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03/12/2023

Jacques Roubaud, La pluralité des mondes de Lewis

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                      Plénitude

 

tout ce qu’un monde pourrait être, n’importe quoi

est quelque part, en quelque façon.

plénitude des possibles, consistance.

n’importe quelle tête parlante, la mienne,

par exemple, contiguë à mon corps

et

pourquoi non

contre mon visage, le visage d’ange, le noir visage même,

mais toutes les places sont prises, tous les mondes

indisponibles

pour toi.

 

Jacques Roubaud, La pluralité des mondes de Lewis, Gallimard, 1991, p. 38.

01/12/2023

Louis Aragon, Le Roman inachevé

 

Les mots qui ne sont pas d’amour

 

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Il est inutile de geindre

Si l’on acquiert comme il convient

Le sentiment de n(‘être rien

Mais j’ai mis longtemps pour l’atteindre

 

On se refuse longuement

De n’être rien pour qui l’on aime

Pour autrui rien rien par soi-même

Ça vous prend on ne sait comment

 

On se met à mieux voir le monde

Et peu à peu ça monte en vous

Il fallait bien qu’on se l’avoue

Ne serait-ce qu’une seconde

 

Une seconde et pour la vie

Pour tout le temps qui vous demeure

Plus n’importe qu’on vive ou meure

Si vivre et mourir n’ont servi

 

Soudain la vapeur se renverse

Toi qui croyais faire la loi

Tout existe et bouge sans toi

Tes beaux nuages se dispersent

 

Louis Aragon, Le Roman inachevé, dans 

Œuvres poétiques complètes, II, édition dirigée par

Olivier Barbarant, Pléiade/Gallimard, 2007, p. 181-182.

30/11/2023

Louis Aragon, En étrange pays dans mon pays lui-même

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                        Marguerite

 

Ici repose un cœur en tout pareil au temps

Qui meurt à chaque instant de l’instant qui commence

Et qui se consumant de sa propre romance

Ne se tait que pour mieux entendre qu’il attend

 

Rien n’a pu l’apaiser jamais ce cœur battant

Qui n’a connu du ciel qu’une longue apparence

Et qui n’aura vécu sur la terre de France

Que juste assez pour croire au retour du printemps

 

Avait-elle épuisé l’eau pure des souffrances

Sommeil ou retrouvé des rêves de vingt ans

Qu’elle s’est endormie avec indifférence

 

Qu’elle ne m’attend plus et non plus ne m’entend

Lui murmurer les mots secrets de l’espérance

Ici repose enfin celle que j’aimais tant

 

Aragon, En étrange  pays dans mon pays lui-même, dans 

Œuvres poétiques complètes, I, édition dirigée par

Olivier Barbarant, Pléiade/Gallimard, 2007, p. 891.

29/11/2023

Louis Aragon, La Grande Gaîté

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Art poétique

 

On me demande avec insistance

Pourquoi de temps en temps je vais à

La ligne

 

C’est pour une raison

Véritablement indigne

D’être cou

Chée par écrit

 

 

Aragon, La Grande Gaîté, dans

Œuvres poétiques complètes, I, édition

dirigée par Olivier Barbarant,

Pléiade/Gallimard, 2007, p. 406.

28/11/2023

Louis Aragon, Le Paysan de Paris

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Je ne veux plus me retenir des erreurs de mes doigts, des erreurs de mes yeux. Je sais maintenant qu’elles ne sont pas que des pièges grossiers, mais de curieux chemins vers un but que rien ne peut me révéler qu’elles. À toute erreur des sens correspondent d’étranges fleurs de la raison. Admirables jardins des croyances absurdes, des pressentiments, des obsessions et des délires. Là prennent figure des dieux inconnus et changeants. Je contemplerai ces visages de plomb, ces chènevis de l’imagination. Dans ces châteaux de sable, que vous êtes belles, colonnes de fumées ! Des mythes nouveaux naissent sous chacun de nos pas. Là où l’homme a vécu commence la légende, là où il vit.

Aragon, Le Paysan de Paris, dans Œuvres poétiques complètes, I, édition dirigée par Olivier Barbarant, Pléiade/Gallimard, 2007, p. 149.

 

27/11/2023

Louis Aragon, Les Destinées de la poésie

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Le dernier des madrigaux

 

Permettez Madame

C’est grand liberté

Que je le proclame

Vous atteignez à la beauté

Ce n’est pas peu dire

Ce n’est pas pour rire

C’est même exactement

         Pour pleurer

 

Votre manière agaçante

De manier l’éventail

Vos airs de reine ou de servante

Vos dents d’émail

Vos silences pleins d’aveux

Vos jolis petits cheveux

Ce sont des raisons excellentes

Pour pleurer

 

Aragon, Les Destinées de la poésie, dans

Œuvres poétiques complètes, I, éditions dirigée

par Olivier Barbarant, Pléiade/Gallimard,

2007, p. 120-121.

26/11/2023

Luis Cernuda, La Réalité et le Désir

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Avec toi

 

Mon pays ?

Mon pays c’est toi.

 

Mon peuple ?

Mon peuple c’est toi

 

L’exil et la mort

pour moi sont

où tu n’es pas.

 

Et ma vie ?

Dis-moi, ma vie, qu’est-elle, sinon toi ?

 

Luis Cernuda, La Réalité et le Désir, traduction

Robert Marrast et Aline Schulman,

Gallimard, 1965, p. 145.

24/11/2023

Claude Royet-Journoud, Histoire du reflet

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une forme humaine

sans clarifier son objet

ou la noirceur du lieu

 

retire l’enfant d’une description

 

corps et voyelles ont beau faire

le réel est encore l’ombre

sous la chaise

 

par secousses par saccades se prépare

un cercle de respiration

 

le sol est froid

 

une accumulation d’outils

neutralise la figure

 

Claude Royet-Journoud, Histoire du reflet, dans

K.O.S.K.H.O.N.O.N.G.,n° 25, automne 2023, p. 7.

23/11/2023

Emily Dickinson, Du côté des mortels

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Je n’oserais pas quitter mon ami,

Au cas où — au cas où il devrait mourir

Pendant mon absence — et que — trop tard —

Je rejoigne le Cœur qui m’attendait —

 

Si je devais décevoir les yeux

Qui ont scruté — tant scruté — pour voir —

Et ne pouvaient se résoudre à se fermer avant

Qu’ils m’aient « aperçue » — ils m’ont aperçue —

 

Si je devais poignarder la foi patiente

Si sûre de ma venue —

Bien sûr je suis venue —

À l’écoute — à l’écoute ­— endormi —

En prononçant mon nom doucement —

 

Mon ©œur souhaiterait se briser avant ça —

Se briserait alors — alors brisé —

Serait aussi inutile que le prochain soleil du matin —

Là où le givre de minuit — s’étendait !

 

Emily Dickinson, Du côté des mortels, traduction

François Heusbourg, éditions Unes, 2023, p. 105.

22/11/2023

Emily Dickinson, Du côté des mortels

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Tu m’aimes — tu en es sûre —

Je n’ai pas à craindre de méprise —

Je ne me réveillerai pas trompée

Par un matin souriant —

Pour trouver l’Aube partie —

Et les Vergers — intouchés —

Et Dollie — envolée !

 

Je ne dois pas tressaillir — tu en es sûre —

Une telle nuit ne se produira jamais —

Quand apeurée — me précipitant chez Toi —

Pour trouver les fenêtres éteintes —

Et plus de Dollie — vraiment —

Plus du tout !

 

Sois sûre d’être sûre — tu sais —

Je le supporterais mieux maintenant —

Si tu me le disais simplement —

Plutôt qu’ensuite — un petit Baumier terne ayant poussé —

Sur cette douleur mienne —

Tu piques — encore !

 

Emily Dickinson, Du côté des mortels, poèmes

1860-1861, traduction François Heusbourg,

éditions Unes, 2023, p. 89.

 

20/11/2023

Emily Dickinson, Du côté des mortels

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Marcher pour toujours à Ses côtés —

La plus petite des deux !

Cerveau de Son Cerveau —

Sang de Son Sang —

Deux vies — Un Être — Désormais —

 

Partager Son Sort pour toujours —

En cas de chagrin — abandonner ma part

À ce Cœur bien-aimé —

 

La vie entière — pour connaître l’autre

Que nous ne pouvons jamais apprendre —

Et petit à petit — un Changement —

Appelé Paradis —

Voisinage d’humains en extase —

Découvrant alors — ce qui nous troublait —

Sans le lexique !

 

Emily Dickinson, Du côté des mortels, poèmes

1860-1861, traduction François Heusbourg,

Editions Unes, 2023, p. 133.

19/11/2023

Emily Dickinson, Du côté des mortels

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S’il n’avait pas de crayon

Emprunterait-il le mien —

Usé — là — émoussé — mon cher

De t’écrire tant.

S’il n’avait pas de mot —

Ferait-il la Pâquerette,

Presque aussi grande que je l’étais —

Quand il m’a cueillie ?

 

Emily Dickinson, Du côté des mortels (poèmes

1860-1861), traduction François Heusbourg,

Editons Unes, 2023, p. 57.

18/11/2023

Emily Dickinson, Du côté des mortels, poèmes 1860-1861

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Elle est morte en jouant —

Tournoyant tout le long

De son bail aux heures inachevées

Puis elle a glissé aussi gaiement qu’un Turc

Sue un Coussin de fleurs

 

Son fantôme flottait doucement sur la colline

Hier, et aujourd’hui —

Son vêtement une toison d’argent —

Son visage — un embrun —

 

Emily Dickinson, Du côté des mortels, poèmes

1860-1861,traduction François Heusbourg,

éditions Unes, 2023, p. 19.

17/11/2023

Étienne Paulin, Poèmes pour enfants seuls

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mais où s’égare le soleil

où part-il s’égayer

 

place de la Fraternité

sur de curieux bancs de très grands enfants jouent

ici le temps redouble

il fait nuit brune

j’ignore où commence

la rue que je recherche

 

oh le terrible

bruit de mon cœur

là dans la fosse de mon corps

incarcéré mais clair comme une gigue

 

Étienne Paulin, Poèmes pour enfants seuls,

Gallimard, 2023, p. 136.

16/11/2023

Étienne Paulin, Poèmes pour enfants seuls

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Il y aura partout

 

dans le spectaculaire ennui

dans ton visage à claire- voie

des brins dans la forêt

 

tu ne seras pas sourd, grand corps affamé d’ombre

tu prendras quelque chose

 

un peu de mer vidée

des cendres qui s’attroupent

 

tous les désordres simples à confondre

à redire

 

c’est comme un minerai la mort

une caresse des extrêmes

 

Étienne Paulin, Poèmes pour enfants seuls,

Gallimard, 2023, p. 44.