30/05/2024
Franz Kafka, Journal
Je vais essayer de rassembler progressivement tout ce qu’il y a de douteux en moi, plus tard ce qui est plausible, ensuite le possible, etc. Il y a sans doute en moi un désir avide de livres. Non pas, en fait, les posséder ou les lire, mais bien plutôt les voir, me convaincre de leur existence dans la vitrine d’un libraire. S’il y a quelque part plusieurs exemplaires du même livre chacun d’entre eux me réjouit. C’est comme si ce désir provenait de l’estomac, comme si c’était un appétit qui s’égare. Les livres que je possède me réjouissent moi, par contre les livres de mes sœurs me font bien plaisir. Le besoin de les posséder est incomparablement plus faible, il manque presque.
Kafka, Journal, traduction Robert Kahn, éditions NOUS, 2020, p. 211-212.
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02/02/2024
Jean-Claude Pirotte, Revermont
rien de ce que je crois
posséder ne m’appartient
novembre touche à sa fin
longues nuits jours étroits
même les douleurs du corps
viennent d’ailleurs vont ailleurs
se déplacent avec les heures
pas de théâtre sans décor
la brume ainsi passe au loin
où sont d’étranges lueurs
comme des signaux de peur
dont personne n’est témoin
Jean-Claude Pirotte, Revermont,
Le temps qu’il fait, 2008, p. 73.
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03/06/2017
John Donne, Poésie : L'infini des amants
L’infini des amants
Si je n’ai pas encore tout ton amour,
Très chère, jamais je ne l’aurai entier ;
Pour t ‘émouvoir il ne me reste un seul soupir
Et je ne peux verser une larme de plus ;
J’ai dépensé ce qui aurait dû t’acheter,
Tout mon trésor : soupirs, serments, pleurs et lettres.
Et cependant il ne peut m’être dû
Plus que prévu dans le marché conclu ;
Si donc de ton amour tu me fis don partiel,
Le partageant entre moi-même et quelques autres,
Très chère, jamais je ne t’aurai entière.
Ou bien si tu me donnes tout alors,
Tout n’est que tout ce qu’alors tu avais ;
Mais si nouvel amour depuis lors dans ton cœur
Est né, ou bien naissait, créé par d’autres hommes
Dont le trésor intact leur permet d’enchérir
Sur moi en pleurs, soupirs, épîtres et serments,
Cet amour neuf suscité craintes nouvelles
Car il ne fut compris dans ton serment,
Et pourtant il l’est bien, car tu fis don de tout
Et si le sol, ton cœur, est mien, rien n’y croîtra,
Très chère, qui ne m’appartienne en entier.
John Donne, Poésie, traduction Robert Ellrodt, Imprimerie
Nationale, 1993, p. 147 et 149.
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14/11/2014
René Crevel, Le clavecin de Diderot
Amour divin et amour-propre
Des expressions de cette farine devenues monnaie courante, on s'imagine à la suite de quelles piètres pratiques l'amour a bien pu, dans l'idée que s'en font les hommes, se recroqueviller au point de prendre en béquille, de tels qualificatifs.
La rage possessive s'obstinait à voir, jusque dans la créature préférée une simple chose à prendre. Et certes, ppour que les affirmations : Tu es ma chose, je te possède et les acquiescements : Je suis ta chose, prends-moi, fussent devenus des cris réflexes de la jouissance, il fallait bien que l'inégalité eût été, une fois pour toutes, admise entre et par les éléments du couple. D'où notion d'un amour esclavage, lequel, avec ce qu'il sous-entend de remords de la part du maître-abuseur, de ressentiment de la part de l'esclave-abusée, devient vite amour-enfer. Alors, à nous les formules incandescentes :
Brûlé de plus de feux que je n'en allumais.
Malgré le ton haute époque, cet alexandrin pyrogène n'en sent pas moins le cochon grillé.
La communion que les êtres, entre eux, se défendent, apparaît à la lumière de leur désespoir délirant, une interdiction que seule peut lever, et pour des fins surnaturelles, la vertu d'un sacrement.
[...]
René Crevel, Le clavecin de Diderot, 1932, "Libertés 38", J. J. Pauvert éditeur, 1966, p. 64-65.
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