12/11/2019
Pascale Alejandra, L'œil et l'instant
La nécessité sauvage
Comment confier la tristesse ?
Il reste les recoins
Les replis
L’effacement
L’évasion
Les châteaux de l’enfance
S’arracher les yeux
Se modeler monstre
L’Apparition
Ne regarde plus
Le tournoiement
Il n’annonce pas la fin
Ne sois pas triste
Nous ne pourrons jamais nous rencontrer
Pascale Alejandra, L’œil et l’instant, le phare
du cousseix, 2019, p. 5 et 8.
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09/05/2016
Georges Perros, Papiers collés
Vivre sans arrêt avec une personne, du matin au soir, au bout de huit jours on la déteste. Mais vivre avec soi-même ! Alors on part en voyage, on dédaigne de prendre une valise qui nous rappellerait… Et on arrive dans une chambre d’hôtel où la première chose entrevue est un miroir. (Inutile de le casser.)
J’aime quand j’ai bu un peu. J’épouse la terre plus aisément. Je tourne un peu. Je suis à jeun quant à elle. Cet état de demi-ébriété me ravit. Comme un coma de juste mesure. Celui-là même que j’ai vainement cherché avec les êtres, que je n’espère plus trouver qu’avec moi-même, un jour de musique privilégiée, musique d’accompagnement qui m’adoptera pour thème.
Georges Perros, Papier collés, Gallimard, 1960, p. 37, 57.
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08/04/2016
Henry James, Carnets, dans Un portrait de femme et autres romans
( ...) je ne parlerai pas d’Ivan Tourguéniev, le plus délicieux et le plus aimable des hommes, ni de Gustave Flaubert, que je serai toujours si heureux d’avoir connu ; nature puissante, grave, mélancolique, virile, profondément corrompue mais non corruptrice. Quelque chose en lui me plut beaucoup et il se montra fort bienveillant envers moi. Il dominait de la tête et des épaules tous les autres, ceux que je rencontrais chez lui le dimanche après-midi — Zola, Goncourt, Daudet, etc. (Je veux dire en tant qu’homme — non comme causeur, etc.). Je me rappelle en particulier certain après-midi — en semaine — où j’allai le voir et le trouvai seul. Je suis resté longtemps assis en sa compagnie. Une impulsion soudaine le poussa à me réciter un petit poème de Théophile Gautier, « Les Vieux Portraits » (ce qui déclencha l’impulsion, c’est que nous venions de parler des poètes français, et il avait exprimé sa prédilection pour Théophile Gautier plutôt qu’Alfred de Musset ; il était plus français, etc.
Henry James, I. Carnets, traduction Louise Servicen, revue par Évelyne Labbé, dans Un portrait de femme, et autres romans, Gallimard / Pléiade, 2016, p. 1339.
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06/12/2015
Rainer Maria Rilke, Pour te fêter (Pour Lou Andreas Salomé)
Rilke avec Lou Andreas Salomé en Russie, 1897
Pour Lou Andreas Salomé
Lorsque parfois dans mon souvenir
je compare une rencontre à l’autre :
tu es toujours la femme riche qui donne
tandis que je suis le mendiant indigent.
Lorsque tu viens à ma rencontre doucement,
et, à peine souriante, lèves soudain,
de tes vêtements, ta main,
belle, brillante, fine... ;
dans la sébile tendue de mes mains,
tu la déposes gracieusement
comme un présent.
*
Je continue de marcher, solitaire. Au-dessus de moi,
je sens le printemps frémir dans les branches.
Un jour, je viendrai, avec des sandales sans poussière,
attendre aux grilles du jardin.
Et tu viendras quand j’aurai besoin de toi,
et tu prendras mon hésitation pour un signe,
et silencieusement tu me tendras les roses épanouies de l’été
des tout derniers buissons.
Rainer Maria Rilke, Pour te fêter, traduction Marc de Launay, dans Œuvres poétiques et théâtrales, sous la direction de Gérald Stieg, Pléiade / Gallimard, 1997, p. 647-648, 650.
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01/06/2014
Takuboku (1885-1912), Ceux que l'on oublie difficilement
J'ai compté les années d'espérance
et je fixe mes doigts
je suis fatigué du voyage
Il m'a donné la nourriture
et je me suis retourné contre lui
que ma vie est lamentable
Le soir au moment de se séparer
à la fenêtre du wagon j'ai bâillé
de tout cela je n'ai plus que regrets
Calmement sur une large avenue
une nuit en automne
respirer l'odeur du maïs que l'on grille
Tellement amaigri
ton corps ne semble plus
qu'un bloc de révolte
Combien triste l'instant
où l'on se dit lassé de ce monde paisible
où rien n'arrive
Elle attendait de me voir ivre
pour alors chuchoter
diverses choses tristes
Dans un vieux carnet rouge
restent écrits
le lieu et l'heure de notre rencontre
Takuboku, Ceux que l'on oublie difficilement,
traduit du japonais par Alain Gouvret,
Yasuko Kodaka et Gérard Pfister, Arfuyen,
1989, p. 8, 12, 17, 19, 22, 26, 39, 44.
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20/05/2014
Margherita Guidacci (1921-1992), En relisant Ovide
Hôte de ta maison
Hôte de ta maison dans la chambre
la plus haute, je sens tes rêves monter
du sol et s'entremêler aux miens
pour s'évanouir ensemble
en suivant la même verticale et se jeter
au milieu des étoiles. Quelle joie
de chercher alors par les deux fenêtres
(jumelles et opposées) les amitiés
célestes auxquelles tu m'initias :
contempler au nord Altaïr
et au sud Bételgeuse !
Météores d'hiver
Étoiles fugaces, dauphins du ciel,
avec vous voyage mon âme,
un bond lumineux dans les vagues
bleues de la nuit,
vers mes lointains amis désirés
qui peut-être aperçoivent le signe, et qui, pensant
avec une nostalgie pareille à la mienne
aux douces heures passées ensemble,
prient pour que nous soit donnée une nouvelle rencontre,
et déjà la prière est exaucée :
l'affection simultanée, dans le sillage de l'étoile,
nous étreint dans un embrassement immatériel.
Margherita Guidacci, En relisant Ovide, traduit de l'italien
par Iris Chionne et Pierre Présumey, dans Conférence, n° 36, printemps 2013, p. 399-400.
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25/03/2014
E. E. Cummings, Paris, traduction Jacques Demarcq
le long des traîtres rues fragiles et éclatantes
du souvenir avance mon cœur chantonnant comme
un idot murmurant comme un ivrogne
qui (à un certain angle, soudain) aperçoit
le haut gendarme de mon esprit
être éveillé
n'étant dormir, ailleurs ont débuté nos rêves
à présent repliés : mais cette année achève
son existence tel un prisonnier oublié
- « Ici ? » - « Ah non, mon chéri ; il fait trop froid » -
Ils sont partis dans ces jardins passe un vent porteur
de pluie et de feuilles, emplissant l'ai de peur
et de douceur.... s'arrête ... (Mi-murmurant...mi-chantant
agite les toujours souriants chevaux de bois)
when you were in Paris on se retrouvait là
*
along the brittle treacherous bright sreets
of memory comes my heart,singing like
an idiot,whispering like a drunken man
who(at a certain corner, suddenly) meets
the tall policeman of my mind
awake
being not asleep,elsewhere our dreams began
which now are folded :but the year completes
his life as a forgotten prisoner
-"Ici ?" - "Ah non, mon chéri ; il fait trop froid"-
they are gone along these gardens moves a wind bringing
rain and leaves, filling the air with fear
and sweetness... pauses...(Halfwhispering...halfsinging
stirs the always smiling chevaux de bois)
when you were in Paris we meet here
E. E. Cummings, Paris, traduit de l'anglais et présenté par Jacques Demarcq, édition bilingue, Seghers, 2014, p. 95 et 94.
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