23/05/2023
Lorand Gaspar, Sol absolu
Impatients à briser l'horizon pour un autre
le même plus loin, plus loin le pays
où plus rien n’est secourable.
Et votre chute sans fin de même couleur que l’air
en ce vide médian de l’attente de l’arbre
l’oiseau s’est posé quelque part dans l’espace :
regarde comme il congédie la proue des hauteurs !
A l’endroit des mots
ce ravin de la danse qui chaque jour
défait les rayons de la roue.
Lorand Gaspar, Sol absolu, Gallimard, 1972 , p. 50.
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22/05/2023
Philippe Jaccottet, Le dernier livre de Madrigaux
Tous les blés flambent
et la brève alouette est un fragment ascendant de ce feu.
Elle ne gravit tous les paliers de l’air
que parce que le sol est trop brûlant.
Il est une beauté que les yeux et les mains touchent
et qui fait faire au cœur un premier degré dans le chant.
Mais l’autre se dérobe et il faut s’élever plus haut
jusqu’à ce que nous autres ne voyions plus rien,
la belle cible et le chasseur tenace
confondus dans la jubilation de la lumière.
Philippe Jaccottet, Le dernier livre de Madrigaux,
Gallimard, 2021, p. 30.
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21/05/2023
Jean Follain, Appareil de la terre
Solitaires
Toujours leur porte s’ouvre mal
derrière eux s’endort la bête
couleur de feu
au seul pas d’homme ou de femme
ils reconnaissent qui passe
sur la route tournante
regardent un instant
pendant du plafond noir
la lampe ornée
une plante verte ocellée meurt pleure un enfant perdu
sous le vaste ciel bas
puis il neige enfin.
Jean Follain, Appareil de la terre, Gallimard, 1964, p. 79.
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20/05/2023
Jean Follain, Appareil de la terre
Une fille penchée
Une fille à traits purs
se penche sur des chaudrons.
Le paisible entre ddans la cour
près du seuil lavé
à grandes eaux
tousse pour avertir
des lueurs voguent
autour des pieds féminins
restés nus.
Les volailles à peine s’effarent
sans besoin de consolation
dans le soleil levant.
Jean Follain, Appareil de la terre,
Gallimard, 1964, p . 56.
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19/05/2023
Jean Follain, Usage du temps
Fouilles d’’enfance
Les enfants qui vont fouiller dans les greniers où sont les mannequins noirs les oignons, les issues le sac de papier brun où reste de l’anis étoilé connaîtront un jour les tracas et sauront ce qu’il en coûte de rechercher les voluptés et d’épouser la courbe délicieuse.
Jean Follain, Usage du temps, Poésie/Gallimard, 1984, p. 91.
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18/05/2023
Jean Follain, Usage du temps
Pain de nuit
Au fond de certains songes est un gros pain de chair bise volé un jour de neige mais là, cette nuit de la femme était totale sans étoiles avec un pain étroit émietté de minute en minute et porté jusqu’à sa bouche mauve et tout un chacun disait d’elle : il faut lui tenir la dragée haute.
Dérision, ô dragées jetées aux enfants assistés et dont l’amande éclate sous leurs dents par le triomphal matin d’un printemps qui ne revient pas !
Jean Follain, Usage du temps, Poésie/Gallimard, 1983, p. 171.
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17/05/2023
Jacques Roubaud, C et autre poésie
Un moment interne troue l’onde d’urgence que raye d’ortie le néant d’attente sans trace
La mémoire, la mort, la main maudit, mélange, montre,
L’instant, l’infini, l’image, irréel, insu, incroyable
Où le terre, où la terre, où la terre, ternit, trafique, tord,
Où le sens, où le non, où la syntaxe siffle, sèche, s’émiette,
D’obole, d’orbite, d’ordre opaque, ozone, organique
Ruisseau, râteau, règle renonce !, racle, rumine !
Oublie, ossifie, oscille, ombre, ongle, onde
Du nuage, du néant, du nombre nié, non-dit, nourris
Que l’arbre, que l’âme, que l’art accorde, annihile, affirme
À la trace, au terreau, à la tombe, sa trace, sa tourmente, son triomphe.
Jacques Roubaud, C et autre poésie, NOUS, 2015, p. 270.
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15/05/2023
Jacques Roubaud, C et autre poésie
État du monde
N’est pas joyeux l’état du monde, formidable
n’est pas, n’est pas, du tout, en tout, il va venir
le temps en temps, mais peu joyeux, rien réussir
en nul revoir, démontre ta construction, table.
Mais s’il se révélait, nous qu’en indéchiffrable
complicité avec le dispositif (etc), fuir
n’est pas non plus possible. Alors quoi ? au plaisir
de te mâcher, terre, avec tes cailloux en sables ?
Les oiseaux nivelés, les arbres compresseurs
entament la nature à l’horizon factice
recyclés de longs bois déportant nos couleurs
du rouge vers le brun et les verts s’évanouissent
Que nous reconnaissions comme clefs : autre temps
Où du contrôle il sembla qu’un jour il serait temps.
Jacques Roubaud, C et autre poésie, NOUS, 2015, p. 320.
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14/05/2023
Jacques Roubaud, C et autre poésie
Un moment interne troue l’onde d’urgence que raye d’ortie le néant d’attente sans trace
La mémoire, la mort, la main maudit, mélange, montre,
L’instant, l’infini, l’image, irréel, insu, incroyable
Où le terre, où la terre, où la terre, ternit, trafique, tord,
Où le sens, où le non, où la syntaxe siffle, sèche, s’émiette,
D’obole, d’orbite, d’ordre opaque, ozone, organique
Ruisseau, râteau, règle renonce !, racle, rumine !
Oublie, ossifie, oscille, ombre, ongle, onde
Du nuage, du néant, du nombre nié, non-dit, nourris
Que l’arbre, que l’âme, que l’art accorde, annihile, affirme
À la trace, au terreau, à la tombe, sa trace, sa tourmente, son triomphe.
Jacques Roubaud, C et autre poésie, NOUS, 2015, p. 270.
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13/05/2023
Jacques Roubaud, C et autre poésie
Nuit puis jour à Paris
val urbain cousu d’oisons
brun noir noircir fut doux plus
tard un air froid par l’afflux
sourd du matin aux maisons
tordit son azur prison
sous un pont pour chalands (glu
d’un tourbillon) l’or inclus
dans l’ourcq parut sans raison
alors dut d’un blanc gris d’ail
couvrant carton soupirail
loup fuir puis au bois vacant
un chat donna coloris
qui sut avant tout passant
qu’un jour abordait Paris
Jacques Roubaud, C et autre poésie,
NOUS, 2015, p. 109.
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12/05/2023
Jacques Roubaud, C et autre poésie
Présent
On n’écrit plus au passé. Il paraîtrait
Le temps des dominateurs du monde devoir être
Le présent. L’imparfait est solipsiste
Nominatif. Qu’un langue dérive en autre
N’étonne pas. La langue du bel aujourd’hui
Est statistique spasmodique : téléphones
Portables dans vos mains déportables du bord
Inférieur des jours aux soirs du peu de constat
La terre que tu lus n’était pas confortable
Les mots dits l’’avenir flottaient dans un bouillon
De sang épais où baignait beau le bleu factice.
Cela ne veut pas dire qu’il faudrait abso-
Lument que cette morasse* te satisfasse
*dernière épreuve faite généralement
à la Bourse quand la mise en forme du jour
est terminée
Jacques Roubaud, C et autre poésie (1962-2012),
NOUS, 2015, p. 321.
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11/05/2023
Franco Fortini, Feuille de route
À une ouvrière milanaise
Toute détruite, née toute nouvelle ;
Pierres déchirées sans pitié,
Ressurgie pour toi, devenue
Toute à nous, cette ville.
Ensevelie et rien qu’esprit est la mère tremblante
Qui nous angoissa asservis de baisers.
Et douloureusement en doigts de flamme l’amante
Efface ces signes tenaces.
Mais ici où entre être et non-être hésite
Prisonnière en elle-même notre figure,
Libérée tu apportes la justice certaine
Qui connaît les vivants et les morts.
Et te regardant s’humilie en nous un triste
Esclave tyran et l’espérance est entière :
Dans les matins mon peuple debout
Attend la grande sirène.
Franco Fortini, Feuille de toute, traduction Giulia
Camin et Benoît Casas, NOUS, 2023, . p. 17.
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10/05/2023
Franco Fortini, Feuille de route
La rose ensevelie
Là où nous irons chercher les couronnes de fleurs
La musique des violons et les torches du soir
Là où seront les pupilles dorées
Les ténèbres, les voix — quand à travers les pleurs
Descendront les cavaliers aux manteaux gris
Sur les prés sans couleur faisant signe Et de nous
Derrière ce trot sans bruit par les vallées
D’exil irrévocable, les images suivront.
Mais le destin le plus brisé est liberté,
Et embaume éternelle la rose ensevelie,
Là où rayonnait notre joie fidèle
Un autre retrouvera les couronnes de fleurs.
Franco Fortini, Feuille de route, traduction Giulia
Carmin et Benoît Casas, éditions NOUS, 2022, p. 47.
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09/05/2023
Pierre Vinclair, Idées arrachées : recension
Pierre Vinclair construit ses idées sur l’écriture en lisant et analysant des auteurs de référence (T. S. Eliot, J. Ashbery ), ce qui aboutit pour chacun à un livre (Terre inculte, 2018, Autoportrait de John Ashbery, 2022 ) ou, au fil du temps, les "arrache" en lisant des parutions récentes : c’est le cas dans cet ouvrage qui reprend des textes parus dans des revues auxquelles il collabore régulièrement, de Catastrophes à Pozibao et Sitaudis, deDiacritik à Europe et Acta Fabula ; d’autres contributions s’ajoutent, entretiens, articles, préface. Les textes repris sont parfois anciens, comme un article de 1979, à propos de la traduction d’un poème chinois, remanié ici et augmenté. Ils sont regroupés en sept ensembles de dimension inégale : Geste du poème, Poétique de la prose, L’œuvre en question, Philosophie des genres, Face à la catastrophe, Échafauder Babel, Portrait du critique en arracheur de dents. Le livre s’achève avec trois index (notions, noms propres, revues et maisons d’édition). La diversité des domaines abordés, même si un fil les relie, déborde les limites d’une note de lecture et l’on se limite à lire le premier ensemble.
Dans tous ses livres, Vinclair n’oublie jamais la réalité vécue, y compris le moment où il entreprend telle lecture : on sait bien que le même livre n’est pas lu de la même manière à tel ou tel âge. Il se situe également dans le temps par rapport aux membres de sa famille, point d’ancrage aussi dans ses poèmes. Vie personnelle et connaissance d’une œuvre peuvent être étroitement liées ; ici, le lecteur apprend qu’il entreprend la lecture des Nouvelles Impressions d’Afrique de Raymond Roussel en 2000 alors qu’il est né en 1982. Il avoue n’avoir rien compris et son entrée en classes préparatoires en 2001 le fait renoncer à entreprendre une nouvelle lecture. Parallèlement, il découvre Roubaud et il lit La Vie mode d’emploi de Georges Perec où il retrouve le nom de Roussel. C’est le choix d’un sujet de maîtrise à partir de Foucault qui le ramène à Roussel par l’étude (Raymond Roussel) qu’a publiée le philosophe en 1963. Ce détour de Vinclair, peut-être un peu long, vise me semble-t-il à insister sur l’importance des conditions dans lesquelles on lit une œuvre. La construction des Nouvelles Impressions d’Afrique, avec ses parenthèses dans les parenthèses, ses rejets, la complexité des rapports syntaxiques, les métaphores, etc., empêche, écrit Vinclair, « la synthèse sémantique dont j’ai l’habitude et à laquelle je crois souvent avoir un droit légitime. » L’incompréhension de la première lecture n’est sans doute pas étrangère au choix du vers de Roussel dont la suite est longuement commentée : Lire souvent égale être leurré, témoin : » — Vinclair conclura de son côté « les livres sont des puzzles truqués ».
Ce que Vinclait répète sous différentes formes, c’est que « le poème fabrique son sens », qu’il n’est écrit pas pour "exprimer" une idée. De là la nécessité, dans la lecture, d’être attentif à la construction d’un poème, aux jeux de langage, à l’ordonnance des sons, aux images, au détail de la syntaxe. Il retient par exemple, dans plusieurs livres de Savitzkaya la question de l’adresse, introduite par "à", comme dans "à Marie" et, notant l’ambiguïté de l’emploi de la préposition pour marquer le temps ou le lieu, il propose de lire un poème comme "une pièce de théâtre" aux personnages variés, « phonèmes, signification et fonctions grammaticales, autant que les référents du monde réel qu’ils sont censés représenter. » Accepter cette proposition donne justement les moyens de lire un poème — en laissant de côté ce qui domine encore dans l’enseignement, "ce que l’auteur a voulu dire". La poésie, la littérature n’ont pas à restituer une représentation du monde, des hommes, le sens, étant de toute manière, « étranger au monde, il n‘est d’épiphanie que dans le délire ou la mauvaise foi — une fiction. » Notons que Vinclair parle aussi du « théâtre de la lecture »
Un autre ensemble de réflexions s’attache à la relation aux œuvres anciennes ; Vinclair choisit d’examiner la réécriture contemporaine de plusieurs épopées, une partie de l’Iliade (la mort des personnages), le Ramayana de l’Inde et le Mabinogi gallois. S’agit-il, si l’on se reporte à la querelle des Anciens et des Modernes d’imiter ce qui fut ou de composer pour notre époque et, alors, d’être « infidèle au nom d’une fidélité supérieure » ? Les trois auteurs reprennent bien la matière des Anciens mais l’exploitent pour « servir des fins qui n’existaient pas à l’époque des textes canoniques ». Construction donc de « visions » propres à l’imaginaire d’aujourd’hui, volonté d’être dans le présent en relisant les œuvres du passé pour les intégrer dans notre littérature. Dans une perspective analogue, la forme du sonnet a été questionnée dès le XIXesiècle, et certains l’emploient aujourd’hui sans se préoccuper de rimes, de compte de syllabes (William Cliff), ni même du partage en quatrains et tercets (Robert Marteau). Quand le sonnet « se met lui-même en scène comme forme du passé », il use de cette « inactualité » à des fins critiques (Laurent Fourcaut) ou, en même temps, comiques (Christian Prigent) ; la lecture peut aussi être « dans le spectacle » d’un sonnet (Laurent Albarracin), l’auteur gardant toujours une distance amusée vis-à-vis de la forme.
On n’a fait que retenir quelques éléments, charpente des lectures de Vinclair. Il insiste sur la nécessité de reconnaître la forme du poème, sans négliger quelque aspect que ce soit et cette saisie, qui constitue une démarche de lecture, importe « davantage que le résultat ». Cette démarche exclut les conclusions scolaires (mais pas seulement !) qui font du poème un réservoir de sentiments ou d’idées, un lieu de représentations diverses, et l’on approuve le rejet de Vinclair : « Il y a tant à jouir au milieu des mots dans le pierrier du poème. Gardons l’interprétation pour le face-à-face avec la matière toujours si décevante des urinoirs, des carrés blancs et des sculptures en ballons »
Pierre Vinclair, Idées arrachées, Essais et entretiens, Lurlure, 2023, 528 p., 26 €.
Cette recension a été publiée par Sitaudis le 8 tard 2023
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08/05/2023
EstherTellermann, Ciel sans prise
Oui nous
comptions
un jour l’autre
un lendemain n’est-il
un jadis suspendu
à l’aurore
un front où se
module
les traversées ?
Je notais les intervalles
pour
nous ensevelir
et vous faire
naître.
Esther Tellermann, Ciel sans prise,
éditions Unes, 2023, p. 19.
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