23/12/2024
Danielle Collobert, Cahiers, 1956-1978
1957, décembre
Pourquoi écrire que cette chambre est dans une grisaille jaune — que je somnole presque dans cette inexistence — que seul par momen le bruit du venr dans la plaque de la cheminée… ?
Seule —
Écrire ? faire des phrases ? encore…
La mort — ma mort — sûre — mais essai factice de représentation — infructueux d’ailleurs — À quoi j’arrive : au plus à une sensation très brutale de mon corps — Sensation qui revient de plus en plus souvent ces jours-ci — Idée de la mort — très salutaire si on peut encore parler à ce point-là de santé.
Danielle Colllobert, Cahiers, 1956-1978, Change, Seghers/Lafffont, 1983, p. 11.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : danielle collobert, cahiers, corps | Facebook |
28/03/2024
Antonin Artaud, Le Théâtre de la cruauté
POST-SCRIPTUM
Qui suis-je ?
D’où je viens ?
Je suis Antonin Artaud
et que je le dise
comme je sais le dire
immédiatement
vous verrez mon corps actuel
voler en éclats
et se ramasser
sous dix mille aspects
notoires
un corps neuf
où vous ne pourrez
plus jamais m’oublier
Antonin Artaud, Le Théâtre de la cruauté, dans
Œuvres complètes, tome XIII, Gallimard, 1974, p. 118.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Antonin Artaud | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : antonin artaud, le théâtre de la cruauté, corps | Facebook |
28/02/2024
Esther Tellermann, Votre écorce
Car je n’ai rien
une mèche
un cil
le plus ténu
fut votre
corps
la façon d’un
murmure où
je m’ensevelis
et m’attarde
et m’endors.
Nous étions si
frêles contre ce qui
soudain ne
craint plus
l’ombre.
Esther Tellermann,
Votre écorce, La Lettre volée,
2023, p. 88.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Tellermann Esther | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : esther tellermann, votre écorce, soudain, corps | Facebook |
16/02/2024
Claude Chambard, Cet être devant soi
Le crayon est le chemin par lequel je peux parcourir le monde. Il me faut y arriver vivant. Ce n’est pas une mince affaire. J’ai toujours pensé que, dans le livre, le monde ne pouvait être vu qu’à hauteur d’enfance. L’écriture commence & prend fin dans une classe du cours préparatoire, pour toute la vie & pour tous les livres, dans toutes les bibliothèques. De même la lecture. Manipulations, transgressions, interprétations, variations — archaïques. Encre violette & papier réglé à grandes marges, encrier en porcelaine, plumes Sergent Major, buvards publicitaires… Apprendre à dessiner — les caractères apprendre à dessiner - les traits portraits &c - lisibilité, blanc, équilibre, approche, classe, ce qu’on ne voit pas permet ce que l’on perçoit - comme on oublie la ponctuation lorsqu’elle est juste, lorsqu’elle va de soi la lecture va de soi — l’écriture jamais. Ton corps est dans le livre, personne ne le voit, même pas moi, mais je le reconnais, aussi les oiseaux dans le ciel & le corps des écrivains dans leur écriture.
Claude Chambard, Cet être devant soi, Æncrages, 2012, np.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Chambard Claude | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : claude chambard, cet être devant soi, écriture, corps | Facebook |
25/01/2024
Monique Laederach, Cette absolue liberté de parole
XIII
Tout a coulé dans l’innocence.
Tellement imbriqués l’amour la nuit le jour
et ce corps qui voulait bien qui
voulait davantage, n’avait
jamais de satiété véritable –
dans l’innocence et pourtant
la douleur.
L’amour jetant l’angoisse hors de ses gonds,
tirant, jetant et dans des frénésies
tellement aiguisées
que l’amour tu s’est fait amputation.
Alors, parfois, on s’asseyait dans l’herbe,
en restant immobiles,
juste une surface de peau sous le soleil,
à supposer qu’il y ait eu du soleil,,
immobiles dans un temps arrêté,
les précipices de mort à droite à gauche
qu’il fallait voir
qu’il fallait enfin accepter de voir.
Monique Laederach, Cette absolue liberté de
parole, dans La revue de belles-lettres, 2023-2, p. 23.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : monique laederach, innocence, amour, corps | Facebook |
01/07/2023
Antoine Emaz, Erre
29.08.18
le temps va le corps
suit son cours peine un peu à poursuivre
mais c’est le même refus posé
on reprend seulement une poignée de sable
dans les mots
toujours rien à céder
sur ce terrain d’être vieux
pour la misère ou pour le désir
au bout peut-être on n’aura pas bougé grand-chose
plutôt la vie s’est chargée de changer
la lumière et les angles les êtres les lieux un peu
sans bruit on rassemble
un peu de joie sèche
pour aller à demain
qui demande autre chose
Antoine Emaz, Errz, Tarabuste, 2023, p. 111.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Emaz Antoine | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : antoine emaz, erre, corps, vieillesse | Facebook |
02/04/2022
Maud Thiria, Trouée
toi
corps retombé
exposé là
sang et eau mêlés
à peine corps
encore
failles et fissures
ouvertes
portes d’entrée
trous de toi
devenir trou pour respirer
juste trou
concentré de souffle
filet d’air aspiré
à peine
pores et grains de peau
bouchés
ça te gratte à la gorge
ça te brûle les poumons
Maud Thiria, Trouée,
Lanskine, 2022, p. 42-43.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : maud thiria, trouée, corps, sang | Facebook |
24/02/2022
Cédric Demangeot, Obstaculaire
Mes yeux
pensent à côté de moi.
Ma poitrine
s’enfonce
sans fin
dans le vide
qu’en s’enfonçant elle creuse
au fond de mon effondrement.
Mes épaules
me cherchent.
Ma bouche
m’insulte et me tait.
Cédric Demangeot, Obstaculaire, L’Atelier contemporain, 2022, p. 30.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cédric demangeot, obstaculaire, corps, perte | Facebook |
27/12/2021
Esther Tellermann, Sous votre nom
Peut-être j’avais
voulu défaire
les écueils dans la
syllabe
voir où tu
dors
Si étions le même
arceau
même mèche
de l’incendie `
à l’un l’autre
l’épuisement de la
lumière ?
Voulus que corps
ait hâte.
Esther Tellermann, Sous votre nom,
Poésie/Flammarion, 2015, p. 163.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Tellermann Esther | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : esther tellermann, sous votre nom, lumière, corps | Facebook |
06/05/2021
James Sacré, Donne-moi ton enfance
Son corps impossible
Je cherche le corps de mon enfance
En mon corps grandi
Qui va bientôt mourir.
J’en aurais rien dit
Le corps de mon enfance
Pour te le donner. Et je ne saurai pas
Ce qui est donné.
On croit voir quelques gestes
Dans le puits de la mémoire :
Si de l’eau brille
Ou de la nuit,
Le mot noir ?
Quel geste a trop dit sans dire assez
À mon corps d’enfant,
Pour continuer ?
Bientôt la mort, j’attends toujours,
Et vous ?
(...)
James Sacré, Donne-moi ton enfance,
Tarabuste, 2013, p. 79-80.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Sacré James | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : james sacré, donne-moi ton enfance, corps, mémoire | Facebook |
24/07/2020
André Frénaud, Il n'y a pas de paradis
Un par deux
J’ai maintenant deux corps,
le mien et le tien,
miroir où se fait beau
celui que je n’aimais pas.
Qui ne me portait pas chance
Des succès qui ne m’accordaient rien.
L’amour que nous nous rendons
nous a délivrés des rencontres,
aussi des vertus inutiles.
André Frénaud, Il n’y a pas de paradis,
Poésie/Gallimard, 1967, p. 50.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Frénaud André | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : andré frénaud, il n’y a pas de paradis, un par deux, corps | Facebook |
14/04/2020
Louise Labé, Œuvres, Sonnets
Sonnet VII
On voit mourir toute chose animée,
Lors que du corps l'âme futile part :
Je suis le corps, toi la meilleure part ;
Ou es tu donc, dame vie aimée ?
Ne délaissez pas si longtemps pamée
Pour me sauver après viendrais trop tard,
Las, ne mets point ton corps en ce hazard ;
Rens lui sa part & moitié estimée.
Mais fais, Ami, que ne sois dangereuse
Cette rencontre & revue amoureuse,
L'accompagnant, non de severite,
Non de rigueur : mais de grâce amiable,
Qui doucement me rende sa beauté,
Jadis cruelle, a present favorable.
Louise Labé, Œuvres, Slatkine, 1981, p. 114.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : louise labé, Œuvres, sonnet, âme, corps | Facebook |
23/02/2020
Antoine Emaz, Jours
21.10.07
corps mécanique
pantin social
quand il s’affaisse reste
un tas de linge sale
un grand après-midi froid d’hiver
on pourrait facile en faire
son affaire
sauf les yeux
le reste du corps a déjà reculé
ça se joue sur les yeux
qui tiennent
tout va se régler avec le soir
pas de héros
sauve qui peut seul
[...]
Antoine Emaz, Jours, éditions En forêt/
Verlag im Wald, 2009, p. 65.
© photo T. H., mai 2011.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Emaz Antoine | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : antoine emaz, jours, corps, pantin | Facebook |
19/03/2019
Eugène Savitzkaya, À la cyprine
Dans mon corps tout chaud le cœur tremble.
Le corps de la crevette dans le corps du poisson
qui broute et qui broute, sa vessie est sa lumière
Le corps du poisson dans le corps du héron
gelé sur un pied, son bec est sa pince à sucre
Le corps du héron dans le corps de l’air
ce grand fluide
Le corps de l’air dans le corps du vaisseau
en mouvement
Eugène Savitzkaya, À la cyprine, éditions de Minuit, 2015, p. 44.
Jean-Pierre Richard (1922-2019)
J’ai connu la poésie de Jacques Dupin grâce à la lecture de ses Onze études sur la poésie moderne, en 1964. La longue vie de Jean-Pierre Richard a été celle d’un homme d’une immense curiosité, soucieux de transmettre ; ses études sur Flaubert et Stendhal (1954), Mallarmé et Proust ont nourri des générations de lecteurs. Infatigable, il a écrit aussi au fil des années à propos de ses contemporains— parmi d’autres, Pierre Michon, Pierre Bergounioux, Eugène Savitzkaya, Christophe Pradeau, Michel Jullien...
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Savitzkaya Eugène | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : eugène savitzkaya, À la cyprine, crevette, poisson, héron, corps | Facebook |
02/01/2019
Danielle Collobert, Dire II
la seule chose – recommencer encore – si possible – encore une fois des mots – l’équivalent d’une mort – ou le contraire même – ou peut-être rien
être ici – le calme – épuisant de tension – le monde autour qui ne s’arrête pas – mais pourrait s’arrêter – le souffle qui pourrait s’arrêter maintenant – un instant après l’autre – même égalité plane –même dureté froide – même goût fade et doux – supporter encore d’aller vers d’autres moments pareils – continuer seulement le souffle – la respiration – prolonger le regard – simplement
sans doute – une certaine confusion – auparavant – chaque événement détruit par lui-même – passant d’une chose à l’autre – revenant en arrière – avançant – imprévisible – dans un avenir imaginé – s’acccrochant autour de lui à toutes les rugosités – à tous les angles
Danielle Collobert, Dire II, dans Œuvres I, P. O. L., 2004, p. 211.
Corps là
noué
noué aux mots
l’étranglement du souffle
perte du sol
pendu
balancement à l’intérieur des mots – trouées –
vide
approche de la folie
peur continuelle de la fuite verticale
les mots en spirale fuyante – aspirée
sans prise
sans arrêt
tremblement
un cri
peur continuelle – absence de mots – gouffre
ouvert – descente – descente
mains accrochées au visage
toucher
corps là
résistance –
entendre encore le souffle – quelquepart
à l’instant savoir – souffle là
à l’écoute du bruit
affolement
tendu pour entendre
tendu pour résister
jusqu’à la limite – l’immobilité
sursaut
cassure
encore sombrer – descendre – ou aspiré au loin
– ou fatigue – désespoir
Danielle Collobert, Dire II, dans Œuvres I, P. O. L., 2004, p. 256-257.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : danielle collobert, dire ii, corps, recommencement | Facebook |