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31/01/2019

Michel Collot, Le parti-pris des lieux : recension

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Connaisseur de la poésie moderne et contemporaine, Michel Collot a beaucoup écrit à propos du paysage*Le parti pris des lieux rassemble pour l’essentiel des poèmes en prose à propos de paysages ’’naturels »’’, puis de paysages urbains ; suivent une série de rêves et des poèmes écrits après une résidence à Charleville. Les dernières séquences constituent une ouverture, réflexions sur l’architecture grecque et sur des peintures de paysages. Ajoutons que, d’un bout à l’autre, l’écriture des paysages est souvent moyen de définir ce qu’est pour lui la poésie.

Les paysages, vus directement ou réinventés grâce aux tableaux, sont des espaces explorés de diverses manières et liés au temps, ‘’lieu mémoire’’. Deux courts avant textes annoncent ces caractéristiques, j’en extrais la première phrase : « La parole poétique est celle qui se porte vers l’autre rive, comme un pont » et « Remonter le cours du sang, se tourner vers les zones les plus intimes pour agrandir le domaine public ». Ce qu’apprennent les proses données autobiographiques, c’est l’absence pour Michel Collot d’ancrage dans un paysage pendant l’enfance, contrairement à celui qui, né dans un village de Bourgogne ou des Landes, apprécie d’en dire les charmes ; il a vécu dans cette absence de lieu qu’est toute banlieue, loin de la Champagne paternelle et du Vaucluse maternel : « n’étant nulle part », il devint capable d’une « adhésion fugitive » à un lieu jusqu’alors inconnu, chaque fois que « le temps d’un instant, se nouait un certain accord entre moi et le monde, entre le ciel et la terre, entre la nature et les hommes. » C’est ensuite par l’écriture qu’il invente ses propres paysages.

L’inconnu ne devrait jamais être inquiétant, il apparaît plutôt comme une chance puisqu’il oblige chaque fois à « faire l’épreuve de [notre] relation intime avec le monde » et, ce faisant, à reconnaître notre « appartenance au monde ». L’écriture du paysage, à partir de ces prémices, abandonne l’idée commune du lyrisme comme expression du moi : il est ici « expression du sujet hors de soi qui explore son propre inconnu à travers l’étrangeté du monde et des mots ». Ce sont des fragments de cette exploration qui sont proposés, les paysages les moins aimables pouvant être appréciés. Ainsi, on sait que « la mondialisation habille le globe de teintes uniformes », cependant rien n’empêche de voir la ville autrement que grise et de la réinventer à partir des matériaux disponibles devant soi. Un exemple : Michel Collot, assis un soir d’hiver dans un abribus, voit sur l’immeuble en face de lui la mention d’une pension de famille et il commence à « imaginer la vie des pensionnaires », puis il découvre dans les vitres d’une fenêtre ouverte « un paysage inaperçu », enfin une jeune fille à sa fenêtre le fait rêver — jusqu’au moment où l’autobus arrive. Ce poème récit illustre la manière dont peuvent se révéler autres les choses du monde.

Il faut évidemment prêter une attention particulière à ce qui nous entoure pour comprendre, non qu’il y a des choses cachées dans le quotidien mais plutôt qu’à tout moment peut naître une émotion, que l’imagination s’empare aisément d’un détail. Alors, le lieu et le temps se transforment, parfois de manière inattendue : ainsi, « au bord du précipice (…) on plonge dans les entrailles de la terre » et, entre les murettes, on s’égare dans un « dédale de couloirs » vers quelle issue ? « le vide », et l’on se dit, en l’espérant et en le craignant : « Le Minotaure nous y attend » — avant à nouveau de marcher sur un sentier plus avenant. Un autre ’’lieu’’ privilégié — espace et temps s’y confondent — est le sommeil, grâce auquel le narrateur « plonge dans la nuit des temps, descend au fond de la grotte obscure des sensations. » La paroi où la cordée progresse est aussi mouvement vers l’inconnu et la plus petite erreur peut conduire à la chute, alors « une main se tend, une voix répond », « L’échange est renoué », la chute écartée. Il est donc des lieux dangereux qui, par leur nature même, peuvent conduire à la disparition. Dans les poèmes de Michel Collot, le vide est toujours proche : celui des cauchemars n’est dissipé que par le jour, qui aide à « échapper à l’abîme du sommeil et à la masse obscure des rêves. » Le vide est également présent dans la vie de chaque jour, ainsi la jeune femme qui a fait rêver le narrateur « s’appuy[ait] sur le garde-corps », et lui-même prend garde à vérifier, lorsqu’il se trouve à un étage élevé, qu’un appui à une fenêtre le préservera de la chute ; dans un rêve, il voit une « rambarde très basse » et, rapporte-t-il, « je crains de tomber ».

 

Il faut sans cesse ouvrir les yeux pour voir ce qui échappe au premier regard pour lequel tout est indistinct, et comprendre progressivement que toujours un « rayon (…) perce à jour toutes choses (…) : les voici de nouveau visibles, et rendues à leur part d’invisible. » Ainsi la poésie : beaucoup « de mots éculés, sans cesse remâchés pour retrouver enfin par la grâce d’une image la saveur de la langue. » Cette exploration des lieux est sans cesse révélation, des « ramifications secrètes » de la paroi rocheuse au surgissement de la rivière un temps partie dans « l’épaisseur obscure » de la terre. Ainsi de la poésie : « la ligne devient sens, le sens prend la tangente — tangent à l’infini ».

 

Michel Collot, Le parti-pris des lieux, La Lettre volée, 2018, 128 p., 19 €.Cette note de lecture a été publiée par Sitaudis le 28 décembre 2018.

 

 

 

 

30/01/2019

Hilda Doolittle, Pour l'amour de Freud

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22 mars 1933

 

Je me sens vieille. Quand j’ai parlé au Professeur [Freud] d’un de mes admirateurs, beaucoup plus jeune que moi, qui avait flirté avec moi et m’avait doucement « courtisée », le Professeur a dit : « Était seulement il y a deux ans ? », comme si à mon âge (quarante-six ans) j’avais dépassé depuis longtemps cette sorte de badinage. Mais je me rappelais le roman Vagadu [de Pierre Jean Jouve] que le docteur Sachs nous avait donné à lire. Si je me souviens bien, la femme dans ce livre commençait son annalyse à quarante-six ans… et à cet âge elle était profondément engagée dans différentes expériences ou expérimentations amoureuses. Mais c’était un roman français. À Vienne, aussi, tout se développe différemment. Le Professeur parut surpris quand je lui dis que mon premier grave conflit amoureux sérieux, ma première rencontre, eut lieu avec Ezra [Pound] quand j’avais dix-neuf ans. Il a dit alors : « Dix-neuf ans, si tard que cela ? ». C’est peut-être quelque maniérisme technique, ou façon de parler.

 

Hilda Doolittle, Pour l’amour de Freud, traduction Nicole Casanova, des femmes, 2010, p. 234.

28/01/2019

Alexandre Mare, Écorces

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les monts de Sancy, les scories

la ligne d’eau du cratère

le paysage suspendu, nous haletons

flotte volcan

 

il fait froid

c’est l'été partout

ailleurs. Il y a tellement de

mouches, nous avons dû en avaler

 

quelques-unes ont déposé leurs larves

dans les entrailles

à l’automne, la bouche ouverte

c’est l’irruption

 

elles me rappellent à ton souvenir

au volcan éteint, au cratère

dans lequel se reflète

ce même gris que le ciel

 

Alexandre Mare, "Écorces", dans L’étrangère, n° 47-48, p. 92.

Jacques Josse, Au célibataire retour des champs

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la mère, soixante ans,

lit froid, vie rêche,

lance, remorque, pleine,

son tracteur dans les ornières.

Fonce vers les silos.

Écrase herbes folles,

fougères, digitales.

Demande au cheval mort

qui tire depuis toujours dans sa mémoire

     la même charrue aux socs usés

de continuer à lui labourer le crâne

pour y semer ces idées noires

que les corbeaux déterreront dès l’aube.

 

(03.01.2014)

 

Jacques Josse, Au célibataire retour des champs,

Le phare du cousseix, 2015, p. 7.

27/01/2019

René Daumal, Le Contre-ciel

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Il suffit d’un mot

 

Nomme si tu peux ton ombre, ta peur

et assure-lui le tour de sa tête,

le tour de ton monde et si tu peux

prononce-le, le mot des catastrophes,

si tu oses rompre ce silence

tissé de rires muets, — et si tu oses

sans complices casser la boule,

déchirer la trame,

tout seul, tout seul, et plante là tes yeux

et viens aveugle vers la nuit,

viens vers ta mort qui ne te voit pas,

seul si tu oses rompre la nuit

parée de prunelles mortes,

sans complice si tu oses

seul venir nu vers la mère des morts

 

dans le cœur de son cœur ta prunelle repose

 

écoute-la t’appeler : mon enfant,

écoute-la t’appeler par ton nom.

 

René Daumal, Le Contre-ciel, Poésie / Gallimard, 1070, p. 61.

26/01/2019

Bernard Vargaftig, Le monde le monde

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L’horizon touche les herbes

À nouveau pas un nuage

 

Et tant de souffle qu’espère

L’écho dans l’emportement

 

Tout ressemblait à la suite

Amandiers hâte calanque

 

Après l’avoir oubliée

L’inclinaison et l’été

 

Comme étonné sous ton cri

Et pitié inavouable

 

Et parfum embrasé où

Aucun mot n’est épargné

 

L’éblouissement sans ombre

Ne se referme jamais

 

Bernard Vargaftig, Le monde le monde,

André Dimanche, 1994, p. 65.

25/01/2019

Peter Huchel, La neuvième heure

Peter Huchel, La neuvième heure, sur les routes, chien, bohémien

     Par les routes

 

La troupe vagabonde

des feuilles glacées,

le jour l'a rabattue sur la fosse à feu

avec ses lacets.

 

Près du chariot

à l'abri de la bâche,

la bohémienne

à ses pieds,

emmitouflé, l'enfant endormi.

Elle sort de sa veste de mouton

un jeune chien qui tète,

en l'allaitant

elle nourrit dans la neige le vent affamé.

 

Sœur lointaine 

de la déesse asiatique,

le croissant de silex,

tu l'as perdu

au bord des étangs infernaux.

Tu entends dans la nuit l'aboi

derrière les traces de roues, d'un campement l'autre.

 

 

     Unterwegs

 

Die streifende Rotte

vereister Blätter

fällte der Tag

mit Drähten über der Feuergrube.

 

Neben dem Karren

im Schutz der Plache

die Zigeunerin,

zu ihren Füßen

eingewickelt das schlafende Kind.

Sie hebt aus dem Schafspelz

einen jungen Hund an die Brust,

ihn säugend,

säugt sie den hungrigen Wind im Schnee.

 

Ferne Tochter

der asiatischen Göttin,

die Feuersteinsichel

hast du verloren

am Rand der höllischen Teiche.

Du hörst das Gebell in der Nacht

das der Radspur folgt von Lager zu Lager.

 

Peter Huchel, La neuvième heure [Die neunte Stunde], traduit de l'allemand par Maryse Jacob et Arnaud Villani, Atelier La Feugraie, 2013, p. 63 et 62.

 

24/01/2019

Antoine Emaz, Lichen, lichen

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Me paraissent importer l’émotion (produite par l’expression au plus près possible d’une expérience), et le sens comme connexion possible, même intermittente, entre la langue arrêtée du livre et celle, vive, du lecteur. Partant de là, tout trajet poétique juste devient défendable.

 

 

Méthode. Commencer peut-être par saper la confiance en soi, se vider, réduire la vanité, ne plus savoir. Écrire. Ensuite, casser l’écrit, et trouver dans les miettes qui restent de quoi encore écrire, parce que ce sera ça ou rien. Là, on commence d’ordinaire à arriver sur zone.

 

Écrire, c’est peut-être risquer une parole en deçà de la question, avant ce qui deviendrait question si l’on travaillait dans l’ordre de la pensée, peut-être. Saisir sans comprendre ? La formulation ne va pas, mais ce qu’elle vise est juste. Il s’agit bien de saisir un mouvement de vivre, comme un remous, une convulsion, un soubresaut, une tension brusque…On ne localise pas forcément ce qui se passe, mais il y a bien cet essorage brutal et sans mots. Le poème, alors, c’est tenter de voir.

 

Tout poème a une portée politico-morale, de façon manifeste, ou bien par son refus d’interroger directement ces questions. Le « dégagement » est aussi significatif que « l’engagement ». Je ne demande aucunement au poète d’expliciter ses choix ; je dis simplement qu’il doit les assumer vis-à-vis de lui-même et de son lecteur. Si la poésie n’est que très peu un mode d’action, elle n’est pas façon de fuir ; elle n’est pas non plus exclusivement de l’ordre du privé passé dans le domaine public. Idéalement, elle devrait pouvoir investir tous les domaines d’une vie d’homme, ici et maintenant.

 

Antoine Émaz, Lichen, lichen, dessins d’Anne Mark, éditions Rehauts, 2003, p. 13, 15, 22, 89.

 

23/01/2019

Edoardo Sanguinetti, Corollaire

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1.

acrobate (n.m.) est celui qui marche tout en pointe (des pieds) : (tel, du   moins,

pour l'étymon): mais ensuite il procède, naturellement, tout en pointe de doigts, aussi,

de mains (et en pointe de fourchette) : et sur sa tête : (et sur les clous,

en fakirant et funambulant) : (et sur les fils tendus entre deux maisons, par les rues

et les places : dans un trapèze, un cirque, un cercle, sur un ciel) :

il voltige sur deux cannes, flexiblement, enfilées dasn deux verres, deux chaussures,

deux gants : (dans la fumée, dans l'air) : pneumatique et somatique, dans le vide

pneumatique : (dans de pneumatiques plastiques, dans des fûts et bouteilles) : et il saute mortellement :

et mortellement (et moralement) il tourne :

                                            (ainsi je tourne et saute, moi, dans ton cœur) :

 

 

1.

acrobata (s.m.) è chi cammina tutto in punta (di piedi) : (tale, almeno,

è per l'etimo) : poi procede, però, naturalmente, tutto in punta di dita, anche,

di mani (e in punta di forchetta) : e sopra la sua testa : (e sopra i chiodi,

fachireggiando e funamboleggiando): (e sopra i fili tra due case, per le strade

e le piazze: dentro un trapezio, in un circo, in un cerchio, sopra un cielo):

volteggi su due canne, flessibilmente, infilzate in due bicchieri, in due scarpe,

in due guanti: (dentro il fumo, nell'aria): pneumatico e somatico, dentro il vuoto

pneumatico (dentro pneumatici plastici, dentro botti e bottiglie) : e salta mortalmente:

e mortalmente (e moralmente) ruota:

                                           (cosi mi ruoto e salto, io nel tuo cuore):

 

 Edoardo Sanguinetti, Corollaire, traduit de l'italien par Patrizia Atzei et Benoît Casas, Préface de Jacques Roubaud, NOUS, 2013, p. 13 et 71.

22/01/2019

Philippe Jaccottet, À la lumière d'hiver

 

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Sur tout cela maintenant je voudrais

que descende la neige, lentement,

qu’elle se pose sur les choses tout au long du jour

—   elle qui parle toujours à voix basse —

et qu’elle fasse le sommeil des graines,

d’être ainsi protégé, plus patient.

 

Et nous saurions que le soleil encore,

cependant, passe au-delà,

que, si elle se lasse, il redeviendra même un moment

visible, comme la bougie derrière son écran jauni.

 

Alors, je me ressouviendrais de ce visage

qui demeure, lui aussi, derrière

la lente chute des cristaux humides,

qui change, avec ses yeux limpides ou en larmes,

impatiemment fidèles...

Et, caché par la neige,

de nouveau, j’oserais louer leur clarté bleue.

 

 

Fidèles yeux de plus en plus faibles jusqu’à

ce que les miens se ferment, et après eux, l’espace

comme un éventail peint dont il ne resterait plus

qu’un frêle manche d’os, une trace glacée

pour les seuls yeux sans paupières d’autres astres.

 

Philippe Jaccottet, À la lumière d’hiver, précédé de 

Leçons et de Chants d’en bas, Gallimard, 1977, p. 96-97.

21/01/2019

Cédric Demangeot, Une inquiétude

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Caprice deux

 

  L’un seul

 

On en a vu un

travailler dur toute sa vie

dans le simple souci

de remercier sa mère

de l’avoir mis au monde

avec un chausse-pied

 

On en a vu un autre

ébloui par défaut

distraire ses camarades

en récitant des poésies

de sa fabrication (on

le fit fusiller sur le champ)

 

Cédric Demangeot, Une inquiétude,

Flammarion, 2013, p. 185

20/01/2019

Jules Renard, Journal 1887-1910

             Jules Renard, Journal 1887-1910, justice, socialiste, littérature, acteur, talent

Il y a une justice, mais nous ne la voyons pas toujours. Elle est là, discrète, souriante, à côté, un peu en arrière de l’injustice qui fait gros bruit.

 Un socialiste indépendant jusqu’à ne pas craindre le luxe.

 Chaque fois que je veux me mettre au travail, je suis dérangé par la littérature.

 Travailler à n’importe quoi, c’est-à-dire faire de la critique.

 Combien d’acteurs paraissent naturels parce qu’ils n’ont aucun talent !

 

Jules Renard, Journal, 1887-1910, Pléiade / Gallimard, 1965, p. 1094, 1096, 1097, 1104, 1107.

19/01/2019

Emily Dickinson, Le vent se mit à bercer l’Herbe

 

emily dickinson,le vent se mit à bercer l'herbe,pierre layris

  Le vent se mit à bercer l’Herbe

 

Le Vent se mit  à bercer l’Herbe

Avec des Airs de Basse grondeuse —

Lançant une Menace à la Terre —

Une Menace au Ciel.

 

Les Feuilles se décrochèrent des Arbres —

Et s’égaillèrent de toutes parts

La Poussière se creusa elle-même comme des Mains

Et dispersa la Route.

 

Les Chars se hâtèrent dans les Rues

Le Tonnerre se rua lentement —

L’Éclair exhiba un Bec Jaune

Et puis une Griffe livide.

 

Les Oiseaux verrouillèrent leurs Nids —

Le Bétail s’enfuit vers les Granges —

Vint une goutte de Pluie Géante

Et puis ce fut comme si les Mains

 

Qui tenaient les Barrages avaient lâché prise

Les Eaux Dévastèrent le Ciel,

Mais négligèrent la Maison de mon Père —

N’écartelant qu’un Arbre —

 

                  The Wind begun to rock the Grass

 

The Wind begun to rock the Grass

With threatening Tunes and low —

He threw a Menace at the Earth —

A Menace at the Sky.

 

The Leaves unbooked themselves from Trees —

And started all abroad

The Dust did scoop itself like Hands

And threw away the Road.

 

The Wagons quickened on the Streets

The Thunder hurried slow —

The Lightning showed a Yellow Beak

And then alivid Claw.

 

The Birds put up the Bars to Nets —

Ther came one drop of Giant Rain

And then as il the Hands

 

That held the Dams had parted hold

The Waters Wrecked the Sky,

But overlooked my Fathers’s House —

Just quartering a Tree —

 

Emily Dickinson, traduction Pierre Leyris dans son Anthologie

de la poésie américaine du XIXe siècle, édition bilingue, Gallimard,

1995, p. 332-333.

18/01/2019

Au bord de la Dordogne

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17/01/2019

Henri Michaux, Textes épars 1950-1954

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Dans l’ultime moment

 

Le froid est en moi, vous qui criez près de moi

Je quitte la maison aux mille gammes

Dans mes nerfs sans graisse

Le chariot de vos bruits fonce méchamment

 

Défaite, défaite, étrange affaire

En pleine journée, je m’étends, arbre abattu,

Le tigre ne vit pas plus vieux que le cerf

mais le tigre arrive toujours à temps pour tuer le cerf

 

Par erreur le couteau d’un irrité

est entré dans la poitrine mienne

mais c’est toujours une ombre

qui chasse une ombre, pour rejoindre les ombres

 

Ne t’agite pas, mon être, ne te lamente pas, ne me brise pas

Souvenons-nous de nous retenir

Dans l’amitié du silence

Enfonçons seuls dans la nuit du silence

 

Henri Michaux, Textes épars 1950-1954, dans Œuvres complètes, IIédition Raymond Bellour et Ysé Tran, Pléiade / Gallimard, 2001, p. 432.