20/09/2020
Jacques Réda, L'adoption du sytème métrique
L’insaisissable
Le matin et le soir, quand la foule s’active
Entre les carrefours, déserts après midi
Comme au fond d’un miroir où l’heure s’engourdit,
J’ai vu dans les faubourgs la beauté fugitive.
Je reconnais de loin la teinte un peu trop vive
De sa robe trop courte et le geste arrondi
Qu’elle a vers ses cheveux dont la flamme assourdit
L’éclat des bijoux faux des vitrines.
J’arrive
Parfois à m’approcher d’elle, mais c’est toujours
Quand de nouveau midi submerge ces faubourgs
Dont le silence augmente avec leur étendue.
Elle m’appelle alors, et – joueuse –
M’échappe quand j’allais l’atteindre : dans l’instant,
Plus personne – un couloir sordide l’a happée,
Puis ce miroir au fond duquel, en écoutant
Mon pas elle se tient droite comme une épée.
Jacques Réda, L’adoption du système métrique,
Gallimard, 2011, p. 26.
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04/06/2020
Jacques Réda, L'adoption du système métrique
L’homme et le caillou
J’aime le bas d’ici : je ramasse un caillou
Quelconque. Il a déjà cinq cent millions d’années
Et survivra longtemps aux races condamnées —
À la nôtre. Partir ? Vous voulez qu’on aille où ?
Je tiens ce bout de rien dans ma main peu-de-chose.
Je le palpe, le flaire, en très lointain neveu
Des durs qui l’ont cogné pour en tirer du feu.
Mais il reste confit dans sa lourde ankylose.
Je le médite. Il se réchauffe. Je dirai,
Quand j’entendrai tonner : « Qu’as-tu fait pour ton proche ? »
— Seigneur, j’ai réchauffé cet orphelin de roche,
Quelque part dans un terrain vague. Mais juré :
C’est lui qui m’a jeté quand il a vu ma poche.
Jacques Réda, L’adoption du système métrique,
Gallimard, 2004, p. 97.
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