04/05/2022
Fernando Pessoa, Le Gardeur de troupeaux
XXXVII
Comme un énorme barbouillis de flamme
le soleil couchant s’attarde dans les rues figées.
Il vient de loin un vague sifflement dans le soir très calme.
Ce doit être celui d’un train au loin.
En ce moment il me vient une vague mélancolie
et un vague désir paisible
qui paraît et disparaît.
Parfois aussi, au fil des ruisseaux,
il se forme sur l’eau des bulles
qui naissent et se défont —
et elles n’ont d’autre sens
que d’être des bulles d’eau
qui naissent et se défont.
Fernando Pessoa, Le Gardeur de troupeaux,
traduction Armand Guibert, Gallimard,
1950, p. 103-104.
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22/04/2018
Fernando Pessoa, Le gardeur de troupeaux
Plutôt le vol de l’oiseau qui passe…
Plutôt le vol de l’oiseau qui passe et ne laisse pas de trace,
Que le passage d’une bête qui laisse sn empreinte sur le sol.
L’oiseau passe et oublie, et c’est très bien comme ça.
L’animal, là où il n’est déjà plus ne sert donc plus à rien.
Il montre qu’il était déjà là, ce qui ne sert à rien non plus.
La mémoire est une trahison de la Nature,
Parce que la Nature d’hier n’est pas la Nature.
Ce qui a été n’est rien et se souvenir c’est ne pas voir.
Passe, oiseau, passe, et apprends-moi à penser !
Fernando Pessoa, Le gardeur de troupeaux, traduction du portugais
Jean-Louis Giovannoni, Rémy Hourcade et Fabienne Vallin,
Editions Unes, 2018, np.
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15/02/2017
Fernando Pessoa, Le gardeur de troupeaux
Je trouve si naturel que l’on ne pense pas
que parfois je me mets à rire tout seul,
je ne sais trop de quoi, mais c’est de quelque chose
ayant quelque rapport avec le fait qu’il y a des gens qui pensent…
Et mon mur, que peut)il bien penser de mon ombre ?
Je me le demande parfois, jusqu’à ce que je m’avise
que je me pose des questions…
Alors je me déplais et j’éprouve de la gêne
comme si je m’avisais de on existence avec un pied gourd…
Qu’est-ce que ceci peut bien penser de cela ?
Rien ne pense rien.
La terre aurai-elle conscience des pierres et des plantes qu’elle porte ?
S’il en est ainsi, et bien, soit !
Que m’importe, à moi ?
Si je pensais à ces choses, je cesserai de voir les arbres et les plates et je cesserai de voir la Terre, pour ne voir que mes propres pensées…
Je m’attristerais et je resterais dans el noir.
Mais ainsi, sans penser, je possède et la Terre et le Ciel.
Fernando Pessoa, Le gardeur de troupeaux, traduction Armand Guibert, Gallimard, 1960, p. 98-99.
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22/04/2016
Fernando Pessoa, Le gardeur de troupeaux
Il ne suffit pas d’ouvrir la fenêtre
pour voir les champs et la rivière.
Il ne suffit pas de n’être pas aveugle
pour voir les arbres et les fleurs.
Il faut également n’avoir aucune philosophie.
Avec la philosophie il n’y a pas d’arbres : il n’y
a que des idées.
Il n’y a que chacun d’entre nous, tel une cave.
Il n’y a qu’une fenêtre fermée et tout l’univers
à l’extérieur ;
et le rêve de ce qu’on pourrait voir si la fenêtre
s’ouvrait,
et qui n’est jamais ce qu’on voit quand la fenêtre s’ouvre.
Fernando Pessoa, Le gardeur de troupeaux, traduction
Armand Guibert, Gallimard, 1960, p. 143.
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22/09/2011
Fernando Pessoa, Le Gardeur de troupeaux
Je suis un gardeur de troupeaux.
Le troupeau ce sont mes pensées
Et mes pensées sont toutes des sensations.
Je pense avec les yeux et les oreilles
Et avec les mains et avec les pieds
Et avec le nez et avec la bouche.
Penser une fleur c’est la voir et la respirer
Et manger un fruit c’est en savoir le sens.
C’est pourquoi lorsque par un jour de chaleur
Je me sens triste d’en jouir à ce point,
Et couche de tout mon long dans l’herbe,
Et ferme mes yeux brûlants,
Je sens tout mon corps couché dans la réalité,
Je sais la vérité et je suis heureux.
Fernando Pessoa, Le Gardeur de troupeaux et les autres poèmes d’Alberto Caeiro, traduit du portugais par Armand Guibert, Gallimard, 1960, p. 55-56.
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