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14/01/2023

Carol Ann Duffy, Eurydice

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                 Eurydice

 

Oh les filles, j’étais morte et au fond

de l’Enfer, un fantôme,

l’ombre de moi-même, un néant.

Cet endroit était le terminus du langage,

un sombre point final, un trou noir

où les mots devaient prendre fin.

Et c’est bien là qu’ils finissaient,

les derniers mots,

célèbres ou pas.

Ça m’allait à merveille.

Alors imaginez moi là,

indisponible,

hors du monde,

puis figurez-vous mon visage dans ce lieu

de Repos Éternel,

le seul où une fille se croit délivrée

du type d’homme

qui la suit à la trace

en  écrivant des poèmes,

qui rôde partout quand elle les lit,

l’appelle Sa Muse

et qui a une fois boudé tout un jour et une nuit parce qu’elle avait critiqué son penchant pour les noms abstraits.

Imaginez ma figure

quand j’ai entendu —

Ô Dieux —

un toc-toc-toc familier à la porte de la Mort.

Lui en personne.

(...) 

Carol Ann Duffy, Eurydice, dans L’Île rebelle, Anthologie de poésie britannique au tournant du XXIe siècle, édition bilingue, Choix de Martine De Clerq, préface de Jacques Darras, tous deux traducteurs, Poésie/Gallimard, 2022, p. 333 et 335.

04/10/2016

Carol Ann Duffy, Valentine

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Valentine

 

Non une rose rouge ou un cœur de satin

 

Je te donne un oignon.

Une lune enveloppée dans du papier Kraft.

Il promet la lumière

comme l’amour délicatement déshabillé.

 

Tiens.

Comme un-e amant-e tu seras

Aveuglé-e par les larmes

Il fera de ton reflet

Une photo floutée de chagrin.

 

J’essaie d’être juste.

 

Ni jolie carte ni baisers postés.

 

Je te donne un oignon.

Son baiser sauvage tiendra à tes lèvres

fidèle et possessif

comme nous le sommes,

pour autant que nous sommes.

 

Prends-le.

Ses rondelles platine te feront une alliance miniature,

si tu veux.

Fatal

son parfum s’accrochera à tes doigts,

à ton couteau.

 

Carol Ann Duffy, traduit par Nathalie Koble, dans

  1. K., Drôles de Valentines, Héros-Limite, 2016, p. 150.