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09/04/2018

Ceija Stojka, Nous vivons cachés, Récits d'une Romni à travers le siècle : recension

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   Les Roms ne sont généralement pas bien considérés en France — ne parlons pas de leur sort, par exemple, en Hongrie —, sauf s’ils sont musiciens comme, aujourd’hui, Biréli Lagrène (mais oui ! on aime la musique manouche !) ou, hier, Georges Cziffra (ah bon, c’était un Rom ?). Ceija Stoika vivait en Autriche quand son père a été arrêté, en 1941, et assassiné par les nazis à Dachau ; ensuite, ses grands-parents subirent le même sort, et il y eut un répit : elle et toute la famille ont été déportées à Auschwitz. Elle avait 11 ans.

S ., bien longtemps après, a pris la plume et raconté, s’il est possible de « raconter » ce qu’est un lieu d’extermination : « J’en rêve toute le temps. Des barbelés, des gémissements, des cris des gens », disait-elle dans un entretien en 1987. Ce qu’elle rapporte, sans doute l’a-t-on déjà lu dans d’autres témoignages mais, outre que les écrits des rescapés de la communauté romani sont rares, il est nécessaire que ces temps où des hommes en détruisaient d’autres au nom d’une imaginaire pureté raciale ne soient pas oubliés.

   Ce qui doit rester en mémoire, c’est que le rejet de ceux qui étaient différents — des nomades comme les Roms, ou des Juifs — conduisaient à élever des poux à typhus dans des couvertures, à jeter des hommes et des femmes vivants dans des puits emplis d’huile et à y mettre le feu quand les crématoires ne suffisaient plus à les brûler, à affamer les déportés, à plonger l’hiver dans l’eau glacée une femme pour la punir de ne pas marcher assez vite. Etc. Et C. S . rapporte que les femmes SS ne le cédaient en rien aux hommes pour la cruauté.

   Après Auschwitz et Ravensbrück, C. S. et sa mère ont connu Bergen-Belsen, où les morts, tant ils étaient nombreux, étaient laissés en tas à côté des baraques. Les déportés durent creuser de longues fosses, selon les SS pour qu’ils disposent de latrines, mais les déportés surent au moment de la libération du camp qu’elles devaient être leur tombeau. Les Anglais les libèrent en avril 1945, s’occupent des rescapés qui, après un repos nécessaire, retournent par leurs propres moyens chez eux. C. S. et sa mère retrouvent Vienne et, rapidement, une des filles, puis les deux garçons les rejoignent. Une autre vie commence.

S. n’a pas alors quatorze ans et elle apprend à mieux lire et à écrire le temps passé à la ville ; ensuite, c’est le long temps du voyage en roulotte. Retenons quelques épisodes de leur vie qui éclairent sur la manière dont, très souvent, étaient perçus les Roms. Une fermière leur donne un poussin, qui vit en bonne entente avec les chevaux mais qui provoque régulièrement les questions des gendarmes, au point qu’une fois C. S. doit retourner à la ferme pour avoir un "certificat de naissance". Lorsqu’elle a eu besoin d’une carte d’identité, le fonctionnaire lui fait « très bien sentir toute la haine qu’il avait pour » elle. Enfin, sur un marché, la mère de Ceija, alors qu’elle vendait des tapis, un homme ayant vu son tatouage de déportée lui cracha qu’Hitler n’en avait pas assez supprimé. À l’inverse, la famille est chaleureusement reçue dans des fermes l’hiver ; alors, « deux mondes différents se rencontraient, celui de la Romni voyageuse et celui de la femme enracinée » et ces deux mondes s’acceptent sans difficulté.

   Les changements dans la société conduisent C. S., comme d’autres Roms, à abandonner la vie en roulotte et à s’établir à Vienne. Beaucoup plus tard, au début des années 1980, elle entreprend de raconter ses expériences, d’abord sur des bouts de papier ; Karin Berger, qui recueille des témoignages de femmes sorties des camps nazis, la rencontre et l’encourage, conduit des entretiens (deux sont présents dans ce livre), écrit ensuite sa biographie et tourne deux documentaires avec elle (Ceija Sojka, portrait d’une Romni a été diffusé sur Arte). Parallèlement, C. S. dessine et peint — une partie de ses œuvres a été exposée à Paris. Ce besoin de laisser des traces des années terribles de l’enfance, de peindre est lié à la nécessité, comme elle le dit dans un entretien, « de sortir au dehors » : « nous devons nous ouvrir sinon un jour, il peut arriver que tous les Roms disparaissent dans un trou ». On ne saurait mieux dire.

   Le livre est accompagné de photographies, de C. S. et de sa famille. Sabine Macher avait traduit, pour le même éditeur, Je rêve que je vis ? Libérée de Bergen-Belsen (2016) et elle restitue avec bonheur la précision et la simplicité de l’écriture de C. S. Un livre à introduire dans toutes les bibliothèques publiques et scolaires.

 

Ceija Stojka, Nous vivons cachés, Récits d’une Romni à travers le siècle, traduction de l’allemand Sabine Macher, isabelle sauvage, 2018, 296 p. 27 €. Cette recension a été publiée sur Sitaudis le 21 mars 2018.

 

 

 

 

 

14/03/2018

Ceija Sojka, Nous vivons cachés, Récits d'une Romni à travers le siècle

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[Les camps]

 

J’en rêve tout le temps. Des barbelés, des gémissements, des cris des gens. Des cauchemars. […] Parfois, quand j’ouvre les yeux le matin, mon Dieu, j’ai encore l’odeur des crémations dans le nez. Oui, les rêves, ils viennent tout seuls, sans rien faire, et on ne peut pas les balayer comme ça : j’ai juste rêvé. Je l'ai vraiment vécu, moi, et avec une peur bleue, chaque jour. Chaque jour là-dedans, c’était comme un an, chaque heure durait une éternité. Souvent on se demandait : où sont les gens tout autour ? Est-ce que l’Autriche, elle n’existe plus ? il n’y a plus que nous, et tout le reste, ça n’existe plus ?

Et aussi après 1945, c’était très dur. On a échappé et maintenant tu arrives dans la ville, avec des gens qui ne savent rien de tout ça. Cette personne ne sait même pas ce que je ressens, ce que j’ai enduré, où j’étais. C’est pas facile. Mais il faut quand même se mettre debout, sinon tu dépéris, il faut quand même vivre. Donc il faut faire face à la vérité. Ça a eu lieu. Dieu soit loué, tu as encore tes pieds, tes mains, tu sais penser. Et — on travaille, on vit, on fait ce qu’on a à faire chaque jour ; Auschwitz ou Ravensbrück ou Bergen-Belsen, c’est toujours là.

 

Ceija Stojka, Nous vivons cachés, Récits d’une Romni à travers le siècle, isabelle sauvage, 2018, p. 181.