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16/03/2018

Reinhard Priessnitz, 44 poèmes

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premier jet d’un projet

 

glisser perturbé dans la chaleur

patiner confus vers l’équarri

flotter affolé vers l’agenouillé

 

le bourdon harcèle l’après-fête

amortir l’achevé contaminé

refouler des douleurs incongrues

 

gicler tremblant sur le rivé

parsemer terrifié le pompé

débouler étonne l’ déjà donné

 

fendre bluffé sur l’ancré

dériver pâle dans l’immergé

asperger frissonnant le méconnu

 

Reinhard Priessnitz, 44 poèmes, traduction

Alain Jadot, préface Christian Prigent,

NOUS, 2015, p. 135.

15/03/2018

Francis Ponge, L'Atelier contemporain

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Braque

 

[…] Lorsqu’on entre dans l’atelier de Braque, c’est vraiment, qu’on m’en croie, comme chez un de ces mécaniciens de village, auxquels bien des automobilistes ont eu à faire, qui s’en sont généralement bien trouvés.

   Plusieurs voitures déjà sont au fond, immobiles pour l’instant encore. L’homme va posément de l’une à l’autre, selon l’urgence et le bon emploi de son temps.

   Il ne s’agit, bien évidemment, ni de virtuosité, ni de délectation. Il ne s’agit que de les remettre en route, avec les moyens du bord, souvent réduits.

   C’est alors qu’un esprit inventif se montre, inventif mais rien moins que maniaque et sans nulle inclination au système. Jamais il ne s’agit que de cas d’espèce. Et tout, bien sûr, commence à chaque fois par une émotion. Mais aussitôt… « J’aime, dit Braque dès 1917, la règle qui corrige l’émotion. »

 

Francis Ponge, L’Atelier contemporain, dans Œuvres complètes, II, Pléiade / Gallimard, 2002, p. 587.

14/03/2018

Ceija Sojka, Nous vivons cachés, Récits d'une Romni à travers le siècle

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[Les camps]

 

J’en rêve tout le temps. Des barbelés, des gémissements, des cris des gens. Des cauchemars. […] Parfois, quand j’ouvre les yeux le matin, mon Dieu, j’ai encore l’odeur des crémations dans le nez. Oui, les rêves, ils viennent tout seuls, sans rien faire, et on ne peut pas les balayer comme ça : j’ai juste rêvé. Je l'ai vraiment vécu, moi, et avec une peur bleue, chaque jour. Chaque jour là-dedans, c’était comme un an, chaque heure durait une éternité. Souvent on se demandait : où sont les gens tout autour ? Est-ce que l’Autriche, elle n’existe plus ? il n’y a plus que nous, et tout le reste, ça n’existe plus ?

Et aussi après 1945, c’était très dur. On a échappé et maintenant tu arrives dans la ville, avec des gens qui ne savent rien de tout ça. Cette personne ne sait même pas ce que je ressens, ce que j’ai enduré, où j’étais. C’est pas facile. Mais il faut quand même se mettre debout, sinon tu dépéris, il faut quand même vivre. Donc il faut faire face à la vérité. Ça a eu lieu. Dieu soit loué, tu as encore tes pieds, tes mains, tu sais penser. Et — on travaille, on vit, on fait ce qu’on a à faire chaque jour ; Auschwitz ou Ravensbrück ou Bergen-Belsen, c’est toujours là.

 

Ceija Stojka, Nous vivons cachés, Récits d’une Romni à travers le siècle, isabelle sauvage, 2018, p. 181.

13/03/2018

Joseph Joubert, Carnets, I

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On aime qu’une fois, disent les chansons : c’est-à-dire qu’il n’y a qu’un seul âge qui soit véritablement propre à l’amour.

 

Entendez-vous ceux qui se taisent ?

 

Par le souvenir, on remonte le temps, par l’oubli on en suit le cours.

 

Nous sommes, dans le monde, ce que sont les mots dans un livre. Chaque génération en est comme une ligne, une phrase.

 

C’est ici le désert. Dans ce silence, tout me parle : et dans votre bruit tout se tait.

 

Joseph Joubert, Carnets, I, Gallimard, 1994, p. 110, 130, 135, 139, 155.

 

 

                           Le retour

 

Joseph Joubert, Carnets, I, aimer, souvenir, oubli, mot, désert

12/03/2018

Jean Daive, 1, 2, de la série non aperçue

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Mort jusqu’au cri poussé

dans la matière

si je regarde

parmi les meubles

du jugement

la tombe externe.

 

Jean Daive, 1, 2, de la série non

aperçue, textes/Flammarion,

1976, p. 63.

11/03/2018

Rose Ausländer, Pays maternel

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Seule

 

Je vis solitaire

Avec le chant

 

Mes questions

Demeurent toutes inachevées

 

Le cel répond

Non

Oui

 

Je ne sais

Où la fin commence

Et le début s’achève

 

Rose Ausländer, Pays maternel, traduction

Edmond Verroul, Héeos-Limite, 2015, p. 18.

10/03/2018

Marina Tsevetaeva, La diable et autres récits

 

                                  marina tsvétaeva,le diable et autres récits,musicienne,ondine,larme

                                      Ma mère et la musique

 

     Lorsqu'au lieu d'Alexandre, le fils désiré, réclamé, presque commandé au destin, vint au monde une fille, moi, rien que moi, ma mère avala un soupir avec dignité et dit : « Du moins, elle sera musicienne ». Et lorsque le premier mot manifestement absurde mais tout à fait distinct que je prononçais avant d'avoir un an fut "gamme", ma mère se contenta de réaffirmer : « je le savais bien » et entreprit aussitôt de m'apprendre la musique, me clamant sans cesse cette gamme : « Do, Moussia, et ça c'est ré, do-ré... ». Ce do-ré se transforma bientôt pour moi en un livre énorme, la moitié de ma propre taille, un "rivre" comme je disais alors, son "rivre" à elle, avec un couvercle sous le mauve duquel l'or perçait avec une force si effroyable, que jusqu'à présent j'en ressens en un coin secret, le coin d'ondine de mon cœur, la chaleur et l'effroi, comme si, ayant fondu, cet or sombre se fut déposé tout au fond de mon cœur et que de là, il s'élevât au moindre contact pour m'inonder tout entière jusqu'au bord des paupières et m'arracher des larmes brûlantes.

 

Marina Tsvétaeva, Le diable et autres récits, traduction et postface de Véronique Lossky, L'âge d'homme, 1979, p. 65.

09/03/2018

Christophe Manon, Au nord du futur

 

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Nous n’étions rien qui

pourrait dire le sol fumant les neiges écarlates l’air

ocreux ni tout à fait serein l’odeur

noire des rêves éparpillés doucement nos mains

doucement frôlaient les hémisphères et aucun temps aucun

nom volontaires aux silences si étroits comme si

les murs les muscles les

syllabes comme si nous avions soudain choisi

quel froid circule dans les vertèbres quelle

lumière soudain branlante où nous marchions plus vieux et pourtant et de vies

si nombreuses éphémères et pourtant pourtant si bien dressés les uns

contre les autres reste

que nous prenions nos rires pour de l’acide de minces filets

d’orgueil à nos squelettes

pendus.

 

Christophe Manon, Au nord du futur, NOUS, 2016, p. 11.

08/03/2018

Paul de Roux, Les intermittences du jour, Carnets 1984-1985

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   Hier, dimanche, la foule tout au long des rivages, se pressant sur les plages. Je ne saisis pas du tout pourquoi elle me blesse à ce point, la nature de la blessure. Je ressens l’ébranlement (je le ressens encore ce matin). Je me suis demandé si à toutes les raisons qui viennent à l’esprit ne s’ajoute pas une explication d’ordre simplement biologique. Dans la nature, la foule est un monstre, un non-sens. Elle n’est pas viable. (Ou alors c’est la nature telle quelle qui n’est plus viable : il y a incompatibilité entre les deux économies. À dire vrai, il n’y a pas d’économie possible de la foule dans la nature — d’où ce malaise « biologique ». La foule ne peut être qu’urbaine.)

 

Paul de Roux, L’es intermittences du jour, Carnets 1984-1985, Le temps qu’il fait, 1989, p. 53.

07/03/2018

Valérie Rouzeau, Quand je me deux

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                         Carotte

 

C’est toto biographique l’âne dans essentiellement

Ça dit je parce que c’est ainsi quand tu parles

Que longtemps tut ‘es couché de bonne heure longtemps

Tu es le ténébreux le veuf l’inconsolé

Tu inventas la couleur des voyelles l’i rouge

Et tu penses donc tu es et puis voici ton cœur

 

Plein de larmes il ne faut pas secouer

Tu accuses dans l(Aurore tu as fait un grand rêve

Très haut amour s’il se peut que tu meures

Toi délaissé comme le vent te révèle

Tu devras t’expliquer avec les étoiles oui

Tes oreilles elles sont bien à toi

 

Puis tes chiffres ne sont pas faux

Tu écrivais dans un grenier où la neige…

Demain dès l’aube demain tu partiras

Tu te souviens

Tu entendis sonner les trompettes d’artillerie

Tu commences ton très triste dit

 

Pour avancer sans potager je me tire

La carotte ce sont les vers du nez

C’est toto biographique l’âne dans l’enraciné

Pissent mes feuilles ne pas trop faner

 

Valérie Rouzeau, Quand je me deux, Le temps qu’il fait, 2009, p. 92-93.

 

 

Annonce d'une revue amie

            

                                                      La Revue Nu(e)


 

Fondée par Béatrice Bonhomme et Hervé Bosio en 1994, la revue NU(e) a publié 66 numéros sur la poésie contemporaine. Chaque numéro, véritable dossier de recherche consacré à un poète particulier, comprend un entretien, des textes de création inédits, des articles critiques, des interventions plastiques et une bibliographie exhaustive. La couverture de la revue a été dessinée par la plasticienne Sonia Guerin.

 
La revue NU(e) frappe d’abord par ses couleurs (le bleu de la méditerranée qui s’est ensuite décliné dans les couleurs de l’arc-en-ciel) et par son titre qui marque une volonté d'aller vers la nudité, le dénuement, le dépouillement. Le (e) permet aussi de souligner la présence trop souvent négligée de la femme dans la poésie contemporaine. NU(e) est également l'anagramme de une, à la fois singularité et convergence. C’est ainsi que NU(e) défend une parole de liberté contre toute caste, cénacle, chapelle, obédience, mot d'ordre. Elle refuse de limiter la poésie à des débats dépassés. NU(e) veut lutter contre le sectarisme pour accueillir la différence, les diversités. Elle voudrait faire entendre une polyphonie plutôt qu'une polyphobie, des résultats d'écriture plutôt que des diktats théoriques, des chocs de styles plutôt qu'un ton unanime. NU(e) est parole laissée aux « mineurs » et minoritaires de la poésie, mais inversement occasion, pour les « grands auteurs », de s’exprimer en confiance. La revue a ainsi créé un style qui permet, d’un numéro à l’autre, au fur et à mesure, de faire apparaître un véritable panorama de la poésie contemporaine, et cela sans exclusion, dans un souci de partage. Elle recueille ainsi des approches différentes qu’elle fait se croiser, se rencontrer, se mêler, se tutoyer, passant d’une voix à l’autre, dans une volonté de décloisonnement. Son rôle d’ouverture permet qu’elle soit présente dans une relation à d’autres cultures et à d’autres langues. Elle est donc un lieu de fertilité, un lieu d’expérimentation, un lieu de découverte, et participe à la lisibilité d’auteurs connus ou non.

Accordant également une place importante aux arts plastiques et travaillant en collaboration avec des peintres, des graveurs ou des photographes, NU(e) possède une vocation de découverte et joue le rôle d’un laboratoire. Elle constitue un lieu d’artisanat et d’amitié, au sens où l’entend Blanchot, c’est-à-dire « rapport sans dépendance » où entre « toute la simplicité de la vie ». Cette amitié passe par la « reconnaissance de l’étrangeté commune », selon « le mouvement de l’entente ». S’en remettant à Kenneth White : « Éduquez-vous en nudité. Orphée était nu sur une pierre », NU(e) souhaite marquer sa volonté d’aller vers la nudité, vers l’essentiel, tout en privilégiant une sobriété exigeante.

 

Après 24 ans de publication papier, la revue souhaite passer au numérique pour être encore plus accessible en proposant gratuitement les nouveaux numéros qui paraîtront désormais en ligne. Florence Trocmé, ayant accepté de l’accueillir  sur son site, NU(e) continuera, sous cette nouvelle forme à paraître 3 fois par an.

La liste des anciens numéros, ainsi que tous les sommaires et quelques extraits, resteront accessibles sur le site de la revue NU(e) : revue-nue.org. Les numéros papier toujours disponibles  pourront être commandés sur paypal ou par courrier à l’adresse de la Revue, 29 avenue Primerose, Nice 06000.

06/03/2018

Christian Prigent, Merde pour ce mot

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                          Merde pour ce mot par Christian Prigent

 

 Journal, 2 mars 2018

 

L’Humanité est mon journal, j’ai dit ailleurs pourquoi. Cet amour, parfois, est déçu. Hier : pages « poésie » (le Printemps s’amène, des becs gorgés de vers vont cuicuiter dans les librairies, centres d’art, théâtres, maisons de poésies…). Fronton : « La poésie ? Un arc-en-ciel qui se lève à minuit ». Ça commence fort. Plus fort : « Muse, sa parole ailée déchire la nuit, la lumière filtre ». Toujours les cieux de convention, les yeux blancs, les mollets lyriques cambrés, « le cœur à l’écoute », le moi qui bave, le « chant du désir », la « fraîcheur du vent », maman Nature mon adorée, la chatouille sous les bras rhétoriques pour des exaltations sur-jouées. A côté, puisqu’il faut aussi au « Poète » (grand pet) « séquestrer les jougs contraires », les déplorations rituelles sur les espaces médiatiques « dramatiquement rétrécis », la misère marginalisée de la corporation (mais sa dignité dans ces déboires).

Où est le pire ? dans l’insignifiance paresseuse du poète chroniqué ? dans la logorrhée abrutie du chroniqueur (un « poète », lui aussi, forcément) ? En tout cas, dans le fourmillant petit monde poétique, rien n’a changé. Toujours les mêmes ignorances, les faiblesses de pensée, les narcissismes artistes, les formes abandonnées aux enchaînements réflexes, aux lieux communs, aux pires clichés, aux vieilleries métaphoriques recyclées sans scrupule. Le mot même de « poésie » s’étire là-dedans comme un chewing-gum mille fois remastiqué, délavé de tout goût, avec des petites bulles d’œuf peinturluré comme effet voulu bœuf. « Merde » pour lui, comme disait Ponge, s’il ne nomme que ça.

Que le Printemps des Poètes se nourrisse de ces déjections du temps est dans l’ordre des choses et n’a pas d’importance. Mais que L’Huma célèbre ces niaiseries réactionnaires me navre.

Texte publié sur Sitaudis le 5 mars 2018.

 

 

 

05/03/2018

Martial, Épigrammes

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XII, 95

 

Tu peux lire des livres olé-olé,

Mais que ta nana soit à tes côtés,

     Pour que tu n’ailles fleureter

     Avec la Veuve Poignet

     Et que tu ne deviennes, infâme,

         Un mari sans femme !

 

Martial, Épigrammes, choisie et adaptées

du latin par Dominique Noguez, Arléa,

2006, p. 141.

 

Musée, en ses livres obscènes,

Rivalise avec ceux que lisait Sybaris

Tant ses pages de sel sont pleines.

Rufus, si tu lis ses écrits

Tout fragrants de saveur traîtresse,

Prends auprès de toi ta maîtresse,

Pour que ta vicieuse main,

Déshonorant le dieu d’Hymen

Par quelque trahison infâme,

Ne te fasse mari sans femme.

 

Martial, Épigrammes, traduction Jean Malaplate,

Poésie / Gallimard, 1992, p. 165.

 

Lis des bouquins surexcitants

Au sel cochon superbandant.

Mais prends bien soin que ta copine

Soit avec toi dessous la couette.

T’astique pas tout seul la pine :

Ce serait Poignet sans Poignette.

 

Martial, DCL épigrammes, recyclées par

Christian Prigent, P.O.L, 2014, p. 221-222.

 

Musseti pathicissimus libellos,

qui certant Sybariticis libellis,

et tinctas sale pruriente chartas

Instant lege Rufe ; sed puella

sit tecum tua, ne thalassionem

indiças manibus libidinosis

et fias sine femina maritus.

04/03/2018

Alberto Giacometti, Écrits

 

                                   alberto giacometti,Écrits,gris,brun,noir (georges braque),jardin

Gris, brun, noir (Georges Braque)

 

   Gris, brun, noir, feuilles, sables, vases : les grandes fleurs jaunes qui me regardent. Je me vois au milieu des tableaux, les regardant l’un et l’autre, passant du vase à la plage, au blé, à la bicyclette brillante, l’humidité du pré derrière les deux troncs d’arbres au bord de la route. Je sens l’asphalte, la poussière, l’étendue du pré et de la forêt, je suis sur la route passant à côté de cette bicyclette comme abandonnée dans le paysage et puis le banc sous les arbres à l’ombre fraiche. Je vois tout le jardin, je suis dans le jardin, j’entends les pas sur le gravier, les voix des autres qui sont là avec moi, qui vont et viennent, et, là-bas, il y a ce banc dans l’ombre fraiche qui m’attire.

   Je regarde les fleurs. Il y a de vraies fleurs à côté du tableau, elles se ressemblent.

 

Alberto Giacometti, Écrits, Hermann, 1990, p. 68.

03/03/2018

Max Ernst, Écritures

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la paix

            la guerre

                              et la rose

 

la paix : source fraiche et amère

la guerre : le général rit sous cape

                  au nez du pape

la rose : nulle rose ne pleure virginité.

 

 

Laicité

 

Ne pas confondre

le baiser de la fée

avec

la fessée de l’abbé.

 

Max Ernst, Écritures, Gallimard, 1970, p. 373-374.

 

02/03/2018

Pierre Chappuis, Dans la lumière sourde de ce jardin

                    pierre chappuis,dans la lumière sourde de ce jardin,déversoir du temps,bruits

 

                      Déversoir du temps

 

Orgues, non : ressassement brut.

 

Gravier, cailloux, sable s’engouffrant dans l’oreille — hoquetant, leur tri à longueur de journée —, délestés par une machinerie géanye, indifférente, indomptable.

 

Brinquebale ; éructe.

 

D’être secoué, véhiculé au gré de multiples stéréoducs, passé au crible, le jour lui-même se décolore, réduit en une poussière grise, en un brouhaha — des ribambelles de grincements, chuintements raclements de gorge venus se perdre dans un brouillage ininterrompu.

 

Tel, glossolalie harassante (" ce vrombissement démesuré qui n’a pas de début et n’aura pas de fin"), tel ce que crachent dans le vide plans inclinés et entonnoirs s’entrecroisant dans le ciel.

 

 

Déversoir du temps qui, sans relâche, inintelligiblement, l’émiette.

 

Pierre Chappuis, Dans la lumière sourde de ce jardin, Corti, 2016, p. 9-10.