23/10/2024
Georg Trakl, Œuvres complètes
La nuit des pauvres
Il fait sombre
Et sourde ô martèle
La nuit à notre porte.
Un enfant chuchote : comme vous tremblez,
Si fort !
Mais plus bas nous nous inclinons,
Pauvres, et nous taisons
Et nous taisons, comme si nous n‘étions plus !
Georg Trakl, Œuvres complètes, traduction M. Petit
et J-C. Schneider, Gallimard, 1980, p. 318.
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22/10/2024
Georg Trakl, Œuvres complètes
Un soir
Le ciel au soir était voilé,
Et dans les bois emplis de silence et de deuil
Passait un frisson d’or sombre,
Des cloches du soir au loin se perdaient.
La terre a bu une eau glacée,
A l’orée de la forêt mourait un feu,
Le vent chantait doucement avec des voix d’ange
Et je tombai à genoux, frissonnant.
Dans la bruyère, dans le cresson amer,
Dehors, au loin, nageaient dans des flaques d’argent
Des nuages, des veilles d’amour abandonnées.
La lande était solitaire et immense.
Georg Trakl, Œuvres complètes, traduction M. Petit
et J-C. Schneider, Gallimard, 1980, p. 330.
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21/10/2024
Georg Trakt, Œuvres complètes
Les rats
La lune automnale brille blanche dans la cour.,
Du bord du toit tombent des ombres fantastiques,
Un mutisme habite les fenêtres vides ;
Alors montent sans bruit les rats
Qui courent furtivement de-ci de-là en sifflant,
Et les suivent avec leur odeur horrible
Les exhalaisons des latrines
Où tremble, fantomatique, le clair de lune,
Et ils couinent de désir comme affolés
Et envahissent maisons et granges
Pleines de grains et de fruits.
Des vents glacés gagnent dans l’obscurité.
Georg Trakl, Œuvres complètes, traduction M. Petit
et J-C. Schneider, Gallimard, 1980, p. 54.
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20/10/2024
Georg Trakl, Œuvres complètes
Déclin
Au-dessus de l’étang blanc
Les oiseaux sauvages ont émigré.
Au soir souffle de nos étoiles un vent glacial ;
Au-dessus de nos tombes
Se courbe le front brisé de la nuit,
Sous des chênes nous berce une barque d’argent.
Toujours sonnent les murs blancs de la ville,
Sous des voûtes de ronces.
Ô mon frère nous gravissons, aiguilles aveugles, vers le minuit.
Georg Trakl, Œuvres complètes, traduction M. Petit et
J-C. Shneider, Gallimard, 1980, p. 111.
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19/10/2024
Georg Trakl, Œuvres complètes
Métamorphose
Au long des jardins, automnaux, roussi :
Ici se montre en silence une vie experte,
Les mains de l’homme portent des sarments bruns,
Tandis que la souffrance douce s’abaisse dans le regard.
Au soir : des pas vont à travers la campagne noire,
Plus visible dans le mutisme des hêtres rouges.
Une bête bleue veut s’incliner devant la mort
Et un vêtement vide tombe, sinistre, en loques.
Un enfant calme joue devant l’auberge,
Un visage enivré s’est affaissé dans l’herbe.
Fruits de sureau, flûtes molles et ivres,
Odeur de réséda, qui baigne une présence féminine.
Georg Trakl, Œuvres complètes, traduction M. Petit et
J-C. Schneider, Gallimard, 1980, p. 43.
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17/10/2024
Max Ernst, Écritures
Le fugitif
Il a mieux aimé se noyer que de signer. Ils l’ont tous abandonné — leur confort, leur passé, leur bonheur, l’espoir. La corde qu’il emporte ne tient pas ses habituelles remorques. Sa poitrine lui servira d’oreiller, l’extrême douceur de son abandon l’éveillera. Le calme qu’il amasse se dépouille de mille brins de mousseline brûlée et des feuilles flottantes d’une plante gourmande. Les saluts des navires font éclore ses ornements naturels pour de futures combinaisons.
Toujours des points de vue et le minimum de moyens.
Max Ernst, Écritures, Gallimard, 1976, p. 113
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16/10/2024
Sanda Voïca, L'ère de santé
« Élaboration des poèmes » : je lis et j’entends :
labourer — la terre des mots,
des planches irrégulières de mon potager
ou des mottes de terre :
la même chose.
Mais qui laboure encore aujourd’hui ?
Et si oui — la Terre est vaste ! —
Quelle terre ?
Que labourer autre que la terre et les propos ?
Gros sillon
l’autre jour
que ma joie
voire la jouissance
a infligé/induit au monde
— à l’intermondes — !
Sillon large, charnel,
chair jaune et lumineuse,
palpitante,
plaie rendue d’un plaisir reçu.
Sillon où glisser,
avancer ou pas.
Marcher
dans mon extase.
(sans date)
Sanda Voïca, L’ère de santé,
Atelier rue du soleil, 2024, p. 35.
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15/10/2024
Sanda Voïca, L'ère de santé
S’auto-prier
L’index
appuyé sur mes lèvres
humides vibrantes
est sans pourquoi :
sous l’explosion de joie
il s’en-chair-e
encore plus.
Frotter le corps,
frotter la tombe
avec le même tissu
— rideau en dentelle —
jusqu’au blanc.
Une couleur
en profondeur
en hauteur
jusqu’au trou blanc :
l’harmonie a été dite.
Dimanche, le 1 mai 2022
Sanda Voïca, L’ère de santé, Atelier rue
du soleil, 2024, p. 1.
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13/10/2024
Ambrose Bierce, Épigrammes
Tant que vous avez un futur, ne vivez pas trop dans la contemplation de votre passé : à moins que vous n’aimiez marcher à reculons, le miroir est un piètre guide.
La vie est une petite tache de lumière. Nous entrons, serrons une ou deux mains, et retournons chacun de notre côté dans les ténèbres. Le mystère est infiniment pathétique et pittoresque.
La mort est la seule prospérité que nous ne désirons pas pour nous-même et qui ne nous est pas contraire chez autrui.
Dans l’enfance, nous attendons, dans la jeunesse nous exigeons, à ‘âge adulte nous espérons et dans la vieillesse nous implorons.
Si les femmes se connaissaient, le fait que les hommes ne les connaissent pas les flatteraient moins et les contenteraient davantage.
Ambrose Bierce, Épigrammes, traduction Thierry Gillybœuf, Alia, 2014, p. 53, 53, 55, 61, 61.
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12/10/2024
Ambrose Bierce, Épigrammes
Tout le monde est fou, mais celui qui sait analyser son illusion est appelé philosophe.
Le bonheur est perdu quand on le critique ; le chagrin, quand on l’accepte.
La vieillesse, avec ses yeux derrière la tête, pense que la sagesse, c’est de voir les marécages dans lesquels elle a pataugé.
Celui dont les mensonges ne trompent plus a perdu le droit de dire la vérité.
La langue d’un imbécile n’est pas si bruyante que le sage ne puisse entendre son oreille l’exhorter de se taire.
Ambrose Bierce, Épigrammes, Alia, 2014, p. 44, 47, 49, 50, 51.
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11/10/2024
Ambrose Bierce, Épigrammes
La seule distinction sue récompense la démocratie est un haut degré de conformité.
Quand tu te trouves parmi les tombes de tes semblables, marche avec circonspection : la tienne est ouverte à tes pieds.
L’amour est une attention détournée : de la contemplation d’un être on en vient à considérer son rêve.
Bien qu’on aime une douzaine de fois, le dernier amour n’en semble pas moins le premier. Celui qui dit avoir aimer deux fois n’a pas aimé une seule fois.
On peut se savoir laid, mais il n’existe pas de miroir pour le comprendre.
Ambrose Bierce, Épigrammes, Alia, 2014, p. 29, 30, 31, 36, 43.
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10/10/2024
Ambrose Bierce, Épigrammes
« Immoral » : tel est le jugement du bœuf dans son étable sur l’agneau qui gambade.
C’est vrai que l’homme ne connaît pas la femme. Mais la femme non plus.
L’amour est une charmante balade d’un jour. À la toute fin, embrassez votre compagnon et prenez congé de lui.
Si vous voulez lire un livre parfait, il n’y a qu’une seule solution : écrivez-le.
Nous sommes ce dont nous nous gaussons. La personne stupide est une pauvre farce, la personne intelligente une bonne farce.
Ambrose Bierce, Épigrammes, Arléa, 2014, p. 9, 9, 20, 21, 25.
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08/10/2024
Georg Christoph Lichtenberg, Aphorismes
Aller dans le monde est utile pour un écrivain, non seulement afin qu’il voie de nombreuses situations, mais pour qu’il les vive.
Une punition en rêve est à coup sûr une punition ; De l’utilité des rêves.
À tout instant : comment cela peut-il être amélioré ?
Se métamorphoser en bœuf, ce n’est pas encore se suicider.
Les professeurs d’université devraient prendre des enseignes comme les aubergistes.
Georg Christoph Lichtenberg, Aphorismes, traduction Marthe Robert, Denoël, 2020, p. 57, 71, 77, 80, 82.
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07/10/2024
Georg Christoph Lichtenberg, Aphorismes
Une préface pourrait être intitulée : paratonnerre.
C’est grand dommage qu’on ne puisse voir les intestins des écrivains pour en déduire ce qu’ils ont mangé.
L’art, si bien calculé aujourd’hui, de rendre les gens mécontents de leur sort.
Combien la Bible peut-elle avoir nourri de gens, commentateurs, imprimeurs et relieurs ?
Un long bonheur s’affaiblit par le fait même de sa durée.
Gorg Christoph Lichtenberg, Aphorismes, traduction Marthe Robert, Denoël, 1985, p. 39, 40, 43, 45, 49.
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04/10/2024
Jacques Réda, Les ruines de Paris
Une fois de plus c’est au coin de ce buffet de gare que je vais pleurer. Au moins les gens du quai d’en face peuvent croire que j’éternue. Ici je suis tout seul. Et je pleure de tout mon corps devant cette solitude, comme si quand même après des mois j’allais retrouver quelqu’un. C’était un autre soir, en octobre. Impossible de m’en empêcher mais ça ne durera pas. Je me demande ce qui dure. Je me le suis demandé pendant toutes ces heures d’autorail dans le Jura noir, ces correspondances sous la pluie, ces attentes dans des haltes aux pendules barrées d’une croix. Et me voilà de nouveau avec le saisissement de la réponse : il n’y a pas de mots ; rien que ce vide ténébreux qui n’est qu’un buffet de gare, la tête contre pour que de loin on suppose que je tousse ou que je rends. Peut-être.
Jacques Réda, Les ruines de Paris, Gallimard, 1978, p. 153.
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