14/10/2022
Jules Renard, Journal, 1887-1910
Le meilleur interviewer est celui qui dit que j’ai un œil d’aigle et une crinière de lion.
La liberté d’une presse qui fonctionne plutôt comme un pressoir.
Ne dites pas que ce que j’écris n’est pas vrai : dites que j’écris ma l, car tout est vrai.
Dans l’admiration qu’on a pour Verlaine, je sens une trop grande part de pitié pour le pilier d’hôpital.
Il a un style à lui dont les autres ne voudraient pas.
J’appelle « classiques » les gens qui ne faisaient pas encore de la littérature un métier.
Jules Renard, Journal, 1887-1910, Pléiade/Gallimard, 1965, p. 236, 238, 238, 241, 245, 245.
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13/10/2022
Jules Renard, Journal, 1887-1910
Ma littérature, c’est comme des lettres à moi-même que je vous permettrais de lire.
Si vous saviez comme je me sens bon quand je suis tout seul, comme j’ai toujours de bonnes relations avec moi.
Le Français crible d’épigrammes surtout ce qu’il voudrait être : le député, et ce qu’il voudrait avoir : le ruban rouge.
Comment, n’est-ce pas ? le tonnerre tomberait-il sur ma maison, quand il peut tomber sur celle du voisin ?
Oui, dit-il : je l’ai échappé laide.
Il lui conseillait de lire chaque jour les faits divers pour se rendre compte de son bonheur.
Jules Renard, Journal, 1887-1910, Pléiade/Gallimard, 1965, p. 224, 226, 227, 230, 231, 235.
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11/10/2022
Jules Renard, Journal, 1887-1910
Il y a le bavardage insignifiant et le bavardage pompeux qui signifie moins encore.
Pour que le chef-d’œuvre vienne à vous, au moins faites-lui signe.
Nul n’aura de talent, hors nous, moins mes amis.
Je serais anarchiste si j’étais malheureux, mais je n’ai pas à me plaindre. Comment pourrais-je à la fois être anarchiste et satisfait ?
Comme toute comparaison originale doit forcément, à la longue, se banaliser, n’en jamais faire.
Jules Renard, Journal, 1887-1910, Pléiade/Gallimard, 1965, p. 208, 209, 209, 209, 210.
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10/10/2022
Jules Renard, Journal, 1887-1910
Je ne lis rien, de peur de trouver des choses bien.
Chez Rodin, il m’a semblé que mes yeux tout d’un coup éclataient. Jusqu’ici la sculpture m’avait intéressé comme un travail dans du navet.
Balzac est peut-être le seul qui ait eu le droit de mal écrire.
Un homme tellement beau que lui-même se trouve ridicule.
Acquiers le talent de dire sans bâiller : « C’est intéressant. »
Chaque matin songer aux gens qu’on va cultiver, aux pots qu’on va arroser.
Jules Renard, Journal, 1887-1910, Pléiade/Gallimard, 1965, p.83, 85, 88, 89, 92. 95.
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09/10/2022
Jacques Moulin, Corbeline
Corbeau
Encore haut
Pousse au noir
Son cri fort
Chaque soir
Proie du noir
Sous le ciel
Toujours haut
Du corbeau
Qui repasse
Tu rebrasses
Un corps lourd
Jacques Moulin, Corbeline,
L’Atelier contemporain,
2022, p. 53.
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08/10/2022
Jacques Moulin, Corbeline
Corbeaux en fragments
Le cri du corbeau
De quoi est-il le bruit
Le bruit du bois
Le bruit du toit
qui se dérobe
charpente incluse
Le bruit qui croît
au-delà de sa voix
Le bruit du groin
qui court aux lointains
Le bruit du cri
dans la nuit du gravier
Le bruit d’évier
quand la bonde est lâchée
Le bruit déchiré
de la bâche sous tempête
Le bruit de trompette
rouillée mal embouchée
Le bruit qui verrouille
Le bruit de moraine
dans l’absence des glaciers
Le bruit de la grêle
qui cogne sur les rails
Le cri qui déraille
Le bruit du moulin à chanvre
quand le lien freine la meule
Un corbeau
Fait un bruit de corbeau
Vrocalise
Jacques Moulin, Corbeline, L’Atelier
contemporain, 2022, p. 39.
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06/10/2022
Jean Gente, Le voleur
Le voleur
Vous êtes hypocrite immortelle écuyère
En robe d’organdi sur un cheval blond !
En pétales perdus vos beaux doigts s’effeuillèrent
Adieu mon grand jardin par le ciel terrassé !
***
Ainsi je reste seul oublié de lui qui dort dans mes
bras. La mer est calme. Je n’ose bouger. Sa pré-
sence serait plus terrible que son voyage hors
de moi. Peut-être viendrait-il sur ma poitrine.
Et qu’y pourrais-je faire ? Trier ses vomissures ?
Y chercher parmi le vomi, la viande, la bile, ces
violettes et ces roses qu’y délaient et délient
les filets de sang ?
(...)
Jean Genet, Le pêcheur du Suquet, dans Le condamné à mort, L’arbalète, 1958, p. 104-105.
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Francis Ponge, La fabrique du pré
31 mars 1970
I
Il ne fait, pour mon expérience, aucun doute que l’amour des mots (c.a.d la référence (révérencieuse) à une vision traditionnellement humaine et (osons le dire) nationale des choses (il faut expliquer cela) (que l’amour des mots soit cela) soit le chemin à la création (je veux dire, par l’expression sans tricherie d’une sensibilité individuelle, sans seulement la fabrication d’objets de satisfaction, de jouissance pour le goût commun des usagers de la langue, mais l’auto création de l’individu lui-même dans sa ressemblance et sa différence à ceux que l »’on appelle ses semblables.
Francis Ponge, La fabrique du pré, Gallimard, 2021, p. 16.
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04/10/2022
Pierre Voélin, D'eau et de sang
Ligatures
Toi —tendrement liée — sous le lien de mes bras
ici — sans bruit — sauf les forts battements
du cœur — à ton cou le collier
les perles — les cris
du petit jour `
Tu le sais — ta beauté me déchire
Plus souples les feuillages contre la vitre
le vent amoureux — d’un souffle —
les secoue
Je dirai le nu du désir — avec ou sans honte
tu annonceras — toi — les nuits de perce-neige
Pierre Voélin, D’eau et de sang, dans L’étrangère,
N° 56, 2022, p. 20.
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29/09/2022
Nicolas Pesquès, La face nord de Juliau, onze, douze
le 18 novembre (2008)
Si, sur une page, je regarde le mot colline, je connais, dans des délais variables, un afflux ou non d’images, d’envies, de mémoire. Une boue de pensée, la soupe des sensations. Il est souvent difficile de les distinguer.
Si, maintenant, je regarde la colline, je connais, dans des délais également variables un afflux ou non d’images, d’envies, de mémoire ; La même soupe, la même boue.
Le corps a vécu deux activités, a accompli deux choses radicalement différentes. Comment les symptômes pourraient-ils être les mêmes ? Ils ne le sont pas. C’est toute la tragédie et toute l’excitation du monde.
Nicolas Pesquès, La face nord de Juliau, onze, douze, Flammarion, 2013, p. 104-105.
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28/09/2022
Umberto Saba, Il Canzoniere
Quand se levait le rideau
Quand se levait le rideau sur le monde
de mon enfance, j’accourus comme
à une fête promise. Une à une
sont tombées les merveilles.
Des espérances conçues, nulle
qui vaille à m’en souvenir, même une larme
et même un seul soupir. Mais il me reste
ton baiser, jeune amie, qu’absences
et respect de nous-mêmes font plus rares.
C’était cela la vie, une gorgée amère.
Umberto Saba, Il Canzoniere, L’âge d’homme, 1988, p. 461.
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27/09/2022
Umberto Saba, Il Canzoniere
Seul
Je suis seul. Nul n’écoute là
où tout appel aux amis dispersés
est vain.
La haine brille comme un glaçon, et je pense
que je te verrai ce soir, toi que j’aime.
Je pense à tous mes efforts,
tandis que j’allais au hasard
au soleil qui découvre, dans l’ombre qui protège,
pour me dire en paix quelques
mots.
Umberto Saba, Il Canzionere, L’âge d’homme, 1988, p. 460.
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26/09/2022
Umberto Saba, Il Canzoniere
L’adieu
Sans adieu tu m’as laissé et sans pleurs ;
dois-je m’en affliger .
Tu ne pleurais pas parce que tu avais tant,
tant de baisers à me donner.
Certaines ententes amoureuses durent assurément
autant qu’une vie et davantage.
Je connais un amour qui a duré un mois
et qui fut un amour véritable.
Umbero Saba, l Canzoniere, L’âge d’homme, 1988, p. 198.
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25/09/2022
Umberto Saba, Il Canzoniere
La solitude
Saison changeante, ombre et soleil
font le monde varié, qui dans son aspect riant
nous console, et de ses nuages nous peine.
Et moi, qui à tant de nos apparences et à mes
yeux portait une infinie gratitude
je ne sais aujourd’hui si je dois m’affliger
ou m’en aller joyeux comme quand on sort d’une épreuve :
je suis triste et pourtant la journée est si belle ;
dans mon cœur seulement il fait pluie et soleil.
D’un long hiver je sais faire un printemps ;
quand la route au soleil est une traînée d’or,
le bonsoir, je le dis à moi-même.
J’ai mes brouillards et mes beaux temps en moi tout seul
comme en moi seul est ce parfait amour
pour que l’on souffre tant, moi je ne pleure plus :
en mes yeux en mon cœur je trouve suffisance.
Umberto Saba, Il Canzoniere, L’âge d’homme, 1988, p. 146.
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24/09/2022
Camille Loivier, les lignes indéfiniment se poursuivent
(...) on a vagabondé dans le lieu, jardin et maison, sans souhaiter rencontrer personne, on a cherché à s’approprier quelque chose que l’on nous a refusé. On a écouté des bribes d’histoires, des fragments sans lien apparent et on n’a pas compris que l’on était ce lien, cette pâte à fixe, ce joint. On est venue à la rencontre d’une enfance meurtrie, on est allée plus loin encore vers l’enfance passée de celles qui n’étaient plus enfants, on se mettait là parce que l’on s’y sentait bien : on était à sa place, retournée à l’autorité de soi-même.
Camille Loivier, les lignes indéfiniment se poursuivent, dans La revue de belles-lettres, 2022-1, p. 83.
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