité
Comme un chemin, la mer)
Cette étoile, ce cri, sur la mer :
Si ce n’est vivre, outre les sables
Et les silences de ce temps.
Roger Giroux, L’arbre le temps,
Mercure de France, 1979, p. 62.
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19/12/2023
Roger Giroux, L'arbre le temps
Legs
I
La source est le chemin.
Le désir est la source
Et le désir se tait
Au milieu du chemin.
II
Le silence est la source.
La parole est le chemin.
La parole est la source
Et le silence du chemin.
Roger Giroux, L’arbre le temps,
Mercure de France, 1979, p. 65.
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18/12/2023
Roger Giroux, L'arbre le temps
Au désir, elle prête silence,
Un feu d’écume pour le cœur, des îles nues
Au gré de la rumeur soyeuse de l’hiver.
Si loin venu, fidèle à sa parole
Désunie.
Roger Giroux, L’arbre le temps, Éric
Pesty éditeur, 2014, p. 76.
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17/12/2023
Roger Giroux, L'arbre le temps
Que bâtirais-je avec ma langue ?
Quel palais fou de désespoir
Hanté d’absences immobiles ?
Quelle ville, vouée, dès jadis
Aux purs silences de l’oubli ?
Arbre, amour, solitude, poussière…
Et c’est comme si je n’existais pas
Dans cette immensité qui me sépare de moi-même,
Dans l’intouchable de ce lieu
Frémissant, monstrueux…
Roger Giroux, L’arbre le temps, Éric Pesty éditeur,
2014, p. 41.
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16/12/2023
Roger Giroux, L'arbre le temps
Elle dit : cette ombre, ce parfum,
Cette mort grandissante…
Je parle pour exister.
Elle, dans son trop vaste sépulcre de craie,
Moi, tous ceux que j’ai conviés là
Dans l’espoir que peut-être…
Elle. La pente très douce de son visage.
Moi, friable empreinte d’une bouche, aux confins.
Roger Giroux, L’arbre le remps, Éric Pesty
éditeur, 2014, p. 58.
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15/12/2023
Roger Giroux, L'arbre le temps
(Quel visage appeler ? Quel amour concevoir ?
Ce que dit le poème n’a pas de pouvoir ?
Il consume les mots qui donneraient la vie,
Et perpétue la mort d’une aube inassouvie ?)
Roger Girous, L’arbre le temps, Éric Pesty éditeur,
2014, p. 44.
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24/08/2019
Roger Giroux, Si la mémoire...
À quoi reconnaît-on un « bon », un « grand » poème ? Comment le distinguer du médiocre ? À l’exigence la plus haute, à la plus dense tension, au point de rupture approché, au-delà duquel tout se désorganise et s’effondre dans le néant antérieur. Aller jusque-là et s’arrêter au seuil de ce qui ne peut plus être dit que par le silence. La parole du Poème est la montée — le calvaire — au silence. Jusqu’à la mort-vive. Jusqu’à la déchirure.
Comment combler cette distance entre ce que je dis du Poème et le Poème lui-même ? Quelle est cette distance ? Est-elle située, situable ailleurs qu’en écriture ? Elle est précisément ailleurs— car le P[oème] se situe hors de moi. Il me tourne le dos, il regarde plus loin que je ne saurais le faire avec mes mots avec toutes mes facultés. Né de moi (et d’une culture en expansion) il est le seuil de l’au-delà de moi et de cette culture. Le P[oème] est la porte nécessaire. Ce qu’il y a derrière, nul Poème ne le dira jamais, comme s’il y avait un interdit, un secret à garder*. Poème, gardien du secret ?
(* Mais plus loin, vers un nouveau « possible » de la culture dont je suis une des voix, un des faciès — mais Je… ?)
Roger Giroux, Si la mémoire…, dans KOSHKONONG, n° 16, Printemps 2019, p. 13-14.
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04/11/2017
Roger Giroux, L'arbre le temps
Nue,
Frileusement venue,
Devenue elle sans raison, ne sachant
Quel simulacre de l’amour appeler en image
(belle d’un doute inachevé
vague après vague,
et comme inadvenue aux lèvres), ici
d’une autre qui n’est plus
que sa feinte substance nommée
Miroir, abusive nacelle,
eau de pur silex.
Roger Giroux, L’arbre le temps,
Éric Pesty éditeur, 2016, p. 61.
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20/08/2016
Roger Giroux, Lieu-Je
Il serait tellement plus facile de parler, de ne pas dire que je parle, de taire à la parole ses origines, son absence d’ici, de la laisser dans l’ignorance de ce lieu dont je parle, sachant qu’il n’y a rien à en savoir. Sachant que l’ignorance a quelque chose à voir avec lui (voir ?) mais je ne sais pas ce que c’est. Sachant que je ne sais pas de quoi je parle. Ne sachant pas cela. Mais il n’est plus possible de parler sachant cela. Et, ne le sachant pas je parle.
Roger Giroux, Lieu-Je, Éric Pesty éditeur, 2016, p. 15.
Lieu-Je, avait été publié avec Lettre (réédité également par Éric Pesty) en 1979, au Mercure de France, les deux textes réunis sous le titre L’arbre le temps.
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26/04/2016
Roger Giroux, L'arbre le temps, suivi de Lieu-je et de Lettre
J’étais l’objet d’une question qui ne m’appartenait pas. Elle était là, ne se posait, m’appelait par mon nom, doucement, pour ne pas m’apeurer. Mais le bruit de sa voix, je n’avais rien pour en garder la trace. Aussi je la nommais absence, et j’imaginais que ma bouche (ou mes mains) allaient saigner. Mes mains demeuraient nettes. Ma bouche était un caillou rond sur une dune de sable fin : pas un vent, mais l’odeur de la mer qui se mêlait aux pins.
Roger Giroux, L’arbre le temps, suivi de Lieu-je et de Lettre, Mercure de France, 1979, p. 9.
Lieu-je et Lettre ont été réédités par Éric Pesty éditeur, avril 2016.
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05/12/2011
Roger Giroux, L'arbre le temps
Que bâtirais-je avec ma langue ?
Quel palais fou de désespoir ?
Hanté d'absence immobiles ?
Quelle ville, vouée, dès jadis
Aux purs silences de l'oubli ?
Arbre, amour, solitude, poussière...
Et c'est comme si je n'existais pas
Dans cette immensité qui me sépare de moi-même
Dans l'intouchable de ce lieu
Frémissant, monstrueux...
NEUTRE : être nu.
Parole neutre, parole nue, parole non à dire, parole non dite. Et disant cette parole non dite, l'œil s'ouvre dans la vision non plus œil dit, vision dite, mais œil et vision confondus dans le non dit. (Et la parole non-dite doit être, et DONC est dite, sinon elle ne serait pas « non-dite »). Parole incorrigible, et qui ne revient pas deux fois sur ses traces, parole écrite sur une surface toujours blanche, combustible. (Parole qui brûle tout sur son passage, et soi-même ; qui se détruit en se proférant ; qui n'existe que pour n'être pas. Cette parole : un feu qui se dévore, et ne laisse dans la bouche qu'un goût de cendre ; qui ne laisse de la bouche que cendre).
Roger Giroux, L'arbre le temps, suivi de Lieu-je et de Lettre,
Mercure de France, 1979, p. 41 et 105.
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