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14/05/2022

Cesare Pavese, Travailler fatigue

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Terres brûlées

 

Le petit jeune qui a été à Turin est en train de parler

La vaste mer s’étend, cachée par des rochers,

et reflète un bleu terne sur le ciel. Ceux qui écoutent

ont les yeux tout luisants.

 

                                       À Turin on arrive le soir

et l’on voit aussitôt dans le rue les femmes malicieuses,

vêtues pour le coup d’œil, qui marchent toutes seules.

Chacune travaille là-bas pour la robe qu’elle met

mais elle sait l’adapter à tous les éclairages.

Il y a des couleurs matinales, des couleurs pour faire les boulevards

et pour plaire la nuit. Ces femmes, qui attendent

et qui se sentent seules, savent tout de la vie.

Elles sont libres. On ne leur refuse rien.

 

J’entends la mer qui sans cesse déferle harassée par la grève.

Je vois briller d’éclairs les yeux sombres

de ces jeunes. Près d’ici la rangée de figuiers

s’ennuie désespérée sur la roche rougeâtre.

 

Il y en a qui sont libres et qui fument toutes seules.

Le soir on se rencontre, le matin on se quitte

au café, bons amis. Elles sont toujours jeunes.

Elles aiment les hommes vifs et au regard direct,

blagueurs et pas grossiers. Il suffit d’aller sur la colline :

elles se glissent pareilles à des enfants,

mais savent jouir de l’amour. Plus habiles qu’un homme.

Vives et élancées, même nues, elles bavardent

avec leur brio de toujours.

 

                                           Je l’écoute.

Fixement, j’ai regardé les yeux du petit jeune

attentifs et tendus. Ils ont vu eux aussi une fois tout ce vert.

Quand la nuit sera noire, je fumerai ignorant même la mer.

 

Cesare Pavese, Travailler fatigue, traduction Gilles de Van, Gallimard, 1961, p. 97 et 99.

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