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11/06/2019

John Taylor, Le dernier cerisier

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(…)

tout s’élève ou chute

de la matière à la matière

sauf la matière la plus essentielle

que tu as devinée

que tu devines

être en perpétuelle création

 

non pas de la matière

 

mais nos vies

montent

doivent descendre

 

un filet d’eau par terre

ou parmi les pierres

 

ou est-ce  de l’eau de pluie

 

s’égouttant sur d’anciens chemins

pour nourrir le cerisier

que tu imagines tout en bas de la pente

à la fin

et au commencement

 

où que tu  sois

est ton pays natal

 

aucun cerisier ne s’y trouve

puis il y en a un

 

il s’élève dans ton esprit

sur cette feuille de papier

sur cette page

 

John Taylor, Le dernier cerisier, traduction

Françoise Daviet-Taylor, aquarelles

Caroline François-Rubino, Voix d’encre,

2019, np.

12/03/2018

Jean Daive, 1, 2, de la série non aperçue

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Mort jusqu’au cri poussé

dans la matière

si je regarde

parmi les meubles

du jugement

la tombe externe.

 

Jean Daive, 1, 2, de la série non

aperçue, textes/Flammarion,

1976, p. 63.

29/03/2017

Bernard Noël, Des formes d'elle

 

                      

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Des formes d’elle

 

           I

 

vivre dis-tu

               c’est la venue

d’un mystère il s’empare

de nous tu vois cette ombre

sur le corps

                 tu vois

ce fantôme en dessous

la matière a besoin

de matière

                 ce besoin

est notre infini

                       ma langue

touche en toi une serrure

intime

                 tu fais de moi

un moi par-dessus les morts

par-delà les vivants

 

Bernard Noël, Des formes d’elle, dans

Les Plumes d’Éros, Œuvres I, P.O.L,

2010, p. 279.

09/03/2016

Charles Pennequin, Les Exozomes

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                                            la fiancée

 

c’est d’ailleurs par ces mots que je suis entré en matière. j’avais peu de choses à avancer mais je tenais tout l’auditoire. personne ne pouvait deviner que je n’avais rien dans mon jeu. je bluffais l‘assistance avec une métaphore d’achille talon. s’ensuivirent quelques distributions de taloches verbales à l’égard de quelques comparses égarés dans nos conversations. ce fut un moment où je semblais briller de mille feux. à moins que ce ne soit que quelques braises. Les gens semblaient en prendre pour leur grade. ils aiment bien se faire traiter les gens. déjà les traiter de gens, c’est une bonne entrée en matière. on devrait d’ailleurs les traiter de matière. t’aurais pas vu matière ? passe-moi le sel matière ! à quelle heure va encore se pointer matière ? qu’est-ce qu’i fout matière à rentrer à pas d’heure ! matière me porte sur les nerfs en ce moment. matière me court sur le haricot ! matière est pas fier de lui ces temps-ci. matière et machin-truc font bonne figure à c’qui paraît. y a matière qui passe à la télé ! matière est numéro un au hit-parade... tout serait matière à discussion et tout irait de soi.

 

Charles Pennequin, Les Exosomes, P. O. L, 2016, p. 13-14.

25/03/2015

Jean-Claude Schneider, La Peinture et son Ombre

 

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L’épaisseur du réel, peintures de Nicolas de Staël

 

[...]

   D’autres peintures se vouent à l’expression de l’espace ou de la lumière ou des vibrations de couleurs, celle de Nicolas de Staël, d’emblée, veut dire l’épaisseur de la matière. Elle, matière, dont ma vue subit la brutalité lorsque l’obstrue ce chaos qui ne me parle pas encore. Masses opaques. Scellées. Ternes et mates. Où le densité croit avec la profondeur. Une infinité de gris. De murs. Pénétrant leur substance, j’habiterai ce mutisme, y décèlerai des assonances avec mes contradictions, mes apories, devinant qu’elles répètent les doutes, mes atermoiements. C’est cela qui affleure dans les toiles alors retenues par le peintre : un accord avec le monde dans lequel il se sent englué, et qu’au visage fermé des apparences répondent les traits illisibles de chorégraphies intérieures. Les titres énoncent l’âpreté de la tâche : la vie est dure, les portes n’ont pas de porte, contre le mur et l’horizon se brise l’élan des lames ; pour approcher le monde clos comme la prison de Piranèse qu’évoque une des toiles les chemins dénoncent leurs entraves. Tout : compact, confus, impénétrable. La lumière même est obstacle, l’air a pris corps. Les vides se comblent, non d’ajours, mais d’opacité. Il faut, pour traduire la nuit des fonds, saturer les tons les plus sombres, et qu’ils diffèrent à peine tant ils ont absorbé la moindre respiration, éteint toute vibration moins sourde. On n’irait pas, s’y enfonçant, traversant, vers le jour, mais vers plus de ténèbres encore. Graduée du plus dense au moins ténu, la pigmentation, de la teneur de l’ombre, énumère dans ces Compositions — ô la chimie des cémentations, la tectonique des intrications — la même abondance de textures, de chairs, que les natures mortes des primitifs hollandais. Les complexes charpentes qui étayent et tendent les peintures des années 47-49 morcellent et multiplient l’espace, y creusent un labyrinthe obscur et profond, citerne aux colonnes brisées ou voûtées, aux anfractuosités dérobées, enchevêtrées. C’est l’intérieur d’un corps.

[...]

 

Jean-Claude Schneider, La Peinture et son Ombre, "L’Atelier contemporain", éditions François-Marie Deyrolle, 2015, 208 p., p. 66-67.