21/01/2019
Cédric Demangeot, Une inquiétude
Caprice deux
L’un seul
On en a vu un
travailler dur toute sa vie
dans le simple souci
de remercier sa mère
de l’avoir mis au monde
avec un chausse-pied
On en a vu un autre
ébloui par défaut
distraire ses camarades
en récitant des poésies
de sa fabrication (on
le fit fusiller sur le champ)
Cédric Demangeot, Une inquiétude,
Flammarion, 2013, p. 185
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cédric demangeot, une inquiétude, enfantement, poésie, fusiller | Facebook |
20/03/2016
Cédric Demangeot, Une inquiétude
À propos du vers
- Le vers, ce petit bras. Ce petit bras cassé.
2 . Je
vais à la
ligne parce que l’
Histoire a séparé
mon corps.
3. Le vers est une maladie. Un dysfonctionnement du corps — qui ne peut pas ne pas intervenir dans la production de sens — intervenir par interruption. Le vers est ce qui se produit à chaque fois que le corps entrave le trajet de la langue — à chaque fois que la langue trébuche sur le corps — et le poème est le son de la chute ensemble de ces deux morceaux que l’Histoire a séparés.
4. Avoir le sens du vers : savoir (sentir) à quel endroit la langue doit (se) rompre — afin que plus (ou moins) de sens qu’elle n’en peut physiquement supporter passe.
[...]
Cédric Demangeot, Une inquiétude, Poésie / Flammarion, 2013, p. 221 .
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cédric demandent, une inquiétude, le vers, le corps, la langue | Facebook |
25/09/2015
Cédric Demangeot, Une inquiétude
L’ennui est le mètre étalon de l’intelligence à la française. Se donner l’air d’aimer l’ennui en matière d’art, revient à se donner l’air intelligent. Il est de mauvais goût d’être saisi, d’être emporté, ravi & ravagé par l’œuvre. Tout ce qui fait violence ou péripétie, tout ce qui fait rythme ou force vive est méprisé, considéré comme impur ou de basse inspiration. Qu’on ne s’y trompe pas, ce critère n’est jamais que celui d’une petite coterie, aussi étriquée dans ses vues que totalitaire dans l’exercice de son pouvoir. Cette esthétique de la constipation idéale, où beauté rime avec propreté et mesure, est depuis quatre siècles environ, celle simplement d’une classe sociale qui aimerait bien se faire passer pour une aristocratie de l’esprit, et qui s’érige à ce titre en arbitre intangible de la culture nationale. Ceux qui en sont se reconnaissent. Ils se transmettent de père en fils leurs privilèges, leur chlorose et leur néant.
Cr réflexe crypto-classique sectaire, s’il est éminemment français, est aussi, me semble-t-il, une réminiscence de l’idéal chrétien de frustration : ce qu’on s’interdit, ce qu’on réprime et qu’on va jusqu’à condamner, c’est encore ici le plaisir et l’effroi, et c’est encore l’intensité vitale. C’est la vie.
Cédric Demangeot, Une inquiétude, Poésie / Flammarion, 2013, p. 89.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, ESSAIS CRITIQUES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cédric demangeot, une inquiétude, intelligence, classicisme, sectaire, esthétique, classe sociale | Facebook |