Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

14/11/2022

Les Ruines de Paris

                            6a015433b54391970c016767a94ae1970b-600wi.jpg

Des fleurs des acacias qui moussent pendent au-dessus du trottoir. Je m’aperçois que trois demoiselles pour vouloir en cueillir des grappes : elles n’y arriveront pas. J’estimerais assez naturel de leur venir en aide, mais qu’en penseraient-elles, et puis moi, dans le vacillement de la courte échelle ? J’attends donc qu’elles aient disparu avant de plonger les bras dans le lait frais bouillonnant de ces géants de la ligne de Ceinture. Les fleurs sentent le grenier à foin un été sous l’averse (je me souviens de l’été de 43), la cigarette Senior Service, le cou de jeune fille, la camomille — bref elles sentent surtout l‘acacia. Si candides, si fragiles, j’en remplis ma sacoche dont le ressort va sauter rue d’Alésia, s’embrouillant dans la chaîne, compliquant prosaïquement le reste de la journée, alors que j’avais prémédité de bouleverser ma vie en offrant ces fleurs — mais je divague, et surtout j’anticipe ; je n’ai même pas encore atteint le coin de la rue de Patay, près du restaurant La Pente Douce ; je ne fais qu’amorcer la descente vers les derniers potagers suspendus de  la rue Regnault, et là, dans les lointains brumeux d’une Afrique de rêve, d’horizons en photogravure d’atlas géographique, aberrant mais fatal, sans nom, sans raison, sans emploi, éclôt en fragment absolu le piton du zoo de Vincennes.

Jacques Réda, Les Ruines de Paris, Gallimard, 1972, p. 86-87.

13/11/2022

Jacques Réda, Retour au calme

Unknown.jpeg

                       La mercière

 

Ayant mis des chandails en solde sur le trottoir,

Elle contemple l’infini du fond de sa boutique.

Au passage on entend grésiller des musiques

Comme de l’huile chaude, au fond d’un petit transistor.

On croise en même temp des gens qui déménagent

Des poêles, des ballons débordant de lainages,

Ils ont l’air misérable et louche, un peu traqué.

Un couloir de travers les avale, et le pavé

Luit de nouveau comme un couteau dans un libre-service.

Froid et gras, son reflet met dans la profondeur

Des vitrines une autre rue où le ciel des tropiques

Décoloré voisine avec les fioles du coiffeur,

Des lavabos et des gâteaux aux couleurs utopiques,

Pendu bien au-delà sans remuer d’un cil,

L'œil résigné de la mercière les traverse.

Elle n’attend plus rien. L’hiver est nuisible au commerce,

Elle ne vendra pas aujourd’hui la moindre bobine de fil.

 

Jacques Réda, Rettour au calme, Gallimard, 1989, p. 67.

12/11/2022

Jacques Réda, Retour au calme

photo-reda-1-1.png

                  La pie

 

Au nouvel habitant de la cour (la pie) ;

Derrière mon rideau, ma vieille, je t’épie,

Car depuis ce matin — et ce n’est pas fini —

Tu n’as pas arrêté d’aller, venir ; ton nid

Doit prendre forme en haut de l’immense platane,

Avec des ramillons, des bouts de tarlatane,

De paille, de ficelle ; et, régulièrement,

On entend éclater ton sec ricanement

Qui suspend à tout coup la cadence baroque

Du merle et des moineaux, l’effervescent colloque.

Le concert matinal deviendra bien succinct

Quand, ta famille ayant passé de deux à cinq,

La cour, déjà soumise aux rauques tourterelles,

Retentira du bruit sans fin de ses querelles,

Il est vrai que dans le blason des animaux,

Rien ne vaut la sobriété des deux émaux

Qui, composant le rien d’argent pur et de sable,

Te rendent entre mille oiseaux reconnaissable,

Comme ce vol au mécanique et lourd ballant

Qui paraît imiter celui d’un cerf-volant.

(...)

 Jacques Réda, Retour au calme, Gallimard, 1989, p. 131.

11/11/2022

Jacques Réda, la Tourne

photo-reda-1-1.png

Encore un coup mais seul dans la foule : valise jaune,

Le pas absent d’un autre — il n’est jamais rien ni personne

A quitter, ne reviendra plus, le voilà disparu

Dans le corps de l’indifférence enfin remise en marche :

Elle franchit le pont, ses doigts dans l’eau froide, grandit,

S’en va dormant contre la nuit entièrement masquée

Sauf cette fente de l’œil incompréhensible résiste.

 

Jacques Réda, La Tourne, Gallimard, 1975, p. 47.

10/11/2022

Jacques Réda, Amen

             Jacques_Reda_200x240.jpg

                         Automne

 

Ah je le reconnais, c’est déjà le souffle d’automne

Errant, qui du fond des forêts propage son tonnerre

En silence et désempare les vergers trop lourds ;

Ce vent grave qui nous ressemble et parle notre langue

Où chante à mi-voix un désastre.

                                                   Offrons-lui le déclin

Des roses, le charroi d’odeurs qui verse lentement

Dans la vallée, et la strophe d’oiseaux qu’il dénoue

Au creux de la chaleur où nous avons dormi.

                                                                     Ce soir,

Longtemps fermé dans son éclat, le ciel grandi se détache

Qui fut notre seuil coutumier s’éloigne à longues enjambées

Par les replis du val ouvert à la lecture de la pluie.

 

Jacques Réda, Amen, Gallimard, 1968, p. 55.

09/11/2022

Jean-Claude Pirotte, Le promenoir magique

images-1.jpeg

       à la pluie

 

cinq ans déjà que je suis en cavale

seule la pluie m’identifie

la pluie qui se rit des gendarmes

m’aime d’un amour de jeune fille

 

je n’écris que pour elle en somme

ma nymphe aux voluptueux bras liquides

de Rethel à Carcassonne

ses cheveux frais lavent mes rides

 

elle m’enseigne à l’oreille

les charmes qui trompent les hommes

sur ma liberté la pluie veille

moi l’étourdi elle la grande personne

 

elle est mon beau temps ma bonne heure

ma gloire anonyme mon innocence

elle enroue et cingle les procureurs

mais pour mon plaisir elle danse

 

Jean-Claude Pirotte, Le promenoir magique,

La table ronde, 2009, p. 508.

08/11/2022

Cioran, Aveux et anathèmes

 

             Unknown-1.jpeg

 

On n’habite pas un pays, on habite une langue. Une patrie, c’est cela et rien d’autre.

 

Les religions, comme les idéologies qui en ont hérité les vices, se réduisent à des croisades contre l’humour.

 

La ponctualité, variété de la « folie du scrupule ». Pour être à l’heure, je serais capable de commettre un crime.

 

La critique est un contresens : il faut lire, non pour comprendre autrui mais pour se comprendre soi-même.

 

À Saint-Séverin, en écoutant, à l’orgue, L’Art de la fugue, je me disais et redisais : « Voilà la réfutation de tous mes anathèmes »

 

À Saint-Séverin, en écoutant, à l’orgue, L’Art de la fugue, je me disais et redisais : « Voilà la réfutation de tous mes anathèmes »

 

Cioran, Aveux et anathèmes, dans Œuvres, Pléiade /Gallimard, 2011, p. 1031, 1032, 1035, 1037, 1041.

07/11/2022

Cioran, Écartèlement

Unknown.jpeg

                            

 

 

 

 

 

Le suicide, seul acte vraiment normal, par quelle aberration est-il devenu l’apanage des ratés ?

 

Quelle folie d’être attentif à l’histoire ? — Mais que faire lorsqu’on a été par le temps ?

 

Face à la mer je remâchais des hontes anciennes et récentes. Le ridicule de s’occuper de soi quand on a sous les yeux le plus vaste des spectacles ne m’échappa pas. Aussi ai-je vite changé de sujet.

 

Pensent profondément ceux-là seuls qui n’ont pas le malheur d’être affligé du sens du ridicule.

 

L’indolence nous sauve de la prolixité et par là même de l’impudeur inhérente au rendement.

 

Cioran, Écartèlement, dans Œuvres, Pléiade / Gallimard, 2011, p. 978, 979, 982, 984, 985.                                  

06/11/2022

Cioran, De l'inconvénient d'être né

                                     Unknown.jpeg

N’est profond, n’est véritable que ce que l’on cache. D’où le force des sentiments vils.

 

Ce n’est pas la peine de se tuer, puisqu’on se tue toujours trop tard.

 

Plus on est lésé par le temps, plus on veut y échapper. Écrire une page sans défaut, une phrase seulement, vous élève au-dessus du devenir et de ses corruptions. On transcende la mort par la recherche de l’indestructible à travers le verbe, à travers le symbole même de la caducité.

 

Je n’ai pas rencontré un esprit intéressant qui n’ait été largement pourvu en déficiences inavouables.

 

Emily Bronté. Tout ce qui émane d’elle a la propriété de me bouleverser. Haworth est mon lieu de pèlerinage.

 

Cioran, De l’inconvénient d’être né, Pléiade / Gallimard, 2011, p. 754, 756, 768, 758, 761, 762.

05/11/2022

Cioran, Pensées étranglées

                             Unknown-1.jpeg

Une interrogation ruminée indéfiniment vous sape autant qu’une douleur sourde.

 

Le raffinement est signe de vitalité déficiente, en art, en amour et en tout.

 

Premier devoir au lever, rougir de soi.

 

Souhaiter la gloire, c’est aimer mieux mourir méprisé qu’oublié.

 

La  psychanalyse sera un jour complètement discréditée, nul doute là-dessus. Il n’empêche qu’elle aura détruit nos derniers restes de naïveté. Après elle, on ne pourra plus jamais être innocent.

 

Cioran, Pensées étranglées, dans Œuvres, Pléiade / Gallimard, 2011, p. 688, 689, 690, 690, 694.

04/11/2022

Cioran, Syllogismes de l'amertume

                               images.jpeg

Nos tristesses prolongent le mystère qu’ébauche le sourire des momies.

 

Quelqu’un emploie-t-il à tout propos le mot vie ? — sachez que c’est un malade.

 

Tôt ou tard chaque désir doit rencontrer sa lassitude, sa vérité...

 

Entre l’Ennui et l’Extase se déroule toute notre expérience du temps.

 

Cioran, Syllogismes de l’amertume, dans Œuvres, Pléiade/Gallimard, 2011, p. 194, 195, 196, 199.

02/11/2022

jean Pérol, Libre livre

jean-perol-1338265-330-540.jpg

Entre ce clocher sur la ville et ma main sur la page, le soir des hommes se glisse. Pourpre et calme. A l’intérieur de ce vide où le silence se tisse, rendre l’âme s’apprend. Chaque soir un peu plus, lorsque s’épuise, avec le jour, le goût de vaincre et de poursuivre. C’est ainsi lentement que les épaules plient, que les mots sèchent, que les lèvres se serrent.

 

Alors, au fond de soi, faut-il l’entendre ou le nier ce quelque chose qui supplie ? Hein mes petits maudits, comme il est dur d’arriver à minuit ! Du matin au soir, aucun signe, une fois de plus, pas la plus petite sonnerie. Où tu es, où tu es, devine d’où je t’appelle ? Rien. Le soir et l’indifférence vont finir de s’épaissir avant que cet infini labyrinthe de cloisons qui, au fond d’un autre déjà insinuait sa peur.

 

Nul n’appelle, nul n’écoute, et dans l’air et les livres, les feuilles mortes des illusions, elles aussi se ramassent à la pelle. Encre invisible sur le papier blanc des songes, au fur et à mesure que l’écriture s’avance, ne serait-elle aussittôt derrière elle-même qu’en train de disparaître ? Clocher gris, dure vanités, silence où le soir encore tout à coup plonge, sous lequel à vif tout élan se ronge.

 

                                                              Tout élan se ronge

 

Jean Pérol, Libre livre, Gallimard, 2012, p. 128.

01/11/2022

Jean Pérol, Libre livre

jean péril,libre livre,rejet

On pourrait croire, au moins un jour, les dieux noirs apaisés. Mais non, quand ça frappe ça frappe, et ça doit continuer. C’est le long sort des pas-de-chance. S’acharner, voyez-vous, ne sait jamais que continuer. Bouche pour crier, sang sur la route, et puis dos brisé : logique des mauvais sorts. Qui montre sa faille forge les clous pour le clouer. Les gentils l’oublient trop) vite. Trop de tendresse, de bonhomie, pas assez de carapace hérissée, de griffes cruelles au bout des pattes. Tu n’auras jamais droit au miel des victoires, aux jours de soleil, aux gens qui saluent. Et d’où tu viens tu reviendras sans fin. Jours et nuits les gardiens de cet ordre, dans la cité, savent barrer les routes. C’est leur emploi, c’est leur passion. Tu pourras toujours derrière les barrières aux parades, elles ne sont jamais pour toi. Décision obscure, d’un au-delà des étoiles. Tu devines dans leur scintillation planétaire, froide et diamantée, un doigt, sans savoir pourquoi, sans relâche pointé sur toi.

                                                                               Pointé sur toi

 

Jean Pérol, Libre livre, Gallimard, 2012, p. 141.

31/10/2022

Dominique Quélen, Une quantité discrète

                                 dominique quélen,une quantité discrète

On n’a rien ces mors seuls en français de langue arrivée là si c’est bien elle. Et se casser la gueule aussi sous la férule un plancher déformé qui traîne. Un étui qui se déverse et n’a pour être séparé de peau ni la surface ou prairie dans laquelle il a plu très violemment.. Pénétrant dans l’habitacle immergé les orties qu’on finit par entrer dans ce vase une cachette ou quoi d’autre laissé par inertie tremblant sous l’aspect de papiers minuscules un endroit jusqu’ici qu’un puisard une autre leçon garde un feu des allumettes.

 

Dominique Quélen, Une quantité discrète, Rehauts, 2022, p. 31.

30/10/2022

Pascal Poyet, J’ai dormi dans votre réputation, Traduire mais les sonnets de Shakespeare : recension

Poyet.jpeg

 Les lecteurs de poètes contemporains de langue anglaise (David Antin, Rosmarie Waldrop, Lisa Robertson, etc.) connaissent les traductions de Pascal Poyet, mais son nouveau livre intrigue dès l’abord par son titre. Il reprend celui d’une des séquences (p. 93), traduction du cinquième vers du sonnet 83 des sonnets de Skakespeare (And therefore have I slept in your report) — on y reviendra. Quant au sous-titre il s’explique par l’énoncé du projet ; les séquences, deux fois cinq partagées par un interlude, transcrivent des prises de parole, en 2019, aux Laboratoires d’Aubervilliers  pour parler de son travail de traduction de ces sonnets : « parler la traduction, plutôt que de parler de traduction », donc traduire, mais, c’est-à-dire considérer ce qui est rapporté comme le moment d’un chantier. La traduction est toujours à construire, avec des retours sur ce qui est d’abord proposé : c’est un « processus » dont le compte-rendu oral est désigné par Pascal Poyet par le mot d'« expositions », à comprendre dans ses différentes acceptions.

 

Le projet, précisé dans l’avant-propos, rompt avec bien des pratiques. Ce n’est pas la difficulté de traduction qui arrête dans le vers du sonnet 83, mais sa compréhension. Pascal Poyet examine la polysémie du mot « report », recherche ses emplois dans l’ensemble des sonnets de Shakespeare,  en relève quatre, toujours à la rime, entreprend des relevés analogues pour le verbe slept (to sleep),  puis commente la rime dumb / tomb des vers 10 et 12, examine l’usage du verbe être (being extant, being dumb, being mute (vers 6, 10 et 11), puis des pronoms, ce qui le conduit au sonnet 84 et à une hypothèse de lecture qui pourrait éclairer l’ensemble du recueil et, du même coup, faciliter la compréhension de nombreux sonnets. Ce qui retient à partir de ce très rapide parcours, c’est l’abandon dans un premier temps d’une lecture linéaire au profit d’une circulation dans le poème et dans le livre et le fait de ne retenir que quelques éléments.

On relèvera à plusieurs endroits une démarche analogue ; ici, c’est une répétition qui suscite un examen, « Quelque chose m’a frappé dans ce sonnet : le grand nombre d’occurrences du mot love » ; là, c’est un point d’interrogation au « milieu géographique des trois quatrains » du sonnet 152, en « leur centre ». Le regard, l’oreille peuvent être attirés par une rime (sonnet 105) que l’on n’entend plus aujourd’hui (alone/one) et, de là, il est intéressant de rechercher ce one dans le reste du sonnet : il y apparaît cinq fois et, de plus, on l’entend deux fois dans wondrous « (prononcé one-drous) ». Pascal Poyet relève encore, trois fois reprise, la suite de monosyllabes « Fair, kind and true » (vers 9, 10 et 13). Ces premiers repérages précèdent la lecture attentive et le traducteur conclut « Je ne sais rien d’autre du sonnet 105. Je vais maintenant le lire ».

 

Cette manière d’aborder un texte à traduire peut surprendre, elle est répétée sous différentes formes tout au long des expositions, « Je ne lis pas vraiment, je regarde », « je ne fais que regarder le sonnet », et parfois la formulation apparaît paradoxale, « On ne passe jamais suffisamment de temps à ne pas lire les textes ». C’est qu’il ne s’agit pas de « traduire » du vers 1 au vers 14, mais toujours d’entrer dans un sonnet à partir d’un « événement de langue » qui permet de tirer des fils pour comprendre ce qui est écrit : ce qui est découvert conduit à remarquer d’autres « événements » et, progressivement, à esquisser une lecture de l’ensemble. Étant entendu, comme l’écrivait Pierre Jean Jouve (traducteur de Shakespeare) cité ici, qu’il faut « prendre connaissance de chaque pièce en la reliant à toutes les autres ». Tenir compte de tous les sonnets conduit à relever tel mot et à comparer son usage dans l’ensemble ; s’il n’est présent qu’une fois (par exemple to misuse thee, « t’abuser »), ce qui ne permet pas de guider une traduction, il reste à consulter le dictionnaire d’Oxford et à choisir avec le contexte.

Être attentif à la totalité des sonnets, c’est considérer qu’ils forment un tout cohérent et non un groupement d’éléments plus ou moins isolés les uns des autres. C’est pourquoi le sonnet 77 mérite une lecture particulière : il est au milieu d’un livre de 154 sonnets, soit 11 fois 14 (= 7 + 7), nombre de vers d’un sonnet. C’est pourquoi Pascal Poyet s’intéresse à « l’instabilité » même du texte de Shakespeare, qui a été corrigé au fil des éditions (un signe diacritique, un mot). Dès que le lecteur cherche à traduire ce que l’auteur a "voulu dire", la tentation est forte de modifier le texte ; dans le sonnet 23, certains traducteurs ont corrigé « books » en « looks », ce qui leur semblait plus en accord à cet endroit avec le propos de Shakespeare, mais une analyse philologique écarte cette transformation. Ne traduire que ce qui est écrit « n’est pas aussi simple qu’on peut le penser. Cela relève parfois de l’enquête ».

 

L’enquête de Pascal Poyet, que le lecteur suit grâce au texte en annexe des sonnets étudiés, est passionnante par sa rigueur et, il faut le souligner, par le souci constant de partager une démarche qui peut sembler inhabituelle. Les lecteurs pourront comparer la traduction proposée de quelques fragments à celle d’une des nombreuses éditions disponibles : depuis la première traduction complète des Sonnets par François-Victor Hugo, en 1828, les traductions ont été très nombreuses, en prose et en vers (alexandrins, décasyllabes), en vers libres ou rimés, avec un vocabulaire moderne ou archaïsant ; de 2000 à aujourd’hui, on compte une douzaine d’éditions — et l’on attend celle de Pascal Poyet.

Pascal Poyet, J’ai dormi dans votre réputation, Traduire mais les sonnets de Shakespeare, éditions Héros-Limite et Éric Pesty éditeur, 2022, 192 p., 20 €. Cette recension a été publiée dans Sitaudis le 9 septembre 2022.