04/07/2022
Ecorces
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28/01/2019
Alexandre Mare, Écorces
les monts de Sancy, les scories
la ligne d’eau du cratère
le paysage suspendu, nous haletons
flotte volcan
il fait froid
c’est l'été partout
ailleurs. Il y a tellement de
mouches, nous avons dû en avaler
quelques-unes ont déposé leurs larves
dans les entrailles
à l’automne, la bouche ouverte
c’est l’irruption
elles me rappellent à ton souvenir
au volcan éteint, au cratère
dans lequel se reflète
ce même gris que le ciel
Alexandre Mare, "Écorces", dans L’étrangère, n° 47-48, p. 92.
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18/03/2015
Georges Didi-Huberman, Écorces
J’ai levé les yeux vers le ciel. En cet après-midi de juin où l’azur était plombé, couleur de cendre, j’ai senti la lumière implacable comme on reçoit un coup. La ramure des bouleaux au-dessus de ma tête. J’ai fait une ou deux photographies à l’aveugle, sans trop savoir pourquoi — je n’avais, à ce moment, aucun projet de travail, d’argument, de récit —, mais je vois bien aujourd’hui que ces images adressent vers les arbres du Birkenwald une question muette. Une question posée aux bouleaux eux-mêmes, les seuls survivants si l’on y pense, qui continuent de croître ici. Je constate, en comparant mon image avec celle du photographe clandestin de Birkenau, que les troncs des bouleaux sont désormais bien plus épais, bien plus solides qu’ils ne l’étaient en juin 1944.
La mémoire ne sollicite pas seulement notre capacité à fournir des souvenirs circonstanciés. Les témoins majeurs de cette historie — David Szmulewski, Zalmen Gradowski, Lejb Langfus, Zalmen Lewental, Yakov Gabbay ou Filip Müller — nous ont transmis autant d’affects que de représentations, autant d’impressions fugaces, irréfléchies, que de faits déclarés. C’est en cela que leur style nous importe, en cela que leur langue nous bouleverse. Comme nous importent et nous bouleversent les choix d’urgence adoptés par le photographe clandestin de Birkenau pour donner une consistance visuelle — où le non reconnaissable le dispute au reconnaissable , comme l’ombre le dispute à la lumière —, pour donner une forme à son témoignage désespéré.
Georges Didi-Huberman, Écorces, éditions de Minuit, 2011, p. 51-52. Photo Georges-Didi-Huverman
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22/04/2012
Georges Didi-Huberman, Écorces
Ce baraquement du camp d’Auschwitz a été transformé en stand commercial : il vend des guides, des cassettes, livres de témoignage, des ouvrages pédagogiques sur le système concentrationnaire nazi. Il vend même une bande dessinée très vulgaire, qui semble raconter les amours d’une prisonnière et d’un gardien du camp. Il est donc un peu tôt pour se réjouir complètement. Auschwitz comme Lager, ce lieu de barbarie, a sans doute été transformé en lieu de culture, Auschwitz comme « musée d’État », et c’est tant mieux. Toute la question est de savoir de quel genre de culture ce lieu de barbarie est devenu le site exemplaire.
Il semble qu’il n’y ait aucune commune mesure entre une lutte pour la vie, pour la survie, dans le contexte d’un « lieu de barbarie » comme le fut Auschwitz en tant que camp, et un débat sur les formes culturelles de la survivance, dans le contexte d’un « lieu de culture » comme l’est aujourd’hui Auschwitz en tant que musée d’État. Il y a pourtant bien une commune mesure. C’est que le lieu de barbarie a été rendu possible — puisqu’il fut pensé, organisé, soutenu par l’énergie physique et spirituelle de tous ceux qui y travaillèrent à nier la vie de millions de personnes — par une certaine culture, une culture anthropologique et philosophique (la race, par exemple), une culture politique (le nationalisme, par exemple), voire une culture esthétique (ce qui fit dire, par exemple, qu’un art pouvait être « aryen » et qu’un autre était « dégénéré ». La culture, ce n’est donc pas la cerise sur le gâteau de l’histoire : c’est encore et toujours un lieu de conflits où l’histoire même prend forme et visibilité au cœur même des décisions et des actes, aussi « barbares » ou « primitifs » soient-ils.
Georges Didi-Huberman, Écorces, éditions de Minuit, 2012, p. 19-20.
© Photo Georges Didi-Huberman, p. 19.
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