Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

01/01/2022

Georges Didi-Huberman, Imaginer recommencer, ce qui nous soulève 2

      Didi-Huberman.jpg

Dire il est temps, c’est tout autre chose que de dire on a le temps, par exemple. Celui qui croit pouvoir affirmer qu’il « a le temps », croit, en réalité, disposer du temps ou le posséder, l’« avoir » en quelque sorte, ce qui lui permettra toutes les manœuvres subjectives, toutes les procrastinations, tous les calculs, toutes les fuites, toutes les lâchetés politiques. Mais quand il est temps — et plus encore quand il est grand temps, façon d’« intensifier ou d’accentuer l’expérience de ce temps ci — nous ne disposons plus de rien, c’est plutôt le temps lui-même qui dispose de nous, nous entraîne dans son tourbillon et nous « possède », nous investit de sa force qui est souveraineté du  kairos, irruption ou éruption de l’urgence historique... La question demeurant de savoir, à chaque fois, quand et comment les subjectivités accordent leurs désirs, depuis le temps où ils se sont psychiquement formés pour comprendre, pour décider qu’il leur faut agir à temps, et donc se soulever maintenant ou jamais.

 

Georges Didi-Huberman, Imaginer recommencer, ce qui nous soulève 2, éditions de Minuit, 2021, p. 12.

31/12/2021

Armand Robin, Le monde d'une voix

Unknown-1.jpeg

                       Le choix

 

Dans l’ère de haine et de propagande

Je veux une surface aussi grande,

 

Je n’ai pas besoin de vent pour élargir mes gestes,

Je n’ai pas besoin d’écho pour ébruiter mes bruits,

 

C’est par leur vérité que mes mots seront énergie.

 

Je veux qu’on me soupçonne, qu’on me calomnie ;

Je veux sur moi le poids de toute tyrannie.

 

J’ai choisi, pour me bâtir, d’être partout détruit.

 

J’ai choisi de n’avoir pas de lit,

De n’avoir aucun sommeil dans aucune nuit...

 

Armand Robin, Le monde d’une voix, Gallimard, 1968, p. 50.

30/12/2021

Armand Robin, Le monde d'une voix

 

                  

Unknown.jpeg

                  L'étranger

Je ne suis qu’apparemment ici,

Loin de ces jours que je vous ai donnés

Est projetée ma vie.

 

Malhabile conquérant par mes cris gouverné,

Où vous m’apercevez je ne suis qu’un étranger,

Gestes d’amour partout éparpillés,

Je me fraye une voix isolée, désertée.

 

D’une science à l’autre j’ai pris terrier,

Lièvre apeuré scrutant sur lui braqué

Le fusil savant et sûr de la destinée.

 

Aucune terreur ne m’a manqué.

 

Armand Robin, Le monde d’une voix,

Gallimard, 1968, p. 25.

28/12/2021

Esther Tellermann, Éternité à coudre

Unknown-1.jpeg

C’est assez

soir désormais

     s’incline

dans l’orage lorsque

l’un l’autre

voulions

     Jérusalem.

Fournaise jusqu’aux

portes où s’inventent

les lettres

     de l’autre côté

qui vient et comble

le même ?

Je voulais que

     nous habillent

les aubes

nager jusques aux

         bords.

 

Esther Tellermann, Éternité à coudre,

éditions Unes, 2016, np

27/12/2021

Esther Tellermann, Sous votre nom

Unknown.jpeg

Peut-être j’avais

voulu défaire

les écueils dans la

     syllabe

voir où tu

     dors

Si étions le même

     arceau

même mèche

     de l’incendie `

à l’un l’autre

l’épuisement de la

     lumière ?

 

Voulus que corps

     ait hâte.

 

Esther Tellermann, Sous votre nom,

Poésie/Flammarion, 2015, p. 163.

26/12/2021

Esther Tellermann, Carnets à bruire

Unknown-1.jpeg

Quelle première

     fois

chaque fois

     reprise

irise la ligne

où se reflète

     l’incendie ?

Je voulais

resserrer

la déchirure

rouges      rouges

seraient les aubes

et les lampes

     vous adossé

aux écarts

de la lumière.

 

Esther Tellermaznn, Carnets à bruire,

La Lettre volée, 2014, p. 67.

25/12/2021

Esther Tellermann, Nous ne sommes jamais assez poète

Unknown-2.jpeg

                        La lettre brûle : Franz Kafka

 

(...) Tentative bien plus radicale que celle de Mallarmé qui voulut faire du livre un « fait-étant », celle de Kafka poursuit une tâche infinie sans passé ni avenir, missive de K. sans cesse reconduite vers un château improbable. L’arpenteur d’une langue d’accueil fera mission d’impossibles retrouvailles. Car la littérature est ce « rien » à quoi dans ce mystère l’écrivain se voue : château inatteignable, procès infini, machine infernale — à inscrire.

   Et c’est pourquoi le nom de Kafka ouvre à cette théologie négative du XXe siècle qui est encore la nôtre : se faire servant de la lettre, c’est savoir y être condamné. Dès lors mieux vaudrait la brûler, si toutefois sa marque indélébile n’étair la marque d’un nom – Kafka – qu’une vie ne suffit pas à défaire. Le travail de la herse de verre lisible au grand jour, inconscient écrit et restitué au corps d’une inscription sur un sujet qui, dans La Colonie pénitentiaire, s’y réduit.

 

Esther Tellermann, "La lettre brûle : Franz Kafka", dans Nous ne sommes jamais assez poète, La Lettre volée, 2014, p. 136.

24/12/2021

Esther Tellermann, Un versant l'autre

Unknown-3.jpeg

Partie de toi me

laisse

     l’autre encore

est étincelle

     d’un point

où pousse l’hibiscus

un jour écorché

miettes de paroles

comme neige

halos de lunes

et obsidiennes

en mots simples

voulions

     advenir

 

Esther Tellermann, Un versant l’autre,

Flammarion/Poésie, 2019, p. 69.

21/12/2021

Michel Leiris, Mots sans mémoire

          leiris.jpg

Bagatelles végétales

 

ADAGE DE  JADE :

 

   Apprendre à parier pour la pure apparence

   Idées, édits. Édifier, déifier.

   La manne des mânes tombe des tombes.

   L’âtre est un être, les chaises sont des choses.

   Le sang est la sente du temps. L’ivresse est le rêve

         de l’ivraie des viscères.

   Ne rien renier. Deviner le devenir.

   Pense au temps, aux taupes et à ton impotence pantin !

 

Affirmer, affermir, affermer.

Afrique sui fit ­ refit ­ et qui fera.

Aimer les mets des mots, méli-mélo de miel et de moelle.

 

ALERTE DE LAËRTE

   « Ophélie

   est folie

   et faux lys :

   aime-la »

 

Michel Leiris, Mots sans mémoire, Gallimard, 1970, p. 119.

20/12/2021

Sergueï Essenine, Journal d'un poète

Unknown.jpeg

Ne m’en veuillez pas, c’est ainsi !

Je ne barguignerai pas avec les mots :

elle est alourdie, affaissée,

ma jolie tête dorée.

 

Ne plus aimer la ville, ni mon village

comment le souffrirai-je ?

Je largue tout. Me laisse pousser la barbe.

Et je vais bourlinguer en Russie.

 

J’oublierai livres et poèmes,

j’irai le ballot sur l’épaule

— au noceur dans la steppe, on le sait,

le vent fait fête comme à nul autre.

 

Je puerai le raifort et l’oignon.

Et troublant la torpeur du soir

me moucherai bruyamment dans les doigts.

Partout je ferai l’idiot.

 

Je ne réclame d’autre bonheur

que de me perdre dans le blizzard ;

car sans ces extravagances

je ne puis vivre sur terre.

 

Sergueï Essenine, Journal d’un poète, traduction

Christiane Pighetti, éditions de la Différence, 2014, p. 91.

18/12/2021

Michel Leiris, Le ruban au cou d'Olympia

777-22.jpg

 

     

 

 

 

Qui ne crie qu’en silence mais qu’un rien, parfois, fait donner   de la voix.

Qui tâche de panser avec des mots sa plaie sans origine repérable.

Qui jamais ne met bas le masque, lui qu’a façonné la langue que d’autres ont façonnée.

Qui supporte la solitude avec peine mais n’est guère plus à l’aise en compagnie.

Qui se défie de ses dopings, alcool et café noir, car ils ne font mieux courir que son tourment.

Qui, du repas amical qu’il attendait comme une fête, revient généralement déçu, s’accusant lui le premier de n’avoir pas été à la hauteur.

Qui se voudrait en marge comme y appelle la poésie, mais tient à faire œuvre tant soit peu militante et, sans chercher plus loin, se réjouirait de subjuguer en racontant de belles histoires au lieu de se raconter.

Qui, pour se fuir, furète au fond de son moi.

(...)

Michel Leiris, Le ruban au cou d’Olympia, Gallimard, 1981, p. 254.

17/12/2021

Michel Leiris, Le ruban au cou d'Olympia

                            838_2._photo_leiris.jpg

À l’inverse d’Olympia nue, Nana corsetée et juponnée n’a auprès d’elle pour l’honorer ni domestique d’une autre race ni animal d’une autre espèce mais seulement — montré assis et de profil dans la partie droite du tableau — un bourgeois d’âge moyen à haut-de-forme, habit noir et plastron blanc, miché par qui la femme-objet semble jaugée tout comme l’œuvre elle-même le sera par l’amateur.

 

Olympia, Nana — nullement femmes fatales, mais fabricantes de plaisir comme il y a des gens qui fabriquent des armes et d’autres du chocolat.

 

Michel Leiris, Le ruban au cou d’Olympia, Gallimard, 1981, p. 259.

16/12/2021

Michel Leiris, Le ruban au cou d'Olympia

                              

111352666.jpg

 

Lumière  chaude.

Frôlement trouble.

 

Baiser de miel.

Bruit percutant.

 

Couteau mou.

Alcool dur.

 

Mélodie plate.

Accord chatoyants.

 

Pa    rfum pimenté.

Ha   rmonie fade.

 

Vue insipide.

Peinture savoureuse.

 

Goût râpeux.

Musique caressante.

 

Parler rocailleux.

Sonorité brillante.

 

Ton aigre.

Voix veloutée.

 

Couleur acide.

Chant sirupeux.

 

Michel Leiris, Le ruban au cou

 d’Olympia, Gallimard, 1981, 119-120.

15/12/2021

Olivier Apert, Le point de voir

                  AVT_Olivier-Apert_1820.jpeg

Veille 2

à table, l’assiette du Dr D est constamment vide , il s’en plaint et se lamente que la serveuse de la place François Jaumes ne le regarde pas. « je dois lui faire peur » dit-il en ricanant non sans fierté avant de chausser ses Ray-ban vintage. il ira s’en consoler devant la Mulata de Delacroix sans doute à cause des craquelures qui lézardent la toile. au pont d’Issenssac, l’un qui enjambait le parapet pour impressionner l’autre est encore mort.

Sommeil

(une partie de cartes à l’ombre d’un jardin luxuriant dans son abandon. Il est 1 heure du matin et le ciel est parfaitement bleu. Tapie dans un bosquet, une girafe dépose sa tête sur le sol, ouvre sa gueule à l’hippopotame en mastiquant un chat de chair & de plastique).

 

Olivier Apert, Le point de voir, éditions Lanskine, 2021, p. 10.

 

14/12/2021

Stacy Doris, Mue

2-2-12_StacyDoris.jpg

Je tombe car j’aime                      Si conscientiser

une crête est tout                          est mon ordinaire,

ce qui tue chez soi.                       motus prédis comble

Les pins lient ce qui                      moi d’autres possibles

ne salit. Tiens ma                         chaque aile affranchie.

main debout. L’espace                  La mite est réglisse

explicite il donne                           je la sauve, souple

à se battre et perdre,                      enquête de langue

 le « creux » me dévore

quand je vois ta danse.

 

Stacy Doris, Mue, P. O. L, traduction Pierre Alferi, 2021, p. 64-65.