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08/10/2023

Lucie Taïeb, L'art de panser les plaies : recension

lucie taïeb, l'art de panser les plaies

L’art de panser les plaies est aussi le titre du premier poème, suivi de "Est-ce une prière", "Nos corps nos pierres", "Où sont les cerfs ?", "Parmi les gravats" et "Thomas". Quand on a lu le Nouveau Testament, on lit immédiatement la relation entre le poème d’ouverture et le dernier, mais c’est l’ensemble du livre qui est construit autour du motif du corps blessé, du monde blessé, de la violence. On relie aussi le texte à Ambroise Paré (1509 ?-1590), cité justement dans le poème liminaire, chirurgien qui avait mis au point une "manière de panser les plaies" provoquées par les arquebuses pour éviter l’amputation.

 

On ne sait à qui s’adresse, dans le poème liminaire, un "je", féminin, qui, sur le ton de la confidence, rapporte avoir « arraché de [s]es dents l’oreille d’un amant », oreille aussitôt avalée. À ce début de destruction du corps répond, rapportée par le même "je", ou un autre, la mention de morsures, reçues sans que le lecteur sache qui en est l’auteur. Le récit prend alors une autre voie, celle des règles morales — religieuses : « on m’a appris qu’il fallait réparer ses fautes / ou tenter de le faire » ; ces règles sont accompagnées de ce qui définit le savoir-vivre pour une femme selon certains usages sociaux : une tenue et un maquillage corrects, se tenir droit, ne pas pleurer en parlant, etc. Le retour à la violence dans un second temps du poème est directement lié au Christ.

La (une) narratrice rêve qu’un homme lui ouvre le flanc d’un coup de lame de rasoir, blessure qu’elle lui inflige à son tour : « cet homme est mon frère et moi » ; étrange figure du double, et les sangs se mêlent pour atteindre l’unité, comme auparavant une partie du corps était absorbée.  Cette tentative fantasmée de l’Un retrouvé est suivie d’un récit de démembrement construit à partir de l’intrigue de La confrérie des mutilés, roman de Brian Evenson : un détective ne peut progresser dans son enquête, et connaître la vérité, qu’en acceptant des mutilations successives, le chef de la confrérie étant un « homme tronc / ne reste que la tête / plus de langue ». Chaque fois on peut lire une initiation cependant impossible à vivre, ce que, semble-t-il, la forme pour le rapporter donne à lire.

Le premier poème commence par introduire une narratrice, « Je ne vous cacherai pas que mon chagrin est grand », et il est question ensuite de la fureur qui l’habite et la conduit à la violence physique. La phrase est d’abord reprise partagée en deux vers, puis seul le premier membre est maintenu dans une des parties du poème, les différentes affirmations niées (« ne pas te blesser / ne pas te panser (…) cette fureur n’en est plus une ») la blessure christique (« la seule qui m’émeuve ») est évoquée. Une proposition (« je ne sais plus ce que je dis ») remet en cause ce qui précède ou s’applique à l’amorce de récit qui suit : image d’une décollation qui ne serait dans la joute amoureuse que « les doigts enserrant la nuque ». Dans la clôture du poème, reste « Je ne vous cache pas » qui embraye sur des phrases verbales où le lecteur retrouve des mots phares (sang, chagrin), la désorganisation de la syntaxe, mime de celle du corps (« ne vous / non / mon chagrin ») et la fin exclut l’idée d’une pause, « trembler trancher chuter / ce monde mon chagrin ».

 

Comment relancer le poème quand tout semble détruit ? La narratrice souhaiterait une relation au monde apaisée, où l’écoute, donc l’échange, serait possible, souhait qui suscite une cascade de questions, la venue d’un "nous" et le constat d’une immense faiblesse, « Nous serons désarmés, nous n’aurons plus rien à défendre, nous serons nus, exposés à la morsure, à la blessure, et seuls, » — seuls avec de multiples questions sans réponses. La solitude acceptée, soit le retrait du monde, entraîne la perte de ce qu’implique l’échange : le nom, la conscience de son corps. De là, après tant de questions qui ne résolvent rien, la référence à Hölderlin : sa leçon conduit à clore avec une question-réponse qui rompt avec le retrait : « ne crois-tu pas qu’à craindre la blessure notre corps dépérisse, rabougri, desséché, car plus rien ne lui vient de l’extérieur ? »

C’est encore la relation à l’Autre, la solitude et la violence qui sont au cœur de "Nos corps nos pierres" ; avec la pierre qui blesse l’œil de la narratrice et, d’emblée, avec le retour de la parole empêchée : dans le premier poème, la narratrice souhaitait « pouvoir parler sans qu’on [lui] coupe la parole », maintenant « c’est tout ce qu’on ne peut pas dire » qui est difficile à vivre, l’empêchement, d’ordre social, concernant le corps, l’intime, la sexualité. Mais que la narratrice indique à l’Autre — existe-t-il  ? — ce besoin de dire, ne changera rien à la solitude de chacun : tout se passe comme si les conventions interdisaient une rencontre des corps ; elle ne pourrait se produire qu’en renonçant à l’identité sociale que donne le nom ou en acceptant tout de l’autre, « je prends ton corps non pas dans la réalisation de sa puissance mais lorsqu’il se décharge, s’altère, déraille, je prends tout ce qui vient de toi ». Mais est-il possible d’échapper au chaos ?

Le poème "Où sont les cerfs" est fondé sur une comptine de ce titre ; à la question qui ferme les deux strophes, « Faut-il les tuer ? », est répondu NON, puis OUI, mais reprise deux fois à la fin du poème elle reste sans réponse. On pense au mythe d’Actéon et Artémis quand dans l’évocation d’une fuite un homme devient cerf et une femme chasseresse ; on pense aussi à la symbolique du cerf dans la chrétienté, où il représente la résurrection. D’un côté la mort, de l’autre la renaissance, ce qui s’accorde avec l’attente de la narratrice, "qu’un rêve advienne où tu parais, peu importe le nom et le visage ». Rêve bien éloigné dans "Parmi les gravats…" où s’impose la violence d’État, « une entreprise de destruction du monde tel que nous l’avions connu », où une main coupée est présente. Cependant, « une main est toujours en attente d’une autre main » contre la violence.

Le lien est visible avec le dernier poème, "Thomas". C’est l’apôtre qui rapporte sa rencontre avec le Christ, répétant son invite — « approche-toi, donne-moi ta main » et la commentant. Il reste en retrait (« Tu es revenu, je le vois, je n’ai pas besoin de te toucher »), malgré l’insistance du Christ.

 

Comme si rien n’était à attendre puisque, pense Thomas, « comme tu dois être seul parmi nous désormais, blessé, intact, vivant et mort ». Le Christ ne peut sauver personne, pas plus que l’Autre, quel qu’il soit, ne peut sauver la narratrice. Le monde semble n’être qu’un chaos où l’instance qui pourrait proposer des règles pour une vie sociale paisible, n’est qu’une source de violence. Que faire ? Peut-être « Désarticuler toute logique de domination et de soumission, en commençant par soi. » Vision tragique de la société contemporaine et de l’individu.

Lucie Taïeb, L'art de panser les plaies, Faï fioc, 2022, 64 p., 12 €. Cette recension a été publiée par Sitaudis le 12 août 2023.

 

 



Eugène Savitzkaya, Cochon farci

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Comment vais-je mourir demain, par miracle,

aussi brusquement qu’apparu, dans un demi-souffle,

en puanteur commune, avec les roses sur le ventre

et délivré par une fée, né et mort

au même instant, dans l’articulation

de la phrase ?

 

Eugène Savitzkaya, Cochon farci, éditions de

Minuit, 1996, p. 31.

07/10/2023

Jean-Luc Sarré, Autopportrait au père absent

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Le sommeil n’a de cesse qu’il ne m’ait éconduit ;

cette nuit n’a pas fait exception à la règle,

mais quelques rares voitures circulaient sous la pluie

 et le bruit était doux de leurs pneus sur l’asphalte.

Je poursuivais mon apprentissage du silence

tout en pensant à ces tours pendables que mon corps

ne cesse de me jouer depuis bientôt dix ans

convaincu qu’il m’en réservait de pires encore.

Renoncement, abdication, abjuration

me proposent aussitôt leurs services, mais j’aime voir,

et la lumière du jour ne devrait plus tarder.

Sans doute pourrais-je abjurer la poésie

si ce n’était par là abjurer le regard. 

Jean-Luc Sarré, Autoportrait au père absent, Le Bruit du temps, 2010, p. 68.

06/10/2023

Jean-Luc Sarré, Les journées immobiles

 

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Enfance

 

la route vers la mer

est longtemps jaune et grise

elle va dans l’air chaud

et les vapeurs d’essence

c’est la route des insectes

et des peurs infimes

celle aussi d’une joie étrange

malmenée jusqu’à ce qu’on aperçoive

enfin entre les branches les barques

la rade endimanchée

 

Jean-Luc Sarré, Les journées immobiles,

Flammarion, 1990, p. 47.

05/10/2023

Jean-Luc Sarré, Apostumes

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L’harmonie n’est pas une chimère, c’est ce que semble vouloir dire les ombres conciliantes de certains matins.

L’essentiel de ce qui a pu m’arriver et légèrement me surprendre durant toutes ces années me semble aujourd’hui d’une banalité effrayante.

Que la technologie me résiste, je l’admets volontiers —surtout restons ennemis ! — mais qu’elle se gausse de mon incapacité à la maîtriser voilà qui me met en fureur.

La souffrance physique confisque le regard qu’elle ne rend, quand c’est le cas, qu’en partie ; on peut même dire le plus souvent qu’elle l’annihile.

 

Jean-Luc Sarré, Apostumes, Le Bruit du temps, 2017, p. 155, 156, 158, 171.

04/10/2023

Jean-Luc Sarré, Apostumes

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La préparatrice, en m’injectant un produit à base d’iode avant de me conduire au scanner, s’est excusée d’avoir les mains froides. Était-ce pour que je les regarde ? En tout cas je n’y ai pas manqué et, de fait, elles étaient fort belles.

 

Jamais (à ma connaissance) une robe de deuil n’a clôturé un défilé de mode. Quel manque d’humour mais de réalisme surtout !

 

La solitude ? Un mot, une chimère, la plupart du temps. Ma seule compagnie m’est une agression. Pourtant il m’arrive de me complaire avec plus encombrante compagnie encore.

 

Jean-Luc Sarré, Apostumes, Le Bruit du temps, 2017, p. 40-41, 49, 50.

03/10/2023

Natalie Barney, Je me souviens : recension

 

natalie barney,je me souviens : recension

La possibilité du mariage entre personnes du même sexe - le ‘’mariage pour tous’’ -, grâce à la loi votée le 13 avril 2013, aurait sans doute réjoui Natalie Clifford Barney (1876-1972), qui aurait peut-être épousé Pauline Mary Tarn, Britannique écrivant sous le nom de Renée Vivien (1877-1909). Américaine installée à Paris, elle était suffisamment riche pour ne pas se soucier des jugements de la « bonne » société : son salon littéraire rue Jacob a reçu bien des écrivains, de Colette à Marguerite Yourcenar. Amoureuse de Renée Vivien, elle était cependant volage et son amie finit par la quitter. Elle ne se résigna pas à cet abandon et chercha, sans succès, à reconstruire leur relation. Je me souviens en est la trace, écrite en 1904 et publiée anonymement en 1910, un an après la mort de Renée Vivien, dont le nom est aisément lisible dans la dédicace qui précède le poème en prose, « À l’auteur de « cendres et poussières », ces cendres et ces poussières ». Lyrisme amoureux que certains aujourd’hui jugeront trop classique, il s’agit d’une variation autour d’un thème rebattu, et pourtant neuf si on le veut, illustré par Lamartine dans ce vers de "L’isolement", « Un seul être vous manque et tout est dépeuplé ».
Je me souviens..., ce que laisse entendre le titre, est un récit : quatre volets, "La rencontre", "Absence" (suivi d’un "Interlude, trois songes à travers la fièvre"), "Le retour", qui n’a pas lieu, "Nocturnes", qui conclut au renoncement : le dernier poème est encore une adresse à l’aimée pour qu’elle soit peut-être une dernière fois présente, mais le lieu où elle pourrait accompagner Natalie Barney est un « jardin triste et solitaire » avec un « palais désert » devant une « eau morte » et des « feuilles (...) fanées », des « cygnes hostiles » ; le tout en automne, donc rien qui puisse susciter un retour de la passion, le souhait d’une nouvelle rencontre, ne serait-ce que pour se tourner vers le passé, « ce lieu n’a de vie autre que le reflet des choses passées ».

 

Tout, au moment de l’écriture, est éloigné de ce que fut la naissance de l’amour, premier souvenir rapporté. La séduction est immédiate, évoquée par trois mouvements : « elle vient vers moi » / « à moi » / « près de moi » ; chaque stade correspond à une approche du corps de l’Autre avec le passage du sourire aux yeux, puis à la voix, et à une perception : de la « saveur des fruits » à celle de « l’ombre du soleil » et au « mystère de la nuit ». L’aboutissement est le don de soi, de son corps devenu un jardin : image du paradis. L’une et l’autre, « corps semblables », sont comme des fleurs ; l’auteure insiste sur le caractère naturel de la relation amoureuse, de ce « virginal amour » qui vivait toutes les « audaces » de l’amour. Elle l’oppose aux « visions passagères » de son inconstance et à son résultat : « J’ai perdu le bonheur ».
La suite ne peut être que le rappel de ce que fut l’amour partagé. Après « Je me souviens », Nathalie Barney passe à « Je me rappelle », enfin à « Sais-tu ». À l’envoi de poèmes de la part de Renée Vivien, elle ne peut que se refuser d’être ce qu’elle est, infidèle, et même, écrit-elle à celle dont elle sait qu’elle ne la lira pas, « je me déteste de survivre à ton amour ». Ce lien entre amour et mort, elle l’a vécu avec son amie et elle écrit magnifiquement ce qu’est cet élan amoureux si fort qu’il déborde toute limite, « Je me rappelle les soirs violets, où notre désir ne désirait que l’anéantissement et nous avions la faim et la soif de la mort ».

 

Que reste-t-il quand ce lien entre Éros et Thanatos a été rompu ? Remâcher les souvenirs, vivre l’attente en sachant qu’elle sera toujours une attente et rien d’autre ne donne du sens aux jours. Les fenêtres restent noires, le printemps n’est plus une saison de la renaissance, les poèmes qui lui sont dédiés par des admirateurs/trices importent peu puisque « l’amour meurt », etc. C’est peut-être dans les songes de l’interlude, où l’auteure rencontre des figures de désolation — et longuement une femme laide et cruelle, la Vie — que la conséquence d’un amour achevé apparaît, sans apprêt : il n’y a plus que l’oubli, qui est peut-être la seule vraie solitude ».

On lira avec intérêt les courts textes de deux lectrices, de génération différence, Suzette Robichon et Félicia Viti, qui rapportent leur découverte de Natalie Barney.

 

Natalie Barney, Je me souviens, Avant-propos de Suzette Robichon et Félicia Viti, Gallimard, L’Imaginaire, 2023, 120 p., 8 €. Cette recension a été publiée par Sitaudis le 20 juin 2023. 

 

 

 

01/10/2023

Arbres d'automne

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30/09/2023

Antoinette Deshoulières, De rose alors ne reste que l'épine

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   Épître chagrine à Mademoiselle*** 

                                        

Quel espoir vous séduit ? quelle gloire vous tente ?

         Quel caprice ! A quoi pensez-vous ?

         Vous voulez devenir savante ?

Hélas ! du bel esprit savez-vous les dégoûts ?

Ce nom jadis si beau, si révéré de tous,

         N’a plus rien, aimable Amarante,  

         Ni d'honorable, ni de doux.      

(…)

Pourrez-vous toujours voir votre Cabinet plein

         Et de pédants et de poètes

Qui vous fatigueront avec un front serein

         Des sottises qu’ils auront faites ?

 

Pourrez-vous supporter qu’un Fat de qualité

Qui sait à peine lire, et qu’un caprice guide,

         De tous vos ouvrages décide ?

 

Un esprit de malignité

Dans le monde a su se répandre.

On achète un bon livre afin de s’en moquer,

C’est de plus longs travaux le fruit qu’il faut attendre :

         Personne ne lit pour apprendre ;

         On ne lit que pour critiquer.

(…)

Antoinette Deshoulières, De rose alors ne reste que l’épine,

édition Sophie Tonolo, Poésie/Gallimard, 2023, p. 39.

29/09/2023

Antoinette Deshoulières, De rose alors ne reste que l'épine

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        Chanson

 

         À la Cour

Aimer est un badinage,

         Et l’amour

N’est dangereux qu’au Village.

         Un Berger,

Si sa bergère n’est tendre,

         Saura se pendre,

 Mais il ne saurait changer.

Et parmi nous quand les belles

Sont légères ou cruelles,

Loin d’en montrer du dépit ,

         On en rit,

Et l’on change aussitôt qu’elles.

 

Antoinette Deshoulières, De rose alors ne reste que l’épine,

édition Sophie Tonolo, Poésie/Gallimard, 2023, p. 98-99.

28/09/2023

Antoinette Deshoulières, De rose ne reste alors que l'épine

antoinette deshoulières,de rose alors ne reste que l’épine

                Rondeau

 

Le bel esprit, au siècle de Marot

Des dons du Ciel passait pour le gros lot,

Des Grands Seigneurs il donnait accointance,

Menait parfois à noble jouissance,

Et qui plus est, faisait bouillir le pot.

 

Or est passé ce temps où d'un bon mot,

Stance ou dizain, on payait son écot.

Plus n’en voyons qui prennent pour finance

                  Le bel esprit.

 

À prix d’argent l’auteur comme le sot,

Boit sa chopine, et mange son gigot,

Heureux encor d’en avoir suffisance.

Maints ont le chef plus rempli que la panse

Dame ignorance a fait enfin capot

                  Le bel esprit.

 

Antoinette Deshoulières, De rose alors ne reste que l’épine,

édition Sophie Tonolo, Poésie/Gallimard, 2023, p. 98.

                 

27/09/2023

William Carlos Williams, Scènes & Portraits

 

william carlos williams,fleurs au bord de la mer

Fleurs au bord de la mer

 

Au-dessus du bord net et fleuri des prés

invisible, l’océan salé soulève sa forme

 

les fleurs de la mer

apportent l’un à l’autre un changement

 

Pâquerettes et chicorées, serrées, mais relâchées

ne paraissent plus seulement des fleurs

 

mais couleur et le mouvement ­ ou les formes

de la tranquillité, alors que

 

l’idée de la mer décrit un cercle et

se balance paisiblement sur sa tige végétale

 

William Carlos Williams, Scènes et portraits, édition

bilingue, traduction et présentation Jacques Demarcq,

Seghers, 2023, p. 85.

26/09/2023

William Carlos Williams, Scènes & Portraits

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Le cheval

 

Le cheval avance

indépendamment

sans s’occuper

de sa charge

 

il a des yeux

de femme et

les tourne,

lance en arrière

 

ses oreilles et

reste en général

conscient

du monde. Mais

 

il tire quand

il faut et

tire bien, soufflant

de la brume par

 

ses naseaux

comme fument

les deux pots

d’une voiture.

 

William CarlosWilliams, Scènes & Portraits,

édition bilingue, traduit et présenté par

Jacques Demarcq, Seghers, 2023, p. 177.

25/09/2023

William Carlos Williams, Scènes & Portraits

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                                                      Le poivrot

 

Toi poivrot

titubante

cloche

 

 ô Jésus

malgré toute

ta crasse

 

 vraiment sordide

 je

 t’envie

 

C’est le visage

de l’amour

même

 

 abandonné

dans cet impuissant

enfermement

 

du désespoir

 

William Carlos Williams, Scènes &

Portraits, Anthologie inédite, édition

bilingue,traduit et présenté par

Jacques Demarcq, Seghers, 2023, p. 43.

24/09/2023

Ernst Jandle, Retour à l'envoyeur

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nocturne aux fleurs

 

dans la chambre où je ronfle

les fleurs ça me gonfle

c’est la punition du dormeur

la mouche quand l’odeur

des fleurs exhalée

l’incite à rappliquer

du côté du lit

les fleurs c’est du vivant

moi pareil vivant ;

et la mouche aussi

de mort y a que la fumée

que via bouche et nez

de mes poumons je souffle

pour chasser la mouche

sur les fleurs elle veut butiner

du coup me voilà levé

la tapette à la pogne

debout rn pyjama je grogne —

jamais mouche de son vivant

même si ça doit durer longtemps

n’atteindra ici le but

où l’attend l’autre mouche en rut

 

Ernst Jandle, Retour à l’envoyeur, traduction

Alain Jadot et Christian Prigent, grmx éditions,

2012, p. 105.