25/02/2025
Gerard Manley Hopkins, Reliquiæ Vers Proses Dessins
Paraître l’étranger
Paraître l’étranger, tel est mon lot, ma vie
Parmi des étrangers. Père et mère chéris,
Frères er sœurs, sont dans le Christ non proches
Et Lui ma paix, mon désunir, glaive et discord.
L’Angleterre, ô mon cœur en quiert l’honneur ! épouse
De mon premier créant, ne m’écouterait pas
Si je plaidais, ni ne plaidè-je : combien las-
sé d’être là, oisif, où les guerres abondent.
Me voici en Irlande à présent : c’est ma tierce
Éloigne. Non qu’à chaque éloigne je ne donne
Et ne reçoive amour. Mais à toute parole
De mon cœur le plus sage, ou le ban confondant
Du ciel noir, ou l’enfer, met barre. Ce garder
Inouï, ou ouï sans plus, me laisse à zéro, seul.
Gerard Manley Hopkins, Reliquiæ Vers Proses Dessins
réunis et traduits par Pierre Leyris, éditions du Seuil, 1957, p. 115.
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24/02/2025
Dino Campana, Chants orphiques
La chimère
Je ne sais si entre des rochers ton pâle
Visage m’apparut, ou si un sourire
De lointains ignorés
Tu fus, baissé le front
D’ivoire éblouissant ou une jeune
Sœur de la Joconde :
Ou des printemps défunts
Pour tes pâleurs mythiques
La Reine ou la Reine adolescente :
Mais pour ton poème ignoré
De douleur et de volupté
Musique jeune fille exsangue,
Marqué de lignes de sang
Dans le cercle des lèvres sinueuses,
Reine de la mélodie :
Mais pour ta vierge tête
Penchée, moi poète nocturne
J’ai veillé les vives étoiles dans les prairies du ciel,
Moi pour ton doux mystère,
Moi pour ta démarche taciturne.
Je ne sais si des cheveux la pâle
Flamme fut la marque
Vivante de sa pâleur,
Je ne sais si ce fut une douce vapeur,
Douce sur ma douleur,
Sourire d’un visage nocturne :
Je regarde les rochers blancs les sources muettes des vents
Et l’immobilité des firmaments
Et les ruisseaux gonflés qui vont pleurant
Et les ombres du travail humain penchées sur les margelles souffrantes
Et toujours dans de tendres cieux des lointaines claires ombres courantes
Et toujours je t'appelle je t’appelle Chimère.
Dino Campana, Chants orphiques, édition bilingue, introduction de Maria Luisa Spaziani, postface et traduction de l’italien de Michel Sager, Seghers, 1977, p. 46-47.
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23/02/2025
Jean Tortel, Relations
On n’est pas heureux
Sous l’azur fragile.
En ce jardin je sais je ne sais quoi.
Les feuilles sont un peu plus larges,
Un peu moins vertes que leur nom.
L’azur enfante l’ombre
(Le fruit de sa pourriture).
La terre aborde son silence
Qui l’attendait.
Jean Tortel, Phrases pour un orage, III,
dans Relations, Gallimard, 1968, p. 31.
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22/02/2025
Joyce Mansour, Carré blanc
Du doux repos
Prends vire une plume
Écris
Je volerai je volerai
L’orbite de la lune sauvage
Les grêles sanglots des vagues
Venues de l’autre rive
Vagues vaguelettes bandelettes et babillage
Écris
Roule entre mes bras
Ainsi qu’un caillou entre le ciel et le fond
D’un puits
Le sable sauvegarde de l’aveugle
Sur le parchemin de sa nuit
Prends vite du papier
Écris
Suis-moi entre les plates-bandes
Tranchées béquilles épines
Écoute
Les confidences de la rose
Mâchées hachées anodines
Joyce Mansour, Carré blanc, éditions Le Soleil noir, 1961, p. 121.
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21/02/2025
Pierre Reverdy, La Guitare endormie
La vie fragile
Plus loin entre la plante grasse et le rideau
Dresser l'échelle
Les formes qui remuent dans le fond du jardin sont blanches
d'autres noires
Selon le mouvement brutal du réflecteur
Les maillots des arbres sont roses
Mais au premier plan une main tient la clef du cœur
Un couple ailé marche dans des couleurs qui changent
Celui qui vole bas c'est l'homme
Celui qui va à pied c'est l'ange
Les yeux luttent dans la lumière
La lampe fraîche du matin
Un fil cassé descend derrière
La tête nue s'incline et barre le chemin
Tout le reste est recouvert de feuilles mortes
Quant au ciel il s'ouvre par le fond et de côté mais en triangle
Pierre Reverdy, La Guitare endormie. [1919], dans Œuvres complètes I, "Mille&unepages", Flammarion, 2010, p. 262.
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20/02/2025
Sylvia Plath, Arbres d'hiver
Ces poèmes ne vivent pas : c’est un triste diagnostic.
Ils ont pourtant bien poussé leurs doigts et leurs orteils,
Leur petit front bombé par la concentration. S’il ne leur a pas été donné d’aller et venir comme des humains
Ce ne fut pas du tout faute d’amour maternel.
Ô je ne peux comprendre ce qui leur est arrivé !
Rien ne leur manque, ils sont correctement constitués. Ils se tiennent si sagement dans le liquide formique !
Ils sourient, sourient, sourient, sourient de moi.
Et pourtant les poumons ne veulent pas se remplir ni le cœur s’animer.
Ils ne sont pas des porcs, ils ne sont pas même des poissons,
Bien qu’ils aient un air de porc et de poisson —
Ce serait mieux s’ils étaient vivants, et ils l’étaient.
Mais ils sont morts, et leur mère presque morte d’affolement,
Et ils écarquillent bêtement les yeux, et ne parlent pas d’elle.
.
Sylvia Plath, Arbres d’hiver, précédé de La Traversée, édition bilingue, présentation de Sylvie Doizelet, traduction de Françoise Morvan et Valérie Rouzeau, Poésie/Gallimard, 1999, p. . 89
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19/02/2025
Malcom Lowry, Pour l'amour de mourir
Le passé
Comme une vieille échelle pourrie
Qu’on a jetée d’une scierie désaffectée
Et qui flotte, émergeant seulement par le haut,
Tandis que, tout imprégné d’eau, le reste baigne,
Rongé par les tarets, encroûté de bernacles
Et de moules accrochées en papillotes bleues ;
Puante, alourdie d’algues et de ces curieux êtres
Qui vivent de la mort et de la marée basse,
Route vermiculée, en proie à l’helminthiase :
Telle est ma conscience.
De temps en temps, je la sèche au soleil,
Je l’appuie (contre rien du tout,
Puisqu’elle ne monte nulle part) ;
Mais je la garde, on ne sait jamais, ça peut servir.
Qui sait si elle n’est pas récupérable,
Si on ne pourrait pas la radouber un peu ?
Et chaque nuit sans raison ma cervelle
Monte et descend les barreaux de l’échelle.
Malcom Lowry, Pour l’amour de mourir, traduction de J.-M. Lucchioni, préface de Bernard Noël, éditions de La Différence, 1976, p. 97.
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17/02/2025
Philippe Beck, Abstraite et plaisantine
La grotte au filet aérien
témoigne d’inscription des liens sur la parole
qui ressemble à celui qui l’a prononcée.
Scellée, indépendante née
de la séquence des mains premières,
comme Caverne Platonique
encore esclave de passé continu ?
Chaque animal en liaison, et côtoiement
peint. Éclair gelé d’un temps
d’adhésion au Simple Jardin ? Non.
Nous en sommes là : Porte et Boyau.
Nous y entrons en bottes sèches.
Philippe Beck, Abstraite et plaisantine,
Le Bruit du temps, 2025, p. 99.
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16/02/2025
Philippe Beck, Abstraite et plaisantine
Les enfants n’écoutent pas et regardent.
Ils s’élèvent par l’immobile place au soleil
où chante l’imposture ? Non.
Dans le détour de l’action,
les mouvements sont les arts internes,
usant les transmetteurs-brouilleurs `
parallèles aux bruits qui font peur. Comment dire
les fermoirs et les toiles ? En fixant
les idées chantournées, le type de bonheur,
la marche des gris-vêtus, la dangereuse,
la badine, la moissonneuse, petit-deuil, roseaux,
culbute : le Grand Nié du Fumoir.
Philippe Beck, Abstraite et plaisantine,
Le Bruit du temps, 2025, p. 62.
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15/02/2025
Philippe Beck, Abstraite et plaisantine
Hiver dur, l’air captive
les paroles saisissantes. ?
Elles font des livres de vaine cuisine
Printemps rouvre la glace
et repique les volontés de l’eau
dans les trente-six âmes promenées.
Unités Dispersées rêvent de châtaignes
au brasier, de l’éclat grossier
de la peur. Pantagruel et Panurge
sont sur un bateau. Le premier
donne parole comme acte d’amour.
Le second est plein de sons à l’envers.
Philippe Beck, Abstraite et plaisantine,
Le Bruit du temps, 2025, p. 25.
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14/02/2025
Philippe Beck, Abstraite et plaisantine
10 décembre 1942, Alfred,
imposant la musique d’un pays
né comme tous et devenu,
hante la facilité en fantôme
de milice et entoure la poésie dite
abstraite et plaisantine césure aérienne.
Abstraite et plaisantine
contre fantôme terrien, elle qui analyse
les fines composantes du monde,
et capable de deuil accéléré
ou d’homme lent, opposé à l’accent
gravé au cœur passé dans l’Usine.
Philippe Beck, Abstraite et plaisantine,
Le Bruitdu temps ;2025, p.11.
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13/02/2025
Jules Supervielle, Les Amis inconnus
Figures
Je bats comme des cartes
Malgré moi des visages
Et, tous ils me sont chers.
Parfois l’un tombe à terre
Et j’ai beau le chercher
La carte a disparu.
Je n’en sais rien de plus.
C’était un beau visage
Pourtant que j’aimais bien.
Je bats les autres cartes.
L’inquiet de ma chambre,
Je veux dire mon cœur,
Continue à brûler.
Mais non pour cette carte,
Qu’une autre a remplacée ;
C’est un nouveau visage,
Le jeu reste complet
Mais toujours souple.
C’est tout ce que je sais,
Nul n’en sait davantage.
Jules Supervielle, Les Amis inconnus,
dans Œuvres poétiques complètes,
Pléiade/Gallimard, 1996, p. 305.
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12/02/2025
Jules Supervielle, Le Forçat innocent
Petite, petite, que veux-tu ?
Est-ce une petite morte
Qui se cache là derrière ?
Non, elle est vivante
Et voilà qu’elle sourit
De manière rassurante.
Un visage entre deux portes,
Un visage entre deux rues,
Plus qu’il n’en faut pour un homme
Fuyant son propre inconnu.
Jules Supervielle, Le Forçat innocent, dans
Œuvres poétiques complètes, Pléiade /
Gallimard, 1996, p. 253.
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11/02/2025
Jules Supervielle, Le Forçat innocent
Grands yeux dans ce visage,
Qui vous a placée là ?
De quel vaisseau sans mâts
Êtes-vous l’équipage ?
Depuis quel abordage
Attendez-vous ainsi
Ouverte toute la nuit ?
Feux noirs d’un bastingage
Étonnés mais soumis
À la loi des orages.
Prisonnier des mirages
Quand sonnera minuit
Baissez un peu les cils
Pour reprendre courage.
Jules Supervielle,Le Forçat innocent,
Dans Œuvres poétiques complètes,
Pléiade/Gallimard, 1996, p. 241.
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10/02/2025
Jules Supervielle, Œuvres poétiques complètes
Mouvement
Ce cheval qui tourna la tête
Vit ce que nul n’a jamais vu
Puis il continua de paître
À l’ombre des eucalyptus.
Ce n’était ni homme ni arbre
Ce n’était pas une jument
Ni même un souvenir de vent
Qui s’exerçait sur du feuillage.
C’était ce qu’un autre cheval,
Vingt mille siècles avant lui,
Ayant soudain tourné la tête
Aperçut à cette heure-ci
Et ce que nul ne reverra,
Homme, cheval, poisson, insecte,
Jusqu’à ce que le sol ne soit
Que le reste d’une statue
Sans bras, sans jambe et sans tête.
Jules Supervielle, Gravitations, dans
Œuvres poétiques complètes,Pléiade / Gallimard,
1996, p. 173.
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