26/12/2015
Jacques Réda, Recommandations aux promeneurs
Éloge de la pluie
Généralités
Ayant eu l’intention de traiter des divers types d’intempéries, il m’a semblé que la pluie les résumait suffisamment. Pour le plaisir que j’en escompte, il est préférable en effet de ne pas circuler sous d’abondantes chutes de neige ou par grands froids. Je ne suis pas anachronique au point d’ignorer ce qu’on appelle le ski de fond, par exemple, mais je crois comprendre qu’il s’agit d’une distraction athlétique peu dans mes goûts. Et je ne saurais puiser que dans le trésor de mon expérience. Enhardi par la précocité fallacieuse de certains printemps, il m’est bien arrivé de me lancer à l’étourdie sur des routes ronflantes comme des meules à aiguiser la bise et d’y perdre l’équilibre dans des combes laquées par le verglas. C’est une situation désagréable quand la fierté s’en mêle et qu’on refuse d’abandonner. Mais je ne veux pas aller spontanément au devant d’une défaite rendue fatale par le climat. La seule perturbation atmosphérique qui légitime la fuite (et rien ne prouve, souvent au contraire, qu’elle soir une garantie de salut), c’est l’orage, à propos de quoi il faut se retenir de donner le moindre conseil, il n’en est pas d’indiscutables. Sous une apparence de logique qui le fait monter, éclater, passer, s’éloigner dans le meilleur des cas (parce qu’il n’est pas rare qu’il tourne en rond ou qu’il s’installe), l’orage réalise une somme de caprices trop imprévisibles pour qu’on se flatte de le conjurer. [...]
Jacques Réda, Recommandations aux promeneurs, Gallimard, 1988, p 43-44.
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18/12/2015
Reinhard Priessnitz (1945-1985), 44 poèmes, poésie complète
ballade sous la neige
si ma psyché me parle sans tain
la neige enverra balader
le ciel en éclats
l’artère de la nuit
se met en voix
ivre dans les joncs
ma psyché droite
se met en voix
coq et cocotte
s’il neige la parole
se fera-t-elle hiver
faucheur et faux
le cœur un flocon
le filet de sa vois sera-t-il
corde vocale gelée
sa glace une fleur
éclats de verre
pouls de la nuit
couverons-nous
coq blanc et blanche cocotte
tandis qu’il neige et neige
irons-nous balader
ma psyché pose
des questions qui glacent
dans un rêve qui tombe
schneelied
spricht mein spiegel sich blind
wind wandern der schneefall
die sherbe des himmels
die ader der nacht
spielt seine stimme
taumelnd im schilf
mein richtender spiegel
spielt seine stimme
henne und hahn
wird wenn es schneit
das sprechen ein winter
schnitter und sense
das herz eine flocke
wird seine stimme
ein frostiges band
sein eis eine blume
gläserne scherbe
pulsender nacht
werden wir brüten
weisser hahn weisser henne
unter schneefall und schneefall
werden wir wandern
mein sprechender spiegel
klirrende fragen
im fallenden traum
Reinhard Priessnitz, 44 poèmes,
poésie complète, traduction Alain Jadot,
préface Christian Prigent, NOUS, 2015,
p. 77 et 76.
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30/11/2015
Paysages d'hiver
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12/10/2015
Julien Bosc, Sans lieu-dit ni demeure
Sans lieu-dit ni demeure
des neiges d’avril
écloses ou en bouton
de premières capucines
orange lie de vin ou jaune
un bouleau arqué par la neige à tout-va d’une seule nuit
d’inattrapables montmorency en haut du cerisier de huit ans
l’ombre adolescente et pas peu fière d’un jeune tilleul
un ciel bleu
un ténu vent silencieux
une conscience exsangue sans lieu-dit ni demeure
et rien
hormis le geai des chênes simulant la crécelle
le fond du puits
la corde
la gorge et le galet
Julien Bosc, Sans lieu-dit ni demeure, dans Rehauts, n° 36, automne-hiver 2015, p. 91.
Julien Bosc a publié récemment Maman est morte (Rehauts, 2012), Tout est tombé dans la mer (Approches, 2014)
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16/09/2015
Cécile Mainardi, Poèmes à la coque, dans Rehauts
Photo H. Lagarde
l’eau
même froide
troue la neige lors
qu’elle y tombe je film
e la bassine d’eau chaude
qu’on jette sur un sol de ne
ige toute fraîche à peine tom
bée devant la maison je film
e son délire impressionniste, son éloqu
ence muette, son grabuge blanc, je pense
à Degas comme étant le mieux
placé non pour le peindre
mais pour s’en délecter
sans limite et sans
restriction dans le
blanc jusqu’aux confins
de la peinture qu’il n’en fait pas
Cécile Mainardi, Poèmes à la coque, dans Rehauts, n° 35,
printemps 2015, p. 38.
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05/02/2015
Marina Tsvétaïéva, Tentative de jalousie
(Poème en français)
La neige
Neige, neige,
Plus blanche que linge,
Femme lige
Du sort : blanche neige.
Sortilège !
Qui suis-je et ou vais-je ?
Sortirai-je
Vif de cette terre
Neuve ? Neige,
Plus blanche que page
Neuve neige
Plus blanche que rage
Slave...
Rafale, rafale
Aux mille pétales,
Aux mille coupoles,
Rafale-le-Folle !
Toi une, toi foule,
Toi mille, toi râle,
Rafale-la-Saoule
Rafale-la-Pâle
Débride, dételle,
Désole, détale,
À grands coups de pelle,
À grands coups de balle.
Cavale de flamme,
Fatale Mongole,
Rafale-la-Femme,
Rafale : raffole.
1923
Marina Tsvetaïéva, Tentative de jalousie et
autres poèmes, traduit du russe et présenté
par Ève Malleret, La Découverte, 1986,
p. 175-176.
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28/01/2015
Eugène Fromentin, Carnet de voyage en Algérie
Fromentin, Tente au Sahara
Carnet de voyage en Algérie
[...]
24 janvier 1848. Départ avant le jour. Nous escortons la voiture, nous descendons à pied les pentes les plus rapides. Matinée claire et très froide. Il y a de la glace dans les ornières et dans tous les pas des chevaux. le terrain durci par la gelée nous blesse les pieds, mais nous permet d'aller sans nous embourber. Nous dominons une étendue considérable de montagnes. Le soleil se lève derrière de lointains sommets couverts de neiges, et nous frappe au visage, nous enveloppe de lumière. Le ciel est d'une sérénité admirable. L'air vif des régions élevées dilate la poitrine et nous nous précipitons en criant sur les pentes. La glace frémit déjà et le terrain fléchit sous les pieds. Rencontre d'un douar (le premier depuis Philippeville), abrité dans un pli profond de la vallée. Les troupeaux se dispersent. Arabe en simple gandoura retenue par une ceinture en corde, monté sur un cheval à poil, un bâton à la main et conduisant un troupeau de bêtes à cornes.
(...) ferme fortifiée, à la fois étable, écurie et caserne. — À 10 heures déjeuner au Hamma. Nous avons fini de descendre. Nous venons de sortir de la montagne et nous rentrons dans la riante et fertile vallée du Rummel. Le Hamma est le jardin de Constantine dont il n'est éloigné que de cinq à six kilomètres. Il faut une heure de cheval pour descendre de Constantine au Hamma, il en faut deux pour y monter. Arbres en fleurs ou déjà couverts de feuilles. Quelques palmiers épars dans les massifs d'oliviers, de caroubiers et d'arbres à fruits suffisent pour restituer au paysage son caractère oriental.
Eugène Fromentin, Carnet de voyage en Algérie, dans Œuvres complètes, édition établie, présentée et annotée par Guy Sagnes, Pléiade / Gallimard, 1984, p. 927.
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16/11/2014
Étienne Faure, Vues prenables
Le temps travaille trop, on est déjà dimanche
ce matin en ouvrant la fenêtre,
il neige en silence, les rues sont d'antan ;
de la ville, la rumeur est absente,
c'est la neige ou la nuit en son cœur qui l'interrompt
— ou la mort, insistante à sonner l'heure,
qui ponctue plus sonore les rêves.
Tout remonte en mémoire, les petits vieux
revenus naguère estropiés, claudiquant,
plusieurs balles dans la peau, des idées
fixées désormais sur les hommes,
qui le dimanche à des poulbots sans église
tendaient des gâteaux, biscuits à la cuiller
trempés dans du vin, leur donnant
sans le savoir le goût du rouge.
Aidés d'un peu d'alcool ensuite ils mourraient
un après-midi dansant
entre les bras d'un fauteuil qui connut leurs étreintes
dimanche, entre deux guerres.
le goût du rouge
Étienne Faure, Vues prenables, Champ Vallon, 2009, p. 79.
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17/03/2014
Philippe Jaccottet (4), Beauregard
Mars
Voici sans doute les dernières neiges sur les versants nord et ouest des montagnes, sous le ciel qui se réchauffe, presque trop vite, il me semble cette année que je les regretterai, et je voudrais les retenir. Elles vont fondre, imprégner d'eau froide les prés pauvres de ces pentes sans arbres ; devenue ruissellement sonore ici et là dans les champs, les herbes encore jaunes, la paille. Chose aussi qui émerveille, mais j'aurais voulu plus longtemps garder l'autre, l'aérienne lessive passée au bleu, les tendres miroirs sans brillant, les fuyantes hermines. J'aurais voulu m'en éclairer encore, y abreuver mes yeux
Lettres de l'étranger...
Je laisse, à ma manière paresseuse, circuler ces images, espérant parmi elles trouver la bonne, la plus juste. Qui n'est pas encore trouvée, et ne le sera d'ailleurs jamais. Parce que rien ne peut être identifié, confondu à rien, parce qu'on ne peut rien atteindre ni posséder vraiment. Parce que nous n'avons qu'une langue d'hommes.
Bourgeons hâtifs, pressés, promptes feuilles, verdures imminentes, ne chassez pas trop vite ces troupes attardées d'oiseaux blancs. Ces ruches de feuilles — et là-haut, loin, ces ruches de cristal.
[...]
Philippe Jaccottet, "Trois fantaisies", dans Beauregard, dans Œuvres, préface de Fabio Pusterla, édition établie par José-Flore Tappy, Pléiade / Gallimard, 2014, p. 701.
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19/01/2014
Albert Camus, Carnets II, janvier 1942-mars 1951
1942
Littérature. Se méfier de ce mot. Ne pas le prononcer trop vite. Si l'on ôtait la littérature chez les grands écrivains on ôterait ce qui probablement leur est le plus personnel. Littérature = nostalgie. L'homme supérieur de Nietzsche, l'abîme de Dostoïevski, l'acte gratuit de Gide, etc., etc.
Se persuader qu'une œuvre d'art est chose humaine et que le créateur n'a rien à attendre d'une "dictée" transcendante. La Chartreuse, Phèdre, Adolphe auraient pu être très différents — et non moins beaux. Cela dépendra de leur auteur — maître absolu.
Nostalgie de la vie des autres. C'est que, vue de l'extérieur, elle forme un tout. Tandis que la nôtre, vue de l'extérieur, paraît dispersée. Nous courons encore après une illusion d'unité.
Il ne couche pas avec une putain qui l'aborde et dont il a envie parce qu'il n'a qu'un billet de mille francs sur lui et qu'il n'ose pas lui demander la monnaie.
C'est quand tout fut couvert de neige que je m'aperçus que les portes et les fenêtres étaient bleues.
1943
Avoir la force de choisir ce qu'on préfère et de s'y tenir. Ou sinon il vaut mieux mourir.
On ne peut rien fonder sur l'amour : il est fuite, déchirement, instants merveilleux ou chute sans délai. Mais il n'est pas...
Albert Camus, Carnets II, janvier 1942-mars 1951, édition établie et annotée par Raymond Gay-Grunier, Folio, 2013, p. 36, 37, 40, 44, 61, 95, 122.
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25/11/2013
Gustave Roud, Les fleurs et les saisons
Une semaine avec les éditions La Dogana
Hiver
Les molles premières neiges disparues, sur le seuil même de l'hiver, une rémission parfois nous est donnée, un miséricordieux sursis de quelques jours. Les jardins noirs essaient une résurrection. Les touffes de chrysanthèmes terrassés se redressent à demi, s'étoilent de fleurs fripées. La tache d'une rose ancienne touche la muraille redevenue tiède. Il fait doux. Le soleil désigne d'un doigt sans force les pommes oubliées aux branches des pommiers nus. Il avive la flamme des osiers qu'un homme travaille à genoux, les mains tendues vers la touffe orange et pourpre, comme un berger qui avait froid et se chauffe à quelque feu...
Gustave Roud, Les fleurs et les saisons, photographies de l'auteur, La Dogana, 2003 [1991], p. 81.
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19/03/2013
Ophélie Jaësan, La Mer remblayée par le fracas des hommes
Éloge de la disparition
« Ce que nous appelons démesure, ce que Sophocle appelle la démesure, ce qui, d'après lui, est immédiatement puni de mort puni par les dieux, n'est que l'ensemble de nos propres mesures. » Jean Giono, Noé.
Parfois j'ai ce besoin — vital quasiment, du moins viscéral — d'être sur le départ. J e me souviens du ciel et de la terre, mais c'est un souvenir qui n'est plus ancré dans ma chair et il me faut aller tout de suite à sa rencontre, nourrir sa revivifiance, au risque de ne plus savoir quelque chose d'essentiel sur moi.
Moi ou eux — les hommes pareillement.
C'est donc d'abord une voie ferrée et je m'en vais, je fuis la ville, son agitation, son trop-plein, ses machines et autres engins. Je tente la campagne. Après un long voyage, j'arrive enfin dans une gare. Une simple gare avec un quai et une guérite. Alentour : rien. La nature. Je quitte la gare, seule. Je marche longtemps, très longtemps. Même fatiguée, il me faut poursuivre, car c'est autre chose qu'une nature remodelée par l'homme que je cherche.
Lorsque l'auto franchit le col, le temps change brusquement. La pluie cède à la neige, il y a du vent et du brouillard. L'autoroute que nous allons bientôt quitter ressemble à une nationale sans envergure. Un tapis blanc recouvre tout — les dernières maisons, les murets, les barrières, les barbelés —, tapis qui s'épaissit de minute en minute. Le ciel trop bas semble avoir eu le désir d'écraser la plaine. Brumes et vapeurs ont noyé la ligne de démarcation entre le ciel et la terre. Voilà qu'ils ne font plus qu'un. En silence, j'admire leur fusionnement.
Les cimes des arbres, leur branches, leurs troncs ont également été recouverts par la neige. Des arbres qui me paraissent maintenant figés dans une expression étrange, oscillant entre la sérénité et l'inquiétude.
Petit à petit, les traces du dernier passage des animaux dans la plaine ont toutes été effacées et les cris des oiseaux se sont tus.
Sur ce monochrome blanc, je rêve éveillée. Naît en moi alors le besoin d'écrire sur — ou à partir de — la disparition progressive des choses. Comme on ne peut plus les voir, on ne peut plus les nommer et elles finissent par disparaître. Mais en apparence seulement, puisque tout homme est Noé. Tout homme porte en lui la mémoire du monde. Longtemps après sa disparition.
Ophélie Jaësan, La Mer remblayée par le fracas des hommes, Cheyne, 2006, p. 58-59.
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03/12/2012
Philippe Jaccottet, À la lumière d’hiver
Sur tout cela maintenant je voudrais
que descende la neige, lentement,
qu’elle se pose sur les choses tout au long du jour
— elle qui parle toujours à voix basse —
et qu’elle fasse le sommeil des graines,
d’être ainsi protégé, plus patient.
Et nous saurions que le soleil encore,
cependant, passe au-delà,
que, si elle se lasse, il redeviendra même un moment
visible, comme la bougie derrière son écran jauni.
Alors, je me ressouviendrais de ce visage
qui demeure, lui aussi, derrière
la lente chute des cristaux humides,
qui change, avec ses yeux limpides ou en larmes,
impatiemment fidèles...
Et, caché par la neige,
de nouveau, j’oserais louer leur clarté bleue.
Fidèles yeux de plus en plus faibles jusqu’à
ce que les miens se ferment, et après eux, l’espace
comme un éventail peint dont il ne resterait plus
qu’un frêle manche d’os, une trace glacée
pour les seuls yeux sans paupières d’autres astres.
Philippe Jaccottet, À la lumière d’hiver précédé de
Leçons et de Chants d’en bas, Gallimard, 1977, p. 96-97.
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12/11/2012
Claude Dourguin, Laponia
Sans que l'on sache pourquoi, imprévu, offert que l'on découvre voici un jour de rémission. Le matin fleurant la glace a tendu une ciel d'azur pâle dont le cœur s'émeut, fragile, insolite. Froissé de blanc au lever, les heures une à une l'ont lissé, purifié, et il règne désormais impeccable, dépositaire de l'élégance arctique faite de dépouillement, de subtilité, de vigueur à la fois. Impressionné, saisi comme par la déférence instinctive au seuil de lieux saints, on avance plus grave qu'à l'ordinaire, mais c'est une gravité pleine, heureuse.
Le chemin forestier coupe à travers les pins, vient longer un lac modeste, figure blanche sur fond blanc combien plus vivante et suggestive que celle de Malevitch, sur quelques kilomètres l'esprit se propose une petite énigme esthétique à résoudre. Les pins reviennent, clairsemés, avec leurs branches irrégulières, mal fournies, leur port un peu bancal qui témoigne assez de ce qu'ils endurent. Nul tragique, pourtant, ne marque le paysage, entre conte et épopée plutôt la singularité des lieux soumis à des lois moins communes que les nôtres, obligés à un autre ordre. Chaque arbre tient à son pied, qui s'allonge démesurée et filiforme son ombre claire, grise sur la neige. Ces grands peuplements muets et fragiles d'ombres légères comme des esprits, le voyageur septentrional les connaît bien, une affection le lie à eux. Il traverse sans bruit leur lignes immatérielles dans le souvenir vague, qui les fait éprouver importunes, grossières, de la densité, de la fraîcheur, de l'odeur terrestre ailleurs, sur quelque planète perdue.
Claude Dourguin, Laponia, éditions Isolato, 2008, p. 37-38.
©Photo Claude Dourguin.
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