09/05/2024
Hélène Sanguinetti, Alparegho, Pareil-à-rien
C’est aujourd’hui grand jour !
Sauvages comme elles sont,
trois jeunes filles sont entrées, plus !
L’une l’autre se tenant sauvages par la robe,
le bas de la ——
avec des fleurs et des poissons,
qui s’entassent dans un coin,
mortes ou quoi ?
Puis d’autres aux chevilles de peintre,
avec des bracelets,
et elles défilent à la hâte,
puis renversées dans un coin,
elles se taisent toutes, oui.
C’est après la toilette de soir.
Longtemps après,
ça sent encore.
(…)
Hélène Sanguinetti, Alparegho, Pareil-à-rien,
Lurlure, 2024, p. 13.
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08/05/2024
Joseph Joubert, Carnets, I
Aux médiocres il faut des livres médiocres.
L’illusion est dans les sensations. L’erreur est dans les jugements. On peut à la fois connaître la vérité et jouir de l’illusion.
Évitez s’acheter un livre fermé.
Le penchant à la destruction est un des moyens employés pour la conservation du monde.
Joseph Joubert, Carnets, I, Gallimard, 1994, p. 172, 182, 183, 188.
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07/05/2024
Joseph Joubert, Carnets, I
Amour. Avec quel soin les Anciens évitaient tout ce qui pouvait en rappeler non les plaisirs mais du moins le mécanisme, le jeu.
La révolution a chassé de mon esprit le monde réel en me le rendant trop horrible.
Parler plus bas pour se faire mieux écouter d’un public sourd.
Si je m’appesantis, tout est perdu.
Joseph Joubert, Carnets, 1, Gallimard, 1994, p. 458, 458, 472, 477,
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06/05/2024
Joseph Joubert, Carnets, I
n
Une pensée est une chose aussi réelle qu’un boulet de canon.
Du malheureux besoin de se plaire à soi-même.
Tout critique de profession, homme médiocre par nature.
Nous sommes tous de vieux enfants plus ou moins graves, plus ou moins remplis de nous-mêmes.
Que penserez-vous des plaisirs quand vous ne les aimerez plus ?
Joseph Joubert, Carnets, I, Gallimard, 1994, p. 425, 429, 434, 436, 440.
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05/05/2024
Joseph Joubert, Carnets, II
7 mai 1754- 4 mai 1824
Le pouvoir est une beauté qui fait aimer aux femmes la vieillesse même.
Il n’y a plus aujourd’hui d’inimitiés irréconciliables parce qu’il n’y a plus de sentiments désintéressés.
— ces insupportables parleurs qui vous entretiennent toujours de ce qu’ils savent et ne vous entretiennent jamais de ce qu’ils pensent.
La poésie feint et par conséquent elle peint. Tout y est jeu d’une part, illusion de l’autre.
Joseph Joubert, Carnets, II, Gallimard, 1994, p. 317, 321, 325, 327.
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04/05/2024
Fleur Adcock, Poème qui se termine par une mort
Poème qui se termine par une mort
Ils laveront sur toi tous mes baisers, effaceront mes marques
et mes pleurs – je pleurais plus facilement
lors de cette folle vie toute pimentée – et les taches plus heureuses,
fines écailles de papier de soie... Il est merdique ce début
de pacotille, et faux en plus – toutes les traces de ce genre
tu les as toi-même poncées, il y a des années de cela
quand tu m’as renvoyé mes lettres, la semaine où j’ai épousé
ce singe anecdotique. Donc je recommence. Donc :
Ils ôteront les tubes, les goutte-à-goutte, les pansements
que je censure dans mes rêves. Ils ne manqueront pas ; c’est vrai,
de te laver ; et ils te déposeront dans une boîte.
Après quoi tout ce qu’ils pourront faire d’autre
n’aura pas d’importance. C’est ça, mon style laconique.
Tu le louais, tout comme je louais la complexité
de tes broderies perlées ; ces liens nous entrelaçaient,
mailles endroit, mailles envers tissées sur la charpente de l’univers...
Fleur Adcok, traduction de Bernard Brugière, dans Anthologie bilingue de la Biographie :poésie anglaise, Pléiade/Gallimard, 2001, p.1497.
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03/05/2024
James Sacré, Une fin d'après-mid à Marrakech
On sait que c’est la cuisine à cause des légumes et des fruits qui sont dans un carton ça fait un coin de couleurs comme quelqu’un qui montrerait d’un coup son cœur et son désir avec beaucoup de simplicité violente. Des piments rouges, des oranges. Le mot vivre dans la grisaille et le silence de cette maison pauvre, le silence. Un coin de cuisine, aussi bien l’endroit du marché dans l’ensemble en pisé couleur d’ocre et de pierre blanchie de la ville. Ou comme dans le haut d’un champ que les gens y travaillent longtemps : mon enfance y ramasse n’importe quelle récolte elle s’accumule en couleur vive tout à l’heure on chargera tout dans la charrette le reste du champ sera plus qu’une surface de terre ou de chaume on le voit mal de plus en plus petit dans le monde autrefois demain je suis content d’avoir tout d’un coup ce carton de légumes comme un sourire en désordre. Comme si j’aimais quelqu’un quand je regarde longtemps la couleur d’une orange, le sol défait, le mur longtemps.
James Sacré, Une fin d’après-midi à Marrakech, André Dimanche, 1988, p. 193.
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02/05/2024
James Sacré, Paysage au fusil (cœur) une fontaine
Oiseaux qui sont dans l’herbe en automne
Une caille est un geste
lancé dans le bleu un carré
de petit lotier (dessin
d’un village hangar et des tuiles
entre deux branches) geste lancé
par-dessus le buisson derrière
caillou tombé de la grande herbe
une ombre où dans le silence
bat son cœur d’ombre où ?
La perdrix elle pourrait être un bruit
dans ce poème (silence un automne et la
couleur des regains) si les mots...
rien qu’un motif
au bord de l’imagination : tache automne
orangé en (silence) d’un coq de roche — Brésil
ou braise en mon trou natal ; perdrix
rouge dans un regain (pas d’Amazonie) parlé
de plus en plus gris.
Une caille est tellement loin mais
presque sous mon pied (luzerne
en septembre le temps doré des
petits cailloux blancs) autrefois aujourd’hui
quelle trace : un poème aussi soudain (blanc
de la page rempli derrière la vitre un autre
espace en automne un arbre et des
petits mots noirs) aujourd’hui demain
quelle trace. Le mot caille est tellement
Loin. Poème comme un fusil.
[...]
James Sacré, Paysage au fusil (cœur) une fontaine, repris dans Les Mots longtemps, Qu’est-ce que le poème attend ?, Tarabuste, 2003, p. 81-82. Photo T. H., 2007
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01/05/2024
James Sacré, Une petite fille silencieuse
À côté des iris sans fleur
Je voudrais que tes joues
Brillent comme au loin, dans le souvenir que j’en ai,
La tuile un peu vieille d’une ou deux maisons seules
Au fond du mot Poitou,
Ou pareil que dans soudain la campagne américaine
Un grand manège où tu t’en vas, charpente en bois peinte roller-
Coaster sa construction savante et fine à travers les arbres...
On entend des cris, on entend
Le silence aussi.
Pendant toute une journée que le beau temps
A été là, quelle impatience quel genou tendre
Sur la pelouse qui dégèle !
Que faut-il oublier pour mieux t’aimer ?
(Pour qu’un poème soit un bas de robe légère
À ta jambe.)
Des petites filles qui t’ont connue sans doute
Ont dit le mot bonjour, de loin
Et comme en riant dans ce paysage où tu pourrais courir.
Un jour le monde avait ton sourire
En octobre en automne quel plaisir d’oublier
D’aimer le temps dans les saisons, le monde
Avait tes joues dans sa couleur,
Ta jambe griffée dans un buisson donne-
Moi la main, donne.
Mais tout s’incline comment dans ce poème,
Où va la jambe du temps ?
Et qu’est-ce qui saigne ?
[...]
James Sacré, Une petite fille silencieuse, André Dimanche, 2001, p. 39-41. Photo T. H, 2007.
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29/04/2024
Franz Kafka, Lettres à Felice, II
Chacun se hisse à sa manière hors du souterrain, moi je me hisse grâce à la littérature. C’est pourquoi, si je dois me maintenir en haut, je ne puis le faire qu’à l’aide de la littérature, et non pas à l’aide de repos et de sommeil. J’obtiendrais plutôt le repos par la littérature que la littérature par le repos.
Franz Kafka, Lettres à Felice, II, traduction Marthe Robert, Gallimard, 1972, p. 681.
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28/04/2024
Franz Kafka, Lettres à Felice, II
Pour écrire j’ai besoin de vivre à l’écart, non pas « comme un ermite », ce ne serait pas assez, mais comme un mort. Écrire en ce sens, c’est dormir d’un sommeil plus profond, donc être mort, et de même qu’on ne peut pas arracher un mort au tombeau, de même on ne peut pas m’arracher à ma table de travail dans la nuit. Ce n’est pas directement lié à mes rapports avec les gens, il se trouve simplement que je ne puis écrire, et vivre par conséquent, que de cette façon systématique, continue, stricte. (...) Depuis toujours j’ai eu peur des gens, non pas des gens eux-mêmes à proprement parler, mais de leur intrusion dans mon être débile, voir ceux auxquels j’étais le plus lié pénétrer dans ma chambre m’a toujours causé de l’effroi, c’était plus que le pur symbole de cette peur.
Franz Kafka, Lettre à Felice, II, traduction Marthe Robert, Gallimard, 1990, p. 470.
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Franz Kafka, Lettres à Felice, II
Pour écrire j’ai besoin de vivre à l’écart, non pas « comme un ermite », ce ne serait pas assez, mais comme un mort. Écrire en ce sens, c’est dormir d’un sommeil plus profond, donc être mort, et de même qu’on ne peut pas arracher un mort au tombeau, de même on ne peut pas m’arracher à ma table de travail dans la nuit. Ce n’est pas directement lié à mes rapports avec les gens, il se trouve simplement que je ne puis écrire, et vivre par conséquent, que de cette façon systématique, continue, stricte. (...) Depuis toujours j’ai eu peur des gens, non pas des gens eux-mêmes à proprement parler, mais de leur intrusion dans mon être débile, voir ceux auxquels j’étais le plus lié pénétrer dans ma chambre m’a toujours causé de l’effroi, c’était plus que le pur symbole de cette peur.
Franz Kafka, Lettre à Felice, II, traduction Marthe Robert, Gallimard, 1990, p. 470.
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Franz Kafka, Lettres à Felice, II
Pour écrire j’ai besoin de vivre à l’écart, non pas « comme un ermite », ce ne serait pas assez, mais comme un mort. Écrire en ce sens, c’est dormir d’un sommeil plus profond, donc être mort, et de même qu’on ne peut pas arracher un mort au tombeau, de même on ne peut pas m’arracher à ma table de travail dans la nuit. Ce n’est pas directement lié à mes rapports avec les gens, il se trouve simplement que je ne puis écrire, et vivre par conséquent, que de cette façon systématique, continue, stricte. (...) Depuis toujours j’ai eu peur des gens, non pas des gens eux-mêmes à proprement parler, mais de leur intrusion dans mon être débile, voir ceux auxquels j’étais le plus lié pénétrer dans ma chambre m’a toujours causé de l’effroi, c’était plus que le pur symbole de cette peur.
Franz Kafka, Lettre à Felice, II, traduction Marthe Robert, Gallimard, 1990, p. 470.
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27/04/2024
Franz Kafka, Lettres à Felice
(...) Je répugne absolument à parler. Du reste ce que je dis est faux à mon sens. A mes yeux la parole ôte à tout ce que je dis importance et sérieux. Il me semble qu’il ne peut en être autrement, étant donné que mille choses et mille pressions extérieures ne cessent d’influencer le discours. Je suis donc taciturne par nécessité, mais aussi par conviction. L’écriture est la seule forme d’expression qui me convienne.
Franz Kafka, Lettres à Felice, II, traduction Marthe Robert, Gallimard, 1972, p. 511.
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25/04/2024
Pascal Quignard, Petits traités, III
Supposé que l’espoir nous prenne de compenser le peu de nécessité que nous trouvons dans les choses du monde et dans l’ordre désordonné de la nature en écrivant des livres, l’ordre que nous imposons à ce que nous écrivons n’aboutit jamais à élever le livre au niveau du réel, au statut d’une région où le phantasme, le symbole, le sens soient enfin arrachés. Au contraire. Tout l’artifice que nous introduisons à cette fin s’accroît au fur et à masure que nous lisons, fait hyperboliquement retour, et l’existence d’un livre nous apparaît à chaque fois particulière, disproportionnée, chétive, risible, infiniment touchante. Tout l’ordre et l’intention et la maîtrise et la beauté s’effondrent infiniment à tout instant dans l’absence de nécessité de tout livre. Nul n’est jamais contraint de faire un livre. Même les dieux des religions révélées. Et infiniment ils nous semblent vains.
Pascal Quignard, Petits traités, III, Maeght, 1990, p. 78-79.
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